En retraçant l’histoire du Marché du Film de ses débuts à aujourd’hui, on comprend la place majeur de ce dernier pour le Festival International du Film. Célébrer les 60 ans du Marché du Film qui est devenu, au fil de ses éditions, un atout majeur de la manifestation cannoise apparait comme naturel à votre serviteur, né à Cannes, et petit neveu de l’ancien Directeur des Média pour le Festival pendant plus de 20 ans, Paul Ceuzin.
Les prémices : un Marché informel
Dès la première édition du Festival de Cannes en 1946, les représentants des maisons de production y sont invités. Lors des premières années, aucun espace ne leur est réservé, ils se réunissent dans des salles de cinéma de la rue d’Antibes louées pour l’occasion. Ces professionnels se rencontrent et nouent les premiers liens de collaboration afin d’organiser la vente et l’acquisition des droits cinématographiques.
Robert Favre Le Bret, Délégué Général du Festival, soumet, dès 1950, l’idée d’incorporer ce marché informel et parallèle dans l’organisation de la manifestation. Le Comité du Festival rejette ce projet craignant que les projections nécessaires à l’instauration du Marché aux films fassent de l’ombre à celles du Festival. De plus, il considère que le rôle du Festival est d’ordre purement culturel et artistique et ne souhaite donc pas que le Festival prenne une part directe à l’organisation de tractations économiques.
Robert Favre Le Bret a très tôt conscience des enjeux de l’industrie du cinéma dans le développement de la manifestation. En 1953, le Règlement du Festival intègre dans son article premier, qui ne notifiait jusqu’alors que les dates de la manifestation, une mention très explicite sur la double mission du Festival qui « a pour objet de favoriser le développement de l’art cinématographique et les progrès de l’industrie du film dans le monde ».
Création du Marché du Film
En 1959,
ce marché parallèle entre représentants de l’industrie du cinéma appelé « le Festival de la rue d’Antibes » faisait parfois concurrence aux projections du Festival de Cannes. Au regard de son essor, André Malraux, Ministre de la Culture, et Robert Favre Le Bret décident d’officialiser celui-ci au sein de la manifestation cannoise.
Le 1er mars 1960, le Conseil d’Administration du Festival évoque le Marché aux films qui évolue en marge du Festival. Face à la foire de Milan qui se professionnalise, le Conseil se rallie à l’idée de donner des facilités aux producteurs et acheteurs. Le Conseil décide alors de créer un bureau de liaison dans le Palais des Festivals afin d’accompagner les échanges entre les producteurs étrangers et les services des douanes, dont un représentant est également au Palais afin de faciliter l’entrée des copies des films du Marché.
Ce Marché débute de façon artisanale avec quelques dizaines de participants et une seule salle de projection d’une vingtaine de places, construite en bois et en toile sur le toit de l’ancien Palais.
Le lancement du Marché du Film déplaît à certains, notamment des critiques de cinéma qui accusent le Festival d’être devenu « une foire aux films » qui ne s’intéresse qu’à l’aspect commercial du cinéma. Heureusement, d’autres journalistes reconnaissent dans l’essor de ce Marché aux films un axe indispensable au développement du Festival.
A Cannes, comme d’usage, la presse polémique et affirme tout et son contraire.
Le Rapport Moral du XIIIe Festival tire les premières conclusions de ce Marché encore peu structuré et appréhende comme « une force vive » la dimension économique de l’industrie cinématographique. La Direction du Festival ne se laisse pas impressionner par les critiques et déclare « Ce Marché constitue maintenant, qu’on le veuille ou non, un des atouts majeurs du rendez-vous de Cannes. » Robert Favre Le Bret soutient alors l’idée qu’il faut développer et mieux organiser le Marché aux films afin de répondre aux demandes des professionnels et de faire face à la concurrence de la Foire aux Films de Milan (MIFED), créée en 1960, plus structurée et aux ambitions internationales. Il souhaite que le Festival prenne une part directe à l’organisation de ce Marché « en sollicitant le concours des syndicats professionnels intéressés. »
En 1961, La Chambre Syndicale de la Production Cinématographique Française se propose pour organiser le Marché aux films.
