L'éducation à l'étranger abandonnée sur l'autel de Bercy ?

L'éducation à l'étranger abandonnée sur l'autel de Bercy ?

Un plan, des aides, des bourses, le gouvernement semble avoir pensé à tout ! Cependant au fils des jours la réalité décrite par les parents d’élèves est bien différente. Pour lesfrancais.press, Pierre Ciric, qui mène depuis de nombreuses années des combats pour améliorer le réseau français à l’étranger malgré les attaques de Bercy, partage son analyse de la situation.

Pierre Ciric est le fondateur d’un cabinet d’avocats spécialisé dans le contentieux commercial et le contentieux du patrimoine culturel à New York. Il est également membre du conseil d’administration de la French-American Bar Association et de la New York Law School Alumni Association. Diplômé de l’École des Hautes Études Commerciales (1986), il a occupé des postes de cadre supérieur (contrôle financier) chez Pfizer, Inc. et Sanofi-Aventis, puis est devenu avocat associé dans le cabinet américain Proskauer Rose. Diplômé de l’université de droit New York Law School, il y était membre du comité exécutif et rédacteur de la New York Law School Review.

Historique de l’AEFE :

L’AEFE est un établissement public national à caractère administratif créé par la loi no 90-588 du 6 juillet 1990 , placé sous la tutelle du MEAE.

Le réseau de l’AEFE, composé de plus de 520 établissements homologués, est divisé en trois groupes :

–          1) les établissements en gestion directe, établissements homologués constitués en services déconcentrés de l’AEFE, et qui perçoivent des subventions et dont l’AEFE assure la rémunération directe des personnels titulaires,

–          2) les établissements conventionnés, établissements homologués gérés par des sociétés de droit privé étranger ayant passé avec l’AEFE un accord portant sur les conditions d’affectation et de rémunération des enseignants ou personnels d’encadrement titulaires et sur le versement de subventions,

–          3) les établissements homologués simples, gérés par des sociétés de droit privé étranger, et n’ayant passé avec l’AEFE aucune convention particulière.

Durant l’année scolaire 2014/2015, le réseau des établissements d’enseignement français à l’étranger assurait la scolarisation de 330 000 élèves dont environ 124 000 Français, dans 135 pays. 

L’objet de l’AEFE est notamment :

 « 1° [d]’assurer, en faveur des enfants de nationalité française résidant à l’étranger, les missions de service public relatives à l’éducation », (…) « 4° [d]’aider les familles des élèves français ou étrangers à supporter les frais liés à l’enseignement élémentaire, secondaire ou supérieur de ceux-ci, tout en veillant à la stabilisation des frais de scolarité » et « 5° [d]’accorder des bourses aux enfants de nationalité française scolarisés dans les écoles et les établissements d’enseignement français à l’étranger dont la liste est fixée par arrêté conjoint du ministre chargé de l’éducation nationale, du ministre chargé des affaires étrangères et du ministre chargé de la coopération. » (Article 2, loi no 90-588 du 6 juillet 1990). 

Pierre Ciric
Pierre Ciric

Lesfrancais.press : Bonjour et merci d’accepter de nous recevoir pour cette interview. Vous êtes avocat au barreau de New-York mais aussi un expatrié depuis 33 ans aux Etats-Unis. Vous avez été particulièrement attentif à la gestion du réseau scolaire à l’étranger. Pouvez-vous nous rappeler rapidement les combats que vous avez déjà menés contre l’AEFE ?

Pierre Ciric : Parent d’élève au lycée français de New York de 1999 à 2016 (mes 3 enfants y ayant fait toute leur scolarité), j’y fus Président de l’Association des Parents d’Elèves (« APL ») de 2002 à 2004.  Depuis 2003, j’ai effectivement mené, au titre de Président de l’APL, de parent d’élèves, et de mandataire pour d’autre familles, plus d’une dizaine de procédures administratives et pénales concernant le mode de fonctionnement de l’AEFE.   Ces procédures ont notamment impliqué le fonctionnement du barème des bourses scolaires, les règles d’attribution établies par l’AEFE concernant le programme de Prise En Charge des Frais de Scolarité (en place de 2009 à 2012), ou l’imposition de diverses redevances par l’AEFE sur les établissements scolaires.  Certaines de ces procédures sont toujours en cours.

Ces procédures m’ont permis d’appréhender la réalité complexe et diverse de l’ensemble du réseau et de son évolution, dans la mesure ou les règles de fonctionnement administratives françaises impactent toutes les écoles françaises dans le monde.

 

Lesfrancais.press : Vous avez été parmi les premiers à réaliser l’impact de la crise sanitaire liée à la Covid-19 sur notre réseau scolaire à l’étranger ? Avez-vous été convaincu par le plan proposé par le gouvernement ?

Pierre Ciric : L’expérience de ces contentieux a permis de réaliser la grande fragilité financière de ces établissements à peu près partout dans le monde. Cette sous-capitalisation générale est notamment due à la présence de plusieurs systèmes de redevances et ponctions financières, suivant le type d’établissement, faisant remonter des sommes colossales à Bercy, et ce sans aucune base juridique.  Cette sous-capitalisation chronique est à contraster avec la situation du système universitaire français, soutenu directement ou indirectement par l’Etat, ou du système américain, souvent sécurisé par les donateurs privés (et le système des « endowment funds. »).  La pandémie ne pouvait que précipiter certains établissements dans une crise financière aigue, avec un risque significatif de faillites dans certains pays (Asie, Liban, etc.).  Il aura fallu de nombreuses semaines pour que les élus consulaires et les parents d’élèves fassent remonter les informations à un MEAE (« Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères ») sceptique concernant la gravité de cette situation.  Les annonces du MEAE (communiqué de presse du  30 avril 2020, disponible ICI et celles du Parlement par l’intermédiaire des votes du PLFR (« Projet de Loi de Finances Rectificatives ») 2 et des propositions inclues dans le PLFR 3 démontrent certains points.

