Colloque RéflexeS : Un cap libéral pour l’enseignement français à l’étranger ?

Colloque RéflexeS : Un cap libéral pour l’enseignement français à l’étranger ?

Donner la parole aux acteurs de terrain de l’enseignement français à l’étranger, voilà la belle ambition de la nouvelle plateforme participative « ReflexeS » qui a été lancée et présentée hier par la sénatrice Samantha Cazebonne. Les débats étaient disponibles en ligne ainsi qu’en présentiel depuis le Sénat. L’animation était réalisée par l’ex Président de la Fapee, désormais collaborateur de la sénatrice, François Normand.

ReflexeS, une plateforme participative et des débats sur l’éducation à l’étranger qui jalonneront l’année

La journée du 22 septembre constituait l’acte un de ces moments d’échanges que la sénatrice souhaite réguliers : cinq autres rendez-vous devraient suivre. L’objectif est de recueillir la parole et l’avis des décideur de terrain et de valoriser les actions éducatives des plus significatives aux plus modestes. Si ce premier colloque portait sur l’état des lieux de la rentrée, le suivant, le 24 novembre, traitera « des critères d’homologation, du financement et du développement du réseau ». La clôture de cette année d’échanges et de réflexions aura lieu en juin avec un bilan des consultations et débats de l’année.

La sénatrice, ex députée LREM et membre de Renaissance, souhaite une approche « apolitique » et sans jugement de valeur. Elle a présenté le résultat d’une consultation en ligne qui atteste du souci des familles de voir des frais de scolarité contenus et de s’impliquer dans la gouvernance des établissements.

Samantha Cazebonne
Samantha Cazebonne

Les décideurs de haut niveau se sont succédés à la tribune. Le ministre de l’éducation nationale Pap Ndiaye, en visioconférence, a rappelé que le ministère s’attelait à la réussite de l’objectif du Président Macron de doubler les effectifs d’élèves à l’étranger pour 2030. Cette « croissance voulue et accompagnée » passant par une politique d’homologation de nouveaux établissements est faite à un rythme plus soutenu.

Un réseau en croissance d’effectifs

Le réseau est constitué désormais de 566 établissements à cette rentrée contre 490 en 2018, ce qui témoigne de l’accélération des homologations malgré la crise COVID. Le directeur de l’AEFE, M. Brochet, a rappelé que c’était la première rentrée véritablement apaisée, avec un réseau qui renoue globalement avec une croissance très nette qui se situe à +2,7 % pour 390 000 élèves au total. La plus forte hausse se situe au Maghreb ou en Afrique sub-saharienne avec une croissance comprise entre 3 et 5%. La légère décroissance des effectifs en Europe n’est liée qu’à la guerre en Ukraine et c’est au Liban que la situation reste la plus problématique avec une crise économique et politique qui se prolonge hélas.

Les potentiels de développement du réseau selon la Mission laïque

Jean-Marc Merriaux, directeur général de la Mission laïque française a d’abord insisté sur les spécificités de notre enseignement français à l’étranger par rapport à la concurrence, notamment anglo-saxonne : la scolarisation dès la maternelle, l’enseignement des humanités ou la désormais bonne pratique des langues. Les potentiels de développement et d’amélioration se situent d’après lui dans le besoin de certification en français mais aussi dans l’apprentissage et la valorisation des « soft skills », c’est à dire les nouvelles compétences propres au 21ème siècle, notamment dans le domaine du numérique.

Luc Chatel, président du groupe Odyssey, réclame d’aller plus loin et plus vite

Le président du groupe privé Odyssey, qui dispose d’un réseau privé d’établissements homologués à l’étranger, a rappelé que seulement 10 % de l’objectif fixé par Emmanuel Macron avait été atteint à ce stade et qu’il faudrait aller beaucoup plus vite. Pour lui les grands groupes anglo-saxons à l’international ont pris de l’avance et compteraient 13 000 établissements dans le monde. L’ex ministre l’a dit : « notre concurrent ce n’est pas l’Etablissement à gestion directe (EGD) », désamorçant d’éventuelles tensions avec l’opérateur public. Chatel demande « plus d’agilité » au système d’homologation et une gestion moins bureaucratique. Les états généraux de l’enseignement français à l’étranger, réclamés aussi par la sénatrice Cazebonne, devraient être l’occasion de faire des propositions pour « combler le gap » qui existe avec les Anglo-Saxons. La sénatrice l’a affirmé : « Vous êtes ceux qui développerez le réseau beaucoup plus que les pouvoirs publics ». Un cap libéral et privé assumé pour que le groupe Odyssey prenne plus de responsabilités encore à l’avenir.

La sénatrice Hélène Conway, ex ministre des Français de l’étranger sous la présidence Hollande, a critiqué l’approche libérale développée à la tribune en rappelant la nécessité de « renforcer l’outil AEFE qui va de crise en crise » depuis 2017. Elle a insisté sur la capacité de l’opérateur public à développer une politique de bourses scolaires attractive et a rappelé que l’AEFE en tant qu’ensemblier donnait de la cohérence au fonctionnement de notre réseau, notamment au plan pédagogique et en termes de formation des personnels.

Des voix du terrain et des visions alternatives au cap libéral  

Des personnalités travaillant sur le terrain ont eu ensuite l’opportunité de s’exprimer. Nous citerons Jean-Hervé Fraslin, qui vit depuis plusieurs dizaines d’années à Madagascar et est conseiller des Français de l’étranger. L’élu local s’est félicité de l’ouverture d’un 23ème établissement homologué sur la grande île. Il a réclamé une répartition des moyens plus équitable pour éviter que les élèves français soient concentrés dans l’établissement à gestion directe de Tananarive et les élèves malgaches dans les établissements partenaires. La proportion d’élèves français est en effet plus fortement marquée dans l’EGD.

La proviseure du Lycée français de Prague Céline Allatre a pu illustrer  les difficultés rencontrées en Europe pour maintenir les effectifs ou les développer malgré une présence historique de ce lycée qui date de 1919. Les élèves du lycée représentent quarante nationalités différentes et l’établissement propose un enseignement plurilingue en tchèque, français et anglais, avec la possibilité de passer un Baccalauréat général et désormais le Baccalauréat français international. Malgré son dynamisme, l’établissement doit se battre pour préserver ses effectifs avec la concurrence d’autres établissements internationaux à Prague qui rendent ce défi permanent.

Les représentants des personnels se sont exprimés ensuite avec force. Boris Faure, représentant de l’UNSA, a critiqué un colloque à la dimension idéologique forte. Il a détaillé les postulats idéologiques qui d’après lui ont marqué les interventions des décideurs. Le postulat de suprématie de la gestion privée sur la gestion publique, le souhait de contrôler les enseignants par une évaluation de leurs performances, l’obsession pour le contrôle de la gouvernance des établissements par les parents. La CFDT a mis l’accent sur la valorisation des personnels, et sur le soutien nécessaire aux moyens de l’Agence dans le prochain projet de loi de finances.

Nous suivrons avec attention les autres débats ReflexeS qui jalonneront l’année à venir, sur un sujet majeur, l’enseignement français à l’étranger, et dans une période où ce réseau se développe en misant essentiellement sur les groupes privés pour parvenir à atteindre l’objectif du Président Macron, ce qui n’est pas sans faire débat en interne à l’AEFE et parmi les défenseurs de l’enseignement public hors de France.

Les rendez-vous de la plateforme RéflexeS

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