C’était dans les tuyaux. On en parlait depuis l’explosion du port de Beyrouth et des voyages du Président de la République au Liban. Une des portes de sortie de la crise libanaise était un accord avec Israël, qui passerait d’abord par le gaz.
Il n’y a aucun conflit de fond entre le Liban et Israël, depuis que ce dernier s’est retiré de la bande qu’il occupait au sud Liban jusqu’en 2000. Une mémoire douloureuse. Mais une paix officielle avec Israël était impossible : aucun gouvernement ne pouvait l’assumer, si tant est qu’il y eut des gouvernements. Surtout, le Hezbollah s’y opposait.
Le premier pas devait être un accord sur la délimitation des champs gaziers sous-marins au large des deux pays. Mais la discussion était bloquée depuis deux ans pour la même raison : Nasrallah, le chef du Hezbollah, avait publiquement prévenu qu’il s’y opposerait.
La guerre d’Ukraine change la donne
Israël avait alors décidé de commencer à exploiter seul sa partie, le champ de Karish. Le Hezbollah menaçait alors de lancer des opérations. Pas d’exploitation israélienne en mer sans que le Liban puisse faire pareil. L’armée israélienne a des capacités de rétorsion, mais rares sont les compagnies qui ont envie de prospecter sous la menace d’attentats.
Aussi les discussions trainaient-elles. Ce qui a changé la donne, c’est bien évidemment la guerre en Ukraine. Et cette fois, elle a conduit à faire un pas vers la paix.
Bien sûr, il y a l’augmentation du prix du gaz, ce qui accroit l’intérêt d’un accord et pousse à l’exploitation le plus rapidement possible des champs gaziers. Il y a aussi la ruine accentuée du Liban, qui trouverait dans la concession des champs une ressource financière immédiate, même s’il faut attendre quelques années avant l’exploitation. Mais les intérêts n’auraient pas suffi à outrepasser le veto du Hezbollah, c’est-à-dire le veto iranien.
Un accord israélo-syrien a coupé la route de l’approvisionnement iranien
C’est le retrait progressif russe de Syrie qui a changé la donne. Avec l’Ukraine, les positions russes en Syrie ont été réduites. Israël et la Syrie ont donc conclu un accord : les Israéliens cessent d’attaquer les aéroports syriens et les bases de l’armée syrienne, à condition que la Syrie ne reçoive plus d’armes des Gardiens de la Révolution à destination du Hezbollah.
Israël a tout loisir de bombarder ailleurs, y compris l’Iran. L’accord est respecté. Alors qu’Israël menait des opérations chaque semaine depuis deux ans, plus aucun aéroport n’a été visé. Aucune arme ne vient plus d’Iran. Ce qui signifie que le Hezbollah se retrouve isolé, et n’avait plus vraiment les moyens de s’opposer à un accord de délimitation des champs gaziers.
Le Hezbollah isolé a accepté l’accord
D’autant que les États-Unis, mais aussi la France, qui a joué un rôle actif dans le dossier, poussaient. Le Président français a été sollicité jusqu’au dernier moment. Aussi bien par les Israéliens que par les Libanais. Le médiateur américain, Amos Hochstein, qui est aussi l’interlocuteur des Saoudiens sur le volet énergétique, a demandé un dernier effort au gouvernement israélien, qu’a accepté Yaïr Lapid. La ligne de partage correspond à celle demandée par le Liban en 2011 auprès de l’ONU.
Mais ce dernier a aussi ses problèmes : son principal opposant, Benyamin Netanyahou, s’est dit opposé à l’accord. Lapid aurait trop cédé. D’autant que Netanyahu est un soutien de Trump, pas d’Obama ni de Biden. Surtout, les élections israéliennes ont lieu le 1er novembre. Aussi la Cour suprême s’interroge pour savoir si le gouvernement intérimaire, chargé des affaires courantes, a le droit de conclure un accord avant l’élection.
Côté libanais, c’est l’ancien ministre de la Défense Elias Bou Saab, vice-président du Parlement (et époux de la chanteuse Julia Boutros), fidèle de Michel Aoun, qui a négocié l’accord.
Au-delà de l’accord gazier, le plus marquant est l’accord lui-même. Il reconnait des droits de propriété et une quasi frontière, ce qui est une forme de reconnaissance.
Israël mène déjà une coopération gazière avec l’Egypte et la Jordanie. Il s’est associé à la Grèce et à la France pour défendre les champs de gaz de Chypre face à la Turquie. Il a signé un accord avec la Commission européenne pour fournir du gaz à l’Europe. Il milite pour la construction de l’EastMed, un gazoduc de 5000km et de 7milliards de $ qui lierait l’Egypte, Israël, Chypre et l’Europe.
Total et ENI exploiteront le champ de Cana, dévolu aux deux tiers au Liban, et versera une quote-part à Israël. Mais l’exploitation ne pourra pas commencer avant six ans.
Le Liban ne peut compter sur cette future manne pour régler ses problèmes. C’est l’inverse qui est en train de se passer : régler le problème des frontières peut permettre au Liban d’amorcer un pas avec Israël. Ce serait la meilleure option pour un pays ruiné, exsangue, avec une population qualifiée, où le niveau de vie moyen (2670$) est désormais inférieur à celui des Palestiniens de Cisjordanie et Gaza (3660$).
Ce n’est pas le gaz qui sauvera le Liban, la paix peut-être.
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