Carlos Ghosn, depuis Beyrouth a donné ce mercredi une conférence de presse surréaliste en trois langues, anglais, français et arabe, et, pour la langue de Shakespeare, avec un fort accent français. En mondovision, l’évadé du Japon fût particulièrement combatif. Alors que l’évènement bruissait de l’excitation des journalistes, les questions restèrent précises et sur les faits entrainant des réponses argumentées de l’intéréssé. L’ensemble fût terriblement provocateur.
« J’espère ne pas avoir été lâché par la France. Je ne suis pas au dessus des lois mais pas en dessous non plus » – Carlos Ghosn lors de sa conférence de presse
L’ancien homme fort de Renault-Nissan, qui devint citoyen français, il avait déjà les nationalités libanaise et brésilienne, lors de son arrivée au Japon en 1999
, a avant tout attaqué le Japon, louant son Liban d’origine et ne formulant que quelques critiques assez modérées contre la France.
« Bon courage pour les prochains Français emprisonnés au Japon pour obtenir une libération sous caution » selon Thierry Consigny – Conseiller Consulaire au Japon
Les Français de l’étranger, forcément, voient la situation de façon différente selon l’endroit de leur expatriation.
Si il est, en particulier auprès de la bourgeoisie francophone chrétienne de Beyrouth et de Tripoli, comme l’exemple d’une «success story » libanaise, l’image de l’ancien grand patron est bien différente au Japon.
« Bon courage pour les prochains Français emprisonnés au Japon pour obtenir une libération sous caution » selon Thierry Consigny, conseiller consulaire et AFE dans le pays du soleil levant. Les conditions de sa fuite, rocambolesque, ont en tout cas entaché l’image du pays et ce alors qu’il s’apprête à accueillir les Jeux Olympiques à Tokyo. A l’inverse, Ghassan Ayoub, conseiller consulaire au Liban, estime M. Ghosn « brillant, battant, révolté, intelligent, charismatique, fascinant et convaincant ».
Le Liban, aussi, devrait subir les conséquences de l’installation de M. Ghosn et de sa famille à Beyrouth. 200 millions d’Euros d’aide sont versés chaque année par le Japon au pays du cèdre. Cette aide est-elle compromise ?
L’image des Français de l’étranger ne sort en tout cas pas grandie de cette fuite internationale.
Pour autant, M. Ghosn, comme chacun, est innocent jusqu’à preuve du contraire. Et si sa fuite était illégale, il a pour autant parfaitement le droit de se défendre.
Les Eléments à retenir
Concernant les faits reprochés par la justice japonaise, Ghosn clame son innocence. «J’étais arrêté pour des revenus différés, qui n’avaient pas été décidés, pas validés» par le conseil d’administration. En d’autres termes, Ghosn considère qu’il n’avait aucune obligation de déclarer les revenus incriminés. Ce n’est «pas une affaire pénale, pas un délit non plus, et en aucun cas cela ne justifie une arrestation». Les avocats de Ghosn n’ont vu «aucune justification» dans cette décision, a-t-il assuré.
Ghosn est ensuite revenu sur une autre accusation, celle selon laquelle il a fait passer sur les comptes de Nissan des pertes sur des investissements personnels. Début janvier, Carlos Ghosn avait été inculpé pour abus de confiance aggravé. La justice nippone lui reprochait d’avoir indiqué Nissan comme garant dans une opération financière de 14,7 millions d’euros exécutée à titre personnel. «Il n’y a pas de pays démocratique que je connaisse où on va en prison pour ce type de chefs d’accusation», s’est-il insurgé.
Derrière une estrade et devant un mur blanc, Ghosn a projeté des documents destinés à le disculper. L’un d’eux prouve notamment que les logements qu’il lui est reproché de détenir – à Rio, en France, à Beyrouth – appartiennent en réalisé à Nissan et sont mis à la disposition du PDG. «Tant que le PDG génère de la valeur pour le groupe et reste en activité, il a le droit de les utiliser. Il n’y a rien de secret!», martèle-t-il. «Plein d’autres documents» seront transférés à la presse par la suite, a-t-il assuré.
