Depuis 2014, les Français de l’étranger élisent au suffrage universel direct leurs conseillers des Français de l’étranger. Ces derniers représentent notamment les expatriés auprès des consulats et des ambassades. Ces élu(e)s ont aussi une position de vigie auprès des parlementaires pour les alerter sur différents dossiers concernant le quotidien de nos ressortissants hors de France. Toutefois, leurs compétences restent encore mal définies, même si une loi existe pour cela. Aussi, une charte a été adoptée par l’AFE lors de sa dernière session plénière. Son objectif : clarifier les compétences et les relations. Mais, au final, à quoi sert une charte entre les élus des Français de l’étranger et l’administration consulaire ? Ce texte va-t-il atteindre son but ? Ce vademecum est-il vraiment utile ? Décryptage et témoignages.
Une charte pour quoi faire ?
Comme le stipule immédiatement le texte de cette charte, « le mandat de conseillère / conseiller des Français de l’étranger a été institué par la loi (…) et mise en œuvre par décret du 18 février 2014 ». C’est d’ailleurs sous l’impulsion de la sénatrice Hélène Conway-Mouret, alors Ministre déléguée chargée des Français de l’étranger dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, que ce texte a pu voir le jour. Son objectif était, entre autres, de créer des élus de proximité, avec comme modèle les conseillers municipaux que l’on connaît en France. Ainsi, depuis 2014, les conseillers/ères des Français de l’étranger se réunissent notamment au sein d’un conseil consulaire, qui, depuis 2021, est présidé par un élu. Une avancée démocratique dans un monde jusqu’ici géré par la diplomatie.
« La Charte permet de clarifier les relations entre les elu(e)s et l’administration, alors que ces derniers se sentent (…) de plus en plus bridés »
Cécilia Gondard, membre AFE, conseillère des Français de Belgique
Toutefois ce mandat de conseillère / conseiller des Français de l’étranger reste consultatif, et il est souvent sujet à interprétation quant aux compétences réparties entre l’administration représentée au sein des consulats et des ambassades de France, et les représentants des Français de l’étranger dans les pays. Que faire alors pour clarifier ces rôles ? Le premier réflexe aurait pu être de rouvrir la loi adoptée en 2013. Mais, pour le moment, le parcours législatif a été mis de côté. Trop aléatoire et complexe ! Et c’est donc une charte qui vient d’être rédigée et adoptée par l’Assemblée des Français de l’étranger. D’ailleurs, rappelons que les 90 membres qui composent l’AFE sont toutes et tous des conseillers des Français de l’étranger. Ils sont donc également inclus dans ce « vademecum », pour reprendre le mot utilisé par le texte voté lors de la 42eme session plénière.
Mais comment les Conseillers des Français de l’étranger se postillonnent par rapport à cette charte ? Quelles sont leurs réactions ? Pour Cécilia Gondard, membre de l’AFE et élue pour les Français de Belgique « la Charte permet de clarifier les relations entre les elu(e)s et l’administration, alors que ces derniers se sentent, dans beaucoup de circonscriptions, de plus en plus bridés dans leur mandat depuis 2017. » Membre du parti socialiste, l’élue consulaire, interrogée par Lesfrancais.press, souligne également que ce texte pourrait aider nos expatriés face à « la remise en cause des acquis pour les Français de l’étranger qui est cours : le gouvernement Attal a supprimé des bureaux de vote en juin dernier ; la sénatrice Olivia Richard veut supprimer l’envoi de propagande électorale pour les Français de l’étranger ; l’organisation des élections a été financée par le budget du Ministère des affaires étrangères au lieu du Ministère de l’intérieur… »
Avant tout un code de bonne conduite entre élus et administration
Cependant, cette charte permettra-t-elle réellement de faire évoluer les compétences des Conseillers des Français de l’étranger et redonner des attributions aux élus consulaires ? Rien n’est moins sûr. En effet, le vademecum adopté se rattache avant tout au texte législatif de 2013. Il est ainsi écrit que « les élus exercent librement leur mandat dans les limites imposées par la loi » ! Pour autant, cette charte pourrait faire évoluer certaines dispositions.
Ainsi, Avraham Benhaim, également membre de l’AFE et élu pour les Français d’Angola rappelle que ce texte « vise à établir un code de bonne conduite et de bonnes pratiques entre les représentants des Français de l’étranger et l’administration. »
« Cette charte témoigne d'une volonté mutuelle de collaboration. Elle pourrait agir comme une intelligence artificielle, traduisant le langage de chaque entité pour faciliter la communication. »
Avraham Benhaim, membre AFE, conseiller des Français d’Angola
Siégeant au sein du groupe « des Indépendants, démocrates et progressistes » (bloc central), il ajoute que « cette charte souligne les lacunes de la loi sur la représentation des Français de l’étranger, notamment en ce qui concerne le statut des élus. Cette imprécision engendre des difficultés pour l’administration française, habituée à appliquer la loi à la lettre plutôt qu’à l’interpréter. »
Et, pour cet élu consulaire, « la loi a instauré un cadre sans tenir compte des philosophies qui sous-tendent ces deux entités. L’une repose sur une structure hiérarchique, tandis que l’autre est axée sur le travail de terrain des élus, qui utilisent parfois un langage peu familier à l’administration. » Alors, conclut-il, « cette charte témoigne d’une volonté mutuelle de collaboration. Elle pourrait agir comme une intelligence artificielle, traduisant le langage de chaque entité pour faciliter la communication. » Ce texte serait donc un outil de traduction entre les élus et l’administration ! Et pourquoi pas ?
