Au Nigeria, l’anticorruption fait l’élection

Le Président sortant, Muhammad Buhari, a été réélu pour un nouveau  mandat, avec une confortable avance de 5 millions de voix. Bien sûr, l’opposition crie au scandale et au vol, le Président de la Cour suprême ayant été remplacé par le Président candidat il y a moins d’un mois. Il y a eu aussi des violences – une cinquantaine de morts – et sans doute de la fraude. Mais les observateurs considèrent que le résultat est sans appel.

Avec 40% seulement de participation, on peut s’interroger sur la vitalité de la jeune démocratie nigériane, un pays où la moitié de la population a moins de 25 ans, un géant démographique, économique, de 190 millions d’habitants, un des dix premiers producteurs de pétrole au monde, nageant dans la violence, les conflits interethniques, religieux, la misère et la corruption.

C’est elle qui a fait élire et réélire Buhari. Vieux général qui avait déjà dirigé le pays après un coup d’état, et qui, curieusement, avait été le premier vainqueur d’une élection présidentielle en étant issu de l’opposition, assurant une réelle alternance démocratique. C’était il y a quatre ans, contre Goodluck Jonathan.

Ce n’est pas son humanisme, dont il avait montré les limites comme chef de la junte militaire, qui a fait son succès. Ni ses réussites économiques, puisque le pays est en plus mauvais état que lorsqu’il l’a trouvé : Le chômage a grimpé à 18%, le déficit se creuse à -5%. Ni son idéologie, puisqu’on ne peut pas dire qu’il soit particulièrement attaché à quelque ligne politique que ce soit. Ni ses soutiens religieux : il vient du nord musulman, comme son rival. Il fut compréhensif avec Boko Haram, avant de le combattre, sans succès. Ce qui montre que ses talents ne sont pas non plus ceux d’un chef de guerre : Boko Haram sévit toujours, les milices et les gangs prolifèrent.

Après l’échec de son premier mandat, qu’est ce qui explique son succès ? La dernière fois, on pouvait dire que c’était l’aspiration au changement. Mais aujourd’hui ? Son adversaire explique tout.

Atiku Aboubakar est considéré comme l’homme le plus corrompu d’Afrique, ce qui est sans doute exagéré, mais le fait entrer dans un club recherché. A tel point que les Etats-Unis lui ont refusé un visa, pour ce motif explicitement, ce qui est un cas unique. En tout cas l’ancien directeur adjoint des douanes qu’il est a remarquablement bien réussi en quittant son bureau puisqu’il est devenu l’homme le plus riche du Nigeria, la première économie africaine.

Baba go slow

Buhari a fait campagne sur une image contraire : le Président austère et incorruptible. « Baba go slow » (Papa va doucement), comme on le surnomme, a gagné étrangement l’affection de ses concitoyens, comme une sorte d’anomalie : un Président qui ne serait pas un voleur. Et lui de jurer qu’il mènera sans relâche la bataille contre la corruption. Avec, faut-il espérer, plus de succès que lors de son premier mandat.

Slowely. Doucement. Peut-il aller plus vite et plus fort ? Sans doute pas. Durant ses quatre années de mandat Buhari a passé six mois à l’hôpital, atteint d’un mal secret qui ne devrait pas disparaitre. C’est son vice président, Yemi Osinbajo, un chrétien du sud, qui l’a remplacé, et qui le remplace de plus en plus dans la gestion du pays.

Certains peuvent juger la démocratie nigériane malade. 40% de votants, c’est peu. Un ancien dictateur réélu, c’est laid. Mais voir une alternance possible, et le choix se porter vers le candidat anticorruption, dans un pays aussi chaotique, c’est constater que les Nigérians considèrent la corruption comme le mal fondamental, économique, social, politique. C’est ce premier réflexe qui est bon signe : de la Tunisie au Brésil en passant par le Nigeria ou la Corée, la corruption est vue comme le premier ennemi, et la démocratie comme un moyen, -peut-être- de la dénoncer, avant de pouvoir lutter contre elle.

L’anticorruption fait l’élection, une leçon à méditer pour tous les candidats dans tous les pays. Et tous les dirigeants en quête de réélection.

La rédaction

 

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