Bravo : les Emirats arabes unis ont commandé 80 Rafales, preuve que l’industrie française garde des pôles d’excellence, dans le secteur le plus compétitif du monde : l’armement. Car personne ne veut des armes moins bonnes que celles de l’adversaire. Pourtant, le succès du Rafale masque trois échecs : la dépendance américaine de l’Europe, la panne diplomatique de la France, la faillite du commerce extérieur.
Signe d’un aveuglement, quelques esprits malins ont qualifié ces contrats de « honteux ». C’est vrai que les acheteurs auraient dû acheter chinois, russe ou américain. L’idéal serait de faire du commerce entre gens de bonne compagnie répondant aux critères démocratiques, éthiques, écologiques… Mitterrand, au salon militaire du Bourget, avait fait masquer les bombes : « Cachez ces missiles que je ne saurais voir ». Ethique !
Vendre aux Emirats, aux Indiens, aux Indonésiens, mais pas à nos voisins
Si l’on veut une industrie d’armement, il faut vendre. A l’Egypte, au Qatar, à l’Arabie, à l’Inde, à qui veut bien acheter. Et si on n’a pas d’industrie d’armement, on achète ailleurs. Plus de la moitié de l’Europe se fournit chez les Américains. Les Finlandais ont, après les Suisses et les Belges, choisi le F35 américain. 64 avions pour dix milliards de dollars. Un avion hors de prix et fragile selon le Congrès américain. Impasse européenne : vendre aux Emirats, aux Indiens, aux Indonésiens, mais pas à nos voisins. Et dire que les Américains, voulaient encore, après l’Australie, nous prendre un contrat de vente de frégates à la Grèce !
C’est le problème de l’Europe, encore trop américaine : l’interopérabilité des forces dépend de l’armement. Un achat de matériel militaire lie pour des décennies en raison des pièces détachées. D’où l’intérêt d’un char et d’un système de combat aérien franco-allemand. En Europe, l’oncle Sam passe les commandes. Ailleurs, certains choisissent le matériel français pour moins dépendre des Etats-Unis, qui n’ont pas apporté dans le passé récent toutes les preuves de fiabilité.
Un travail diplomatique aussi pointu que celui des ingénieurs
C’est aussi ce qui inquiète les critiques : ne se marie-t-on pas avec des pays trop différents, trop loin de nos valeurs ? Notre politique étrangère est-elle guidée par les ventes d’armes ? Jean Yves Le Drian n’est-il ministre des Affaires étrangères que parce que, ministre de la Défense, il avait enfin réussi à exporter le Rafale ?
Ces ventes sont de remarquables succès qui supposent un travail diplomatique aussi pointu que celui des ingénieurs. Mais ce succès diplomatique ne cache-t-il pas la forêt d’échecs flagrants ? Du Liban à l’Irak en passant par la Syrie et Israël, la France n’a atteint aucun objectif, pour autant qu’elle s’en serait fixé. Les Accords d’Abraham se déroulent sans elle, jusqu’au Maroc. Son rôle de médiateur avec l’Iran est abandonné, Bachar est bien installé, la Turquie plonge mais s’étend, le Liban, malgré les menaces ou les prières, se vide.
En Afrique, Barkhane est dans un chemin aussi difficile que ce convoi militaire qui eut tant de difficultés à se dégager des manifestants hostiles au Burkina et au Niger. L’annonce d’un désengagement n’a pas été des plus lumineux, sinon pour attirer les mercenaires russes. Discours et principes se contorsionnent : défendre la démocratie, l’état de droit, n’intéresse plus personne, tant cela a peu de rapport avec la réalité. Mahamat Idriss Déby au Tchad et Paul Kagame nous aiment-ils autant que nous les soutenons ? On essaie de défendre des populations, et des intérêts, bien minces d’ailleurs.
Les alliances stratégiques s’articulent-elles sur les ventes d’armes ?
En Asie, les alliances stratégiques s’articulent sur… les ventes d’armes. L’alliance avec l’Australie, fondée sur le contrat des sous-marins, sabotée par les Américains, conduirait à construire une autre alliance : avec l’Inde, et maintenant l’Indonésie- tout dépend des contrats, Rafales et sous-marins. Changement de pied peu crédible. Une alliance repose sur des bases et des intérêts communs, le temps long. Se présenter comme fournisseur et soutien relève d’une confusion nuisible, y compris pour les ventes. La livraison de navires à la Corée ou au Pakistan n’a pas fait de nous leurs alliés.
Inutile de parler de l’Amérique latine, si ce n’est pour citer la tournée, enfin, du ministre du commerce extérieur, Frank Riester, -tournée remarquable- qui lui aura permis de constater le terrain perdu et l’excellent renom culturel de notre pays. Là, nous pourrions avoir de vrais amis, qui ne veulent ni de la dépendance américaine, ni de la sujétion à la Chine, comme s’y est enferré l’Equateur. Mais l’Amérique latine, qui aime la France, ne l’intéresse que par foucade.
En Europe, au delà d’un discours volontaire, notre politique étrangère suit des lignes brisées, toujours dépendantes de l’instant, de l’émotion, de l’invective et des menaces. L’Europe s’appuie moins sur notre rhétorique que par la volonté allemande, prudente, pragmatique, que ce soit vis-à-vis du Royaume-Uni, de la Pologne, de la Russie, ou encore de la dette ou de l’énergie.
Panique : le constat d’une faiblesse qui sape la « puissance » française.
A quoi tient cette dilution de la politique étrangère française ? Peut-on l’attribuer seulement à l’absence de ligne stratégique, à l’illusion d’une puissance déclaratoire ? A une certaine forme de panique : le constat d’une faiblesse qui sape la « puissance » française.
Hormis avec le Royaume-Uni, le commerce extérieur de la France est déficitaire avec tous ses voisins. En vingt ans, l’Allemagne a engrangé 3900 milliards d’excédents, et nous 900 de déficits. Cette année, le déficit extérieur devrait atteindre 86 milliards d’euros, l’an prochain, 95. Record sur record. Même l’agroalimentaire est devenu déficitaire de 22 mds. Le solde commercial était encore équilibré en 2000.
Selon un récent rapport de France Stratégie, la France est « passée d’un modèle de production à un modèle de consommation », « dans de nombreux secteurs, la France a une économie de pays sous-développé ».
Comment tendre la sébile et parler fort ?
Cette année encore la France sera le plus grand emprunteur d’Europe : 260 milliards d’euros. Comment tendre la sébile et parler fort ? Comment rassurer les partenaires européens, prétendre à un leadership ?
Les États-Unis sont encore, selon l’OCDE, la première puissance économique : 20% du PIB mondial, devant l’Union Européenne (18%), puis la Chine (17%). Dans vingt ans, la Chine sera en tête (22% du PIB mondial) devant les Etats-Unis (16%), l’UE (12%) et l’Inde (10%) qui prendrait la troisième place en 2050. Comment la France pourrait-elle peser dans les affaires du monde et préserver son autonomie sans le vecteur européen ? Et comment pourrait-elle rééquilibrer le pilotage de l’Europe sans redresser sa situation financière et commerciale ?
La France prend la présidence du Conseil européen. Un moment éphémère de « leadership », avec 400 rencontres, et plus de discours encore. Peut-être serait-ce l’occasion de se comparer avec humilité aux autres : notre retard est moins flagrant vis à vis de la Chine ou des États-Unis qu’avec nos voisins.
Laurent Dominati
a.Ambassadeur de France
a.Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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