Un texte uniquement pour faciliter les relations consulat – élus ?
Et c’est semble-t-il l’objectif premier de cette charte. (Re)mettre du lien entre les consulats et les élus des Français de l’étranger. Ainsi, Laurence Helaili-Chapuis, qui siège également au sein de l’AFE et qui représente les Français d’Irlande rappelle que lorsqu’elle a « sollicité l’idée de la charte auprès du Ministre Olivier Becht (alors ministre en charge des Français de l‘étranger de 2022 à 2024), (mon) objectif était de souligner un point essentiel : l’importance de la qualité de la relation entre les élus et l’administration. »
En effet, les ordres du jour des conseils consulaire par exemple sont le plus souvent le résultat d’une concertation entre ces deux entités. Sans échange préalable entre eux, ces réunions seraient alors, la plupart du temps, stériles. Même si parfois, l’administration tente(rait) de brider les compétences des élus, et, inversement, que ces derniers essaieraient de s’octroyer un pouvoir que la loi ne leur autoriserait pas (encore). Mais, n’est-ce pas ce qui se passe aussi en France ?
« Contrairement à ce qui se passe en France, à l’Étranger, les élus restent en poste tandis que les membres de l’administration (…) sont régulièrement appelés à de nouvelles affectations ».
Laurence Helaili-Chapuis, membre de l’AFE, conseillère des Français d’Irlande
Cependant, plutôt que de saisir un juge, le dialogue reste sans doute la voie la plus efficace. D’autant plus que cette communication, ente élus et administration consulaire et ambassades, varie en fonction des postes diplomatiques, comme nous le rappelle celle qui siège au groupe « Les Indépendants » à l’AFE, Laurence Helaili-Chapuis : « Dans certains pays, ces relations sont fluides et constructives ; dans d’autres, elles peuvent être plus complexes, au détriment de toutes les parties impliquées. Contrairement à ce qui se passe en France, à l’Étranger, les élus restent en poste tandis que les membres de l’administration, qu’il s’agisse des ambassadeurs, consuls, secrétaires généraux ou agents, sont régulièrement appelés à de nouvelles affectations. Il est donc primordial de veiller à une continuité et à une coopération efficace ».
Une charte qui reste floue ?
Comment cette charte sera-t-elle accueillie sur le terrain ? Elle ne fait pas force de loi. Elle est aussi évolutive, comme l’a indiqué le ministre délégué actuel aux Français de l’étranger, Laurent Saint-Martin, lors de son discours devant les élus de l’AFE.
Du côté de Jean-Pierre Renollaud, membre d’Horizons et élu en Allemagne pour les Français de Bonn et sa région, ce dernier pointe déjà quelques manques dans le texte adopté : « concernant les bourses scolaires, le périmètre du conseil consulaire reste flou » nous a-t-il partagé. Or, cette charte a justement pour objectif de régler ce genre de questionnements !
« Concernant les bourses scolaires, le périmètre du conseil consulaire reste flou »
» Jean-Pierre Renollaud, conseiller des Français en Allemagne – Bonn
Au final, ce vademecum facilitera-t-il le travail entre les représentants de nos compatriotes hors de France et l’administration consulaire ? Laurence Helaili-Chapuis l’espère. Cette charte doit permettre de meilleurs échanges. C’est semble-t-il la clé essentielle pour que ce texte soit utile : « faire respecter cette charte suppose d’abord une prise de conscience des enjeux, mais aussi une collaboration active et des efforts réciproques » analyse-t-elle.
Et au-delà de ce casse-tête lié à l’interprétation de la loi initiale, et « des statuts et des fonctions, c’est l’intérêt des Français de l’étranger qui doit primer » nous rappelle-t-elle. Une conclusion sans doute partagée par tous, mais dont l’interprétation pourrait encore rester différente en fonction de sa position d’élus, de citoyens ou de membre de l’administration. Alors, sans point de convergence, la voie législative, celle d’une nouvelle loi, sera-t-elle un passage obligé ? À suivre…
Auteur/Autrice
-
Jérémy Michel est rédacteur en chef adjoint du média Lesfrancais.press. Il est également coach en développement personnel et formateur en communication. Jérémy a auparavant travaillé au sein de diverses institutions politiques françaises et européennes. Il a aussi été en charge des affaires publiques d’un grand groupe spécialisé dans la santé.
Voir toutes les publications