Allemagne unter alles

Allemagne unter alles

(L’Allemagne par en dessous)

« Deutschland über alles » entonnaient fièrement les Allemands jusqu’à la deuxième guerre mondiale. Désormais, ils ne chantent que le troisième couplet, celui sur la liberté. L’Allemagne devait être la grande puissance du XXème siècle, ses démons l’en empêchèrent. Depuis 1945, elle cultive, dans une repentance justifiée, la non puissance : alignement sur les Etats-Unis, construction européenne sur la base d’un partenariat franco-allemand.

L’Allemagne a fait profil bas. Par en dessous, a poussé.

Aucun dirigeant allemand n’a cherché à briller. Aucun ne se distingue par son charisme. Aussi modeste qu’efficace. Aucun parti n’a dominé les autres. L’Allemagne est devenu une puissance économique mondiale, et un modèle démocratique discret.

Elle a fait profil bas : « Unter alles », en dessous des autres. Par Et par en dessous, elle a poussé. Désormais, l’Allemagne est la plus forte. Le Royaume-Uni s’est replié. Les Etats-Unis ont montré leur inconstance. La guerre d’Ukraine a balayé le partenariat avec les Russes. La France devient incapable de faire contrepoids.

Olaf Scholz, chancelier novice, a annoncé, d’un coup d’un seul, 100 milliards d’euros de budget pour la défense. Qui pourrait en faire autant ? La France annonce 3 milliards, déjà un bel effort. Demain, l’armée allemande sera la première armée européenne. Elle n’aurait même plus besoin des Etats-Unis.

« Rien ne sera plus comme avant. »  

Le Chancelier a publié dans le Frankfürter une tribune à destination du public allemand, qui concerne tous les Européens. Ce qu’il dit est simple, évident, révolutionnaire : l’Allemagne « ne peut plus ignorer ses responsabilités ». « Après le tournant historique qu’a constitué l’attaque de Poutine, rien ne sera plus comme avant. ». 

Et d’affirmer que l’Allemagne est prête à se battre pour défendre un pays de l’OTAN, ou de l’UE. L’adhésion de l’Ukraine est revendiquée comme un acte géopolitique. Ce n’est pas seulement l’Europe qui change, c’est surtout le rôle de l’Allemagne. 

Et de fixer les lignes directrices qui n’entraient pas dans ses schémas il y a peu : « la politique migratoire, par exemple, la création d’une défense européenne, la souveraineté technologique et la résilience démocratique. »

« La réponse la plus importante de l’Europe face à ce tournant historique est l’unité…Nous ne pouvons plus nous permettre de vetos nationaux, par exemple en matière de politique étrangère »

Application immédiate : la proposition de la Commission européenne de réduire la consommation de gaz de -15% a été adoptée. Une dizaine d’Etats avaient affirmé leurs réticences. A la fin, seule la Hongrie a voté contre. Orban n’a pas compris. Mauvais jeu, mauvais joueur, plus seul que jamais.

L’alliance franco-allemande a joué.

La décision concerne d’abord l’Allemagne. Mettre l’économie allemande en panne ne servirait en rien les autres. L’alliance franco-allemande a joué. Auparavant, le Parlement européen avait validé le nucléaire dans la transition énergétique. Le ministre de l’écologie allemand s’est dit prêt à prolonger l’activité des trois centrales encore en activité. Si cela vaut mieux que le charbon, cela valide aussi définitivement la position française.

Un mois auparavant, le Conseil de Gouverneurs de la Banque centrale européenne décidait « d’accélérer la finalisation d’un nouvel instrument anti-fragmentation ». Le président de la Bundesbank, Joachim Nagel, manifestait son désaccord. En échange d’un relèvement de taux, d’une surveillance accrue des pays qui y auraient recours, il a accepté. A nouveau un accord franco-allemand. La BCE interviendra pour empêcher les écarts de taux dangereux entre l’Allemagne et les autres. En 2011, la crise de l’euro était née de ces écarts.

L’Allemagne prête à assumer son rôle de leader. Pour la monnaie d’abord. Pour la défense ensuite.

L’Allemagne ne peut laisser tomber la France, pour peu que celle-ci se montre un tant soit peu responsable, ce que ne cesse d’expliquer Bruno le Maire. Récemment, il a appuyé le ministre des finances allemands, Christian Lindner, dans une politique de retour aux « équilibres budgétaires ». Ecouté en Allemagne, le sera-t-il aussi en France ?