Ghosn dénonce «un complot» entre la justice japonaise et des cadres de Nissan
Pour l’ex-PDG, sa chute est à imputer à «l’ambition de détruire sa réputation» qu’il a dit déceler chez d’autres. Comment prouver son innocence? Carlos Ghosn n’a pas édulcoré ses accusations et dénoncé une collusion entre Nissan et la justice japonaise. Il s’est ainsi dit victime d’un «système qui visait à [le] prouver coupable, sans [lui] donner la possibilité de se défendre». Avant de poursuivre: «au cours des 14 derniers mois, j’ai dû me battre quotidiennement et faire face à des individus revanchards de Nissan, soutenus par le procureur de Tokyo».
«Je vais vous donner des noms des personnes qui font partie de ce complot, a-t-il asséné. J’ai tous les noms mais je vais me concentrer sur les personnes principales qui ont participé». Il a cité coup sur coup le PDG de Nissan de l’époque, Hiroto Saikawa, l’ancien responsable de la communication et des relations avec le gouvernement de Nissan, Hitoshi Kawaguchi, ainsi qu’un autre cadre de l’entreprise japonaise, Hidetoshi Imazu. Des noms déjà bien connus dans le dossier.
L’ex-patron estime ainsi avoir subi une enquête à charge: «ceux à qui j’avais affaire ne souhaitaient qu’une chose: entendre une confession», ils ne cherchaient pas la «justice», dénonce-t-il. L’ex-PDG est revenu sur des conditions de détention particulièrement dures au Japon, avec à peine 30 minutes de pause en dehors chaque jour, d’interminables interrogatoires et un manque«d’intérêt pour chercher la vérité. Tout le monde cherchait des preuves contre moi. Si on parle, on retourne en prison». «J’ai eu deux heures de conversation avec ma femme en neuf mois», s’est insurgé Carlos Ghosn. «Je pensais que j’allais mourir au Japon», a-t-il enfoncé.
«Je n’avais pas d’autre choix que la fuite pour me protéger et protéger ma famille», a-t-il martelé. Cette fuite «était la décision la plus difficile de ma vie».
A Versailles, Carlos Ghosn défend un «geste commercial»
Carlos Ghosn n’a pas manqué de revenir sur des dossiers français: celle des soixante ans de l’alliance Renault-Nissan, organisée en grandes pompes à Versailles en 2014. «Ce n’est plus le château de Louis XIV, c’est le symbole du génie français, de l’ouverture de la France au monde» plaide Carlos Ghosn. «Tous les étrangers veulent aller à Versailles. Voilà pourquoi j’ai voulu aller la bas, ce n’est pas parce que j’ai voulu devenir Louis XIV ou épouser Marie-Antoinette! C’est ridicule.»
«Nous avons décidé de faire une sorte de mécénat, se justifie-t-il. Nous avons payé plus d’un million d’euros pour payer la rénovation d’un salon. Heureusement cela n’a pas été caractérisé comme un abus de confiance.» Carlos Ghosn explique ensuite qu’une salle lui a été proposée à Versailles si besoin pour une fête car il était un bon mécène et ami du château.Une salle dont il a ainsi pu jouir quelques mois plus tard pour l’anniversaire de sa femme, Carolel. Ghosn projette la facture devant la presse: le solde est de 0 euros. «On s’est dit que c’était un geste commercial qui profitait également au château», justifie-t-il.
Pour autant, Carlos Ghosn a fait l’impasse sur un autre événement à Versailles: son mariage, deux ans plus tard, avec son épouse Carole Ghosn. Une célébration dont le financement pose question et qui est visée en France par une enquête judiciaire.
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