Juncker tire le bilan du «big bang» de l’élargissement européen

Malgré les difficultés engendrées par la vague d’élargissement de 2004, Jean-Claude Juncker a affirmé ne pas regretter ces adhésions, à l’occasion du 15e anniversaire de ce « big bang » européen.

La Pologne, la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie, la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie, Malte et Chypre ont toutes rejoint l’UE il y a quinze ans, dans ce qui a été décrit comme le moment le plus audacieux de l’histoire européenne d’après-guerre.

Cette vague d’élargissement, connue sous le nom de « big bang », a été suivie par l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie en 2007 et de la Croatie en 2013.

Depuis, l’UE a perdu son appétit pour de nouveaux élargissements et Jean-Claude Juncker a lui-même déclaré que de nouvelles adhésions n’étaient pas à l’ordre du jour lors de son entrée en fonction en 2014.

L’intégration de tous ces nouveaux pays ne s’est en effet pas faite sans heurts, et de profondes divisions séparent toujours les membres « historiques » et les membres plus nouveaux de l’Union. Ça a notamment été le cas lors de la crise des réfugiés de 2015-2016 lorsque la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovénie ont refusé de partager le fardeau des réfugiés.

Par ailleurs, la Hongrie s’est engagée dans une voie autoritaire « illibérale », tandis que le parti ultraconservateur au pouvoir en Pologne a pris des mesures pour consolider son pouvoir en portant atteinte à l’indépendance de la justice, et la Roumanie tente de faire de même.

Pas de regrets

Interrogé sur les hauts et les bas des 15 dernières années concernant l’attitude de l’Europe centrale et orientale à l’égard de l’UE, le président de la Commission a admis qu’il y avait eu des anicroches, mais a insisté sur le fait que ses attentes étaient largement satisfaites et que la situation économique dans ces pays s’était grandement améliorée.

« Nous devons apprécier le fait que [les nouveaux membres] ont souvent mis en œuvre des réformes audacieuses. Leur croissance économique est vraiment remarquable. Je ne serai jamais de ceux qui dénigrent la décision d’élargir l’UE », assure-t-il.

« Je n’ai pas regretté une seule seconde la décision de remettre simultanément dix pays au cœur de l’Europe. J’ai toujours cru que c’était un grand moment et une occasion unique qui nous était offerte dans l’Histoire », poursuit-il. « Le courage des Européens de l’Est a ouvert la voie à la réconciliation de la géographie et de l’Histoire de notre continent. C’est pourquoi je continue à être un grand partisan de l’élargissement ! »

Lorsqu’on lui demande si la prise de décision était devenue plus difficile à 28, ce vétéran de la politique indique clairement que le nombre de membres de l’UE n’était pas un problème. « J’ai fait l’expérience du fonctionnement de l’intégration européenne pour la première fois en décembre 1982, lorsque j’étais jeune ministre. Il y avait dix États membres à l’époque. La prise de décision est-elle plus difficile à 28 ans ? Pas du tout. C’était difficile avec n’importe quel nombre de membres. »

« Je ne suis en aucun cas déçu par l’élargissement. Nous avons beaucoup appris des nouveaux États membres », renchérit le Luxembourgeois.

L’ancien Premier ministre a également fait des commentaires intéressants sur certains des dirigeants actuels des pays d’Europe centrale. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait commis une erreur en traitant Viktor Orbán de dictateur en public, en mai 2015, il a répondu : « En privé, j’ai appelé Viktor Orbán un dictateur pendant des années. Il en a toujours ri. Au sommet de Riga, il y avait des microphones devant nous. Je l’ai salué avec humour, comme je le fais toujours. Personnellement, j’ai de bonnes relations avec lui. »

« J’ai beaucoup de respect pour Viktor Orbán. J’admirais le courage dont il a fait preuve en résistant au communisme à une époque où les forces soviétiques étaient encore stationnées en Hongrie. Je l’ai toujours considéré comme un héros. Mais nous avons bien sûr des divergences d’opinion. »

Qu’est-ce qu’un démocrate ?

Lorsqu’on lui demande s’il considère le Premier ministre hongrois et le chef du parti au pouvoir en Pologne, Jarosław Kaczyński, comme des démocrates, Jean-Claude Juncker s’embarque dans une longue explication, mentionnant la nécessité d’un système efficace de garde fous dans une démocratie saine.

« Qui est démocrate ? Est-ce quelqu’un qui a été élu par les électeurs ? Non, cela ne suffit pas, car même lorsque vous avez une large majorité, vous n’avez pas le droit d’ignorer ceux qui n’ont pas voté pour vous. En tant que Premier ministre du Luxembourg, je n’ai jamais pensé que ceux qui n’avaient pas voté pour moi n’avaient aucun droit. Bien sûr qu’ils en ont, puisqu’ils sont citoyens du même pays, même s’ils sont dans l’opposition. Dans chaque pays, il doit y avoir un système de freins et de garde fous. »

Quant à Jarosław Kaczyński, le président de la Commission exprime sa frustration de ne pas avoir pu le rencontrer. « La dernière fois que je l’ai rencontré, c’était en 2005, au sommet de l’OTAN à Helsinki. Il était Premier ministre à l’époque […]. Aucune autre occasion de lui ne s’est présentée, malgré mes demandes de rencontre. J’ai envoyé un représentant spécial qui a passé quatre heures à s’entretenir avec M. Kaczyński et ses collaborateurs les plus proches ». Rien n’y a fait.

Autre sujet brûlant dans les pays de l’est : le Premier ministre tchèque, Andrej Babiš, soupçonné de fraude aux aides de l’UE, et qui accuse l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) de conspirer contre lui. Des accusations inacceptables et complètement fausses, pour le président de la Commission.

« De temps à autre, l’OLAF critique même la Commission européenne pour diverses raisons. Mais je ne l’attaque jamais, parce que c’est un organe indépendant. Son rôle est d’enquêter et la Commission peut également faire l’objet d’une enquête, ce n’est pas une raison pour dire qu’il a été influencée par des puissances étrangères tentant de détruire l’Union européenne », indique-t-il. « Dans cette affaire tchèque, nous avons décidé de bloquer le flux d’argent vers les entreprises faisant l’objet de l’enquête, qui suivra son cours normal. »

En ce qui concerne le journaliste slovaque Ján Kuciak, qui enquêtait sur une affaire de mafia avant son assassinat, Jean-Claude Juncker admet qu’il y a « un grave problème de corruption en Slovaquie », que « nous sommes en train de corriger ».

Le président de l’exécutif a révélé que lors de la composition de la Commission européenne, il avait rejeté six candidats aux postes de commissaires, y compris des envoyés de pays d’Europe centrale et orientale, mais ni de Pologne ni de Hongrie. Il n’a toutefois pas donné plus de détails : « si j’avais voulu rendre ça public, je n’aurais pas attendu si longtemps. »

Georgi Gotev

Un article publié sur le site de notre partenaire

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