L’Allemagne fait un pas, mais l’Allemagne prend la main. Elle assume son rôle de leader. Pour la monnaie d’abord. Pour la défense ensuite. Pour la géopolitique mondiale enfin.

Avec ses cent milliards, l’Allemagne va devenir un énorme marché de la défense. Elle continuera de payer tribut aux Etats-Unis (elle a profité des années de leur protection). Elle a annoncé l’achat de 35 F35 pour sa mission de défense nucléaire. Les Américains n’acceptent que leurs avions pour transporter des missiles nucléaires… En attendant, le SCAF (Système de Combat Aérien du Futur), comme le char franco-allemand, sur fond de dissensions, prennent du retard.

Les débats industriels entre Nexter et Rheinmetal deviennent métaphysiques.   

L’Allemagne ne choisira pas entre Américains et Français, elle préservera les uns et les autres. Elle choisira l’Allemagne. Elle développera, seule ou en partenariat, son industrie de la défense. Elle pourrait même développer une politique mondiale qui engloberait gentiment le message universel de la France, révérence due au passé. Raison de plus pour ne jamais la laisser seule. En Europe, seuls les Français ont l’expérience des interventions extérieures. Seuls ils ont l’expérience d’une diplomatie mondiale. Seuls ils cultivent une « Weltanschauung ». Encore ne faut-il pas se laisser distancer. Les débats industriels entre Nexter et Rheinmetal deviennent métaphysiques. 

L’Allemagne a choisi de devenir le pilier européen de l’OTAN. Affirmera-t-elle une défense européenne, ou restera-t-elle dans la dépendance américaine ? Pas à pas, par en dessous, elle fera les deux. Son ambition est plus vaste. Elle veut devenir le pilier des démocraties à travers le monde. L’Allemagne impérialiste, totalitaire, a mené le monde à la destruction. L’Allemagne démocratique peut se racheter en le réparant.

« Une nouvelle coopération mondiale des démocraties », autour de l’Allemagne.

A quoi songe le Chancelier terne? « L’Union européenne est l’antithèse vivante de l’impérialisme et des régimes autocratiques, elle constitue une épine dans le pied de dirigeants comme Poutine …Les autocrates du monde suivent de très près cette entreprise en attendant de voir si elle va aboutir. La loi du plus fort s’applique-t-elle au XXIe siècle, ou bien est-ce la force du droit ? Le désordre vient-il remplacer l’ordre international multilatéral dans notre monde multipolaire ? » 

Contre l’autocratie et l’autoritarisme, « une nouvelle coopération mondiale des démocraties, une coopération qui aille au-delà de l’Occident classique… En rassemblant l’est et l’ouest, le nord et le sud de l’Europe. ». Autour de l’Allemagne. Le Rêve allemand vaut mieux que le Rêve chinois.

Revanche de l’Histoire ?

L’Allemagne reprend à son compte le concept américain d’Alliance des démocraties. La politique, ce n’est pas que des intérêts, c’est de l’idéologie. Les Etats-Unis sont-ils encore crédibles en tant que leaders du monde libre ? L’Allemagne, par l’Europe, peut l’être. C’est un projet à vingt, trente ans. 

Dans tous les classements mondiaux, les pays européens apparaissent comme les plus démocratiques, les plus respectueux de l’état de droit, les plus sûrs, les plus riches, les plus respectueux de l’environnement, etc. Parmi eux, l’Allemagne fait bonne figure. Puisse la France s’inspirer de cette humilité. L’Allemagne ne peut réussir seule. Son projet, porter un nouveau modèle démocratique, n’est-il pas le nôtre, alors même que le nôtre est abîmé ? Revanche de l’Histoire ? Beau défi !

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

Notes

 1 – « Einigkeit und Recht und Freiheit / für das deutsche Vaterland! » (Unité, droit et liberté pour la patrie allemande !)

2 – Le 26 juillet.

3 – Le 6 juillet.

4 – Réunion de gouverneurs du 15 juin. Le 21 juillet la BCE annoncera la création d’un nouvel Instrument d’achat de dettes publiques.

5 – « La posture de dissuasion nucléaire de l’OTAN repose sur les armes nucléaires des États-Unis déployées en Europe, ainsi que sur les moyens mis à disposition par les Alliés concernés. Les contributions nationales à la mission de dissuasion nucléaire de l’OTAN, sous la forme d’avions à double capacité, demeurent un élément central du dispositif. »  OTAN, Sommet de Madrid, 30 juin 2022. 

 6 – « Vision du monde ».

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