Robert Favre Le Bret apporte son soutien à cette initiative auprès du CNC (Centre National de la Cinématographie) et sollicite une petite subvention qui leur sera accordée. Deux membres de la Chambre Syndicale des Producteurs de Films Français, Emile Natan et Bertrand Bagge se chargent alors des questions d’organisation.
Après une première édition empirique en 1960, le Marché International du Film, né en 1961, suscite rapidement un vif intérêt.
Le Festival de Cannes a alors atteint une renommée internationale, rapidement des associations étrangères de producteurs, distributeurs et exportateurs souhaitent que ce Marché devienne international.
Le Festival en créant le Marché du Film affirme son rôle dans le développement de l’industrie du film et sa place unique comme lieu de rencontre des professionnels du cinéma mondial.
Beki Probst, qui a créé et dirigé l’EFM (European Film Market) du Festival de Berlin, et est aujourd’hui toujours présente au Marché du Film, se remémore ses premières années au Festival : « Je suis venue au Festival comme journaliste pour la première fois en 1958 mais dans les années 60 et 70, j’y venais aussi comme exploitante. J’accompagnais la délégation de distributeurs et exploitants de Suisse romande. Cette nombreuse délégation, très assidue au Marché du Film, avait des moyens financiers importants et intéressait de nombreux vendeurs de films ».
Une rapide expansion, une dimension internationale
A chaque édition, le Marché du Film devient de plus en plus important ce qui incite la municipalité de Cannes à construire, dans le prolongement du Palais, une première aile permettant d’accueillir quelques stands et trois petites salles peu confortables. Cette extension, vite insuffisante, conduit la municipalité, à la fin des années 1970, à construire une seconde aile provisoire entre le Palais et « La Malmaison » permettant de disposer de quatre salles de projections, d’une salle de vérification de films et d’une salle vidéo qui commençait à se développer.
Les transactions entre producteurs, exportateurs ou exploitants ne se déroulent pas uniquement dans le Palais. Les bars, les restaurants, les palaces et les plages deviennent des lieux propices aux négociations.
Alain Vannier, Président d’Orly Films, Producteur et exportateur de films, fréquente le Marché du Film depuis 60 ans. « Mon premier Festival, 1959 ! J’y ai fait un aller-retour pour apporter la copie d’Hiroshima mon amour d’Alain Resnais car la projection d’un film russe avait été annulée. A l’époque, le Marché du Film, dont c’était les balbutiements, se tenait essentiellement entre l’ancien Palais des Festivals et le Carlton dont le bar était, entre 11h00 et 13h00, le point de rencontre où l’on parlait affaires. Le Blue Bar, autre endroit mythique, était également un lieu de rendez-vous. Nous nous retrouvions aussi sur les plages, nous savions où allez pour savoir qui rencontrer. Au Carlton, les grands producteurs, les américains, les anglais et les bureaux du Film Français. Au Majestic, les industries techniques et au Martinez, les italiens ! Nous louions des salles rue d’Antibes pour montrer les films. J’y ai connu des soirées très mouvementées, comme en 1973 à la sortie du film La grande bouffe de Marco Ferreri, j’étais l’exportateur du film à l’étranger. Le Marché était alors fait de bric et de broc mais il était aussi beaucoup plus festif. »
Jacques-Eric Strauss, également producteur et vendeur de films français à l’étranger, témoigne de ses premières années au Marché du Film « Au début des années 60, le Marché était beaucoup plus décontracté, on se voyait pour discuter affaires dans les hôtels pendant le déjeuner ou sur les plages. Le Marché se passait autour du Palais Croisette et rue d’Antibes où les films étaient projetés dans les cinémas de la ville. Il n’y avait que des affiches de films sur toute la Croisette. Dans les années 70, je vendais à l’étranger mes propres productions, l’ambiance du Marché était alors très conviviale. »
L’attention du Festival pour améliorer l’organisation du Marché du Film sera constante.
Des projections sont organisées dans les salles de cinéma de Cannes. Les infrastructures, le nombre de salles, l’espace pour les stands… s’adaptent peu à peu à l’expansion du Marché, devenu un rendez-vous annuel capital pour les professionnels du monde entier. Le Marché ne cesse de voir progresser le nombre de participants, de pays et de projections.
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