Tout d’abord, la machine administrative française, du fait de sa centralisation au niveau de l’AEFE et du MEAE, et à la merci de tous les chantages de Bercy, est clairement mal calibrée pour amener une réponse rapide et agile dans les zones où les établissements sont le plus en danger. La multiplication des usines à gaz dans les dispositifs d’aide, combinée avec la priorité mise sur des prêts remboursables (avance France Trésor) risque fort d’achever l’affaiblissement, voire la destruction de la présence scolaire française dans certains pays.

De plus, la réponse parlementaire provenant de l’assemblée nationale démontre, non seulement une ignorance hallucinante des députés concernant le fonctionnement du réseau, mais également un abandon manifeste de sa responsabilité concernant le contrôle financier de l’AEFE (voir exposé des motifs de l’amendement N°CF924 ).  Le sénateur Leconte a d’ailleurs eu bien raison de relever ce point dans un récent post Facebook.

 

Lesfrancais.press :  Alors que de nombreux parents d’élèves sont actuellement en conflit avec de multiples lycées et collèges pour le règlement du 3ème trimestres 2019-2020, quelle est votre analyse de professionnel sur les plaintes qui ont déposées ? Quels moyens pour ces parents pour résister à la pression de certains directeurs menaçant d’exclure l’enfant pour les années à venir ?

Pierre Ciric : le passage de l’enseignement présentiel à l’enseignement en ligne dans des établissements payants entraine obligatoirement une attente de la part du client concernant une modification des termes associés au contrat qu’il a signé, nonobstant le fait que le parent devient le professeur bis, voire le professeur principal ! Ni l’AEFE, ni la MLF ne peuvent éluder cette question pour de multiples raisons.

Tout d’abord, ni l’AEFE, ni la MLF, n’ignorent que les augmentations considérables des frais de scolarité durant les dernières années ont achevé de transformer les parents d’élèves en consommateurs exigeants d’un produit commercial soumis au droit contractuel !  Ensuite, il est impossible de distinguer l’enseignement en ligne « forcé » du produit CNED, dont le prix est bien évidemment très inférieur !  Ensuite, il est évident que les refus répétés de l’AEFE et de la MLF de modifier les termes financiers ont bien moins à voir avec la gestion des soi-disant couts incompressibles des écoles qu’avec l’impact significatif que ces modifications auraient sur les rentrées financières dont bénéficient ces deux operateurs sous la forme des redevances et autres ponctions qu’ils imposent indument ! Pour finir, vous observerez que plus d’une centaine de collèges américains, publics ou privés d’ailleurs, ont été poursuivis en justice devant les tribunaux américains (sous la forme de procédures de type « class action ») précisément pour les mêmes raisons, à savoir l’absence d’un quelconque remboursement partiel alors que la modification de l’offre éducative était considérable du fait de la pandémie.

Enfin, les décisions d’exclusion sous peine de non-paiement, techniquement justifiées dans un univers parfait, revêtent un caractère particulièrement absurde, alors que les réductions d’effectif pour la rentrée pourraient se révéler destructrices pour les établissements dans un certain nombre de pays.

Pour finir, on voit bien que les refus répétés de l’AEFE et de la MLF aux attentes des parents ont rompu de façon durable le lien de confiance avec eux, si tenté que ce lien existait avant la pandémie.  Les considérations financières des opérateurs rendent donc aveugles les décideurs prêts à sacrifier la viabilité à long terme du réseau sur l’autel des caisses de Bercy !

 

Lesfrancais.press :  Un nouveau gouvernement se prépare à relever ces défis ? Pour vous quels sont les chantiers prioritaires et quelles seraient les solutions à mettre en place rapidement ?

Pierre Ciric : un nouveau gouvernement, surtout avec le même casting au Quai d’Orsay, ne changera hélas rien à la situation.  Les parents paient aujourd’hui 30 ans de trahison de l’esprit et de la lettre de la loi de 1991 fondant l’AEFE.   Toutes les conditions nécessaires à l’équilibre et à la croissance du réseau y étaient présentes (bourses scolaires permettant l’accès aux élèves français, continuité du système éducatif au bénéfice des expatriés français, stabilisation des frais de scolarité, etc.).  Tous ces éléments ont été progressivement abandonnés ou carrément sapés par l’Etat, avec la bienveillance des législatures successives : bourses scolaires inaccessibles, frais de scolarité en plein explosion, destruction de la continuité éducative.

Enfin, concernant les solutions à la crise du réseau, au lieu de s’évertuer à inventer des nièmes usines à gaz aux fins de distribuer des aides dont on sait très bien qu’elles ne seront jamais demandées par ou accordées aux écoles, il suffirait tout simplement à Bercy de rembourser intégralement les 5 dernières années de redevances prises à chaque école ! Plus simple, plus équitable, et meilleur ciblage que les tribulations et marchandages sans fin entre les fonctionnaires de Bercy/MEAE d’une part, qui n’ont aucun problème de sécurité de l’emploi, et des écoles qui aujourd’hui, jouent véritablement leur survie !

 

 

 

 

 

 

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