A la question allemande, réponses françaises

A la question allemande, réponses françaises

« Deutschland über alles » ? (L’Allemagne par-dessous tout ?)
Dès 1954, la RFA a retiré ces paroles de son hymne national, qui commence désormais par : « Unité, Justice et Liberté », triptyque qui pourrait s’appliquer à l’Europe. Pourtant, l’Allemagne devient peu à peu « über alles » (au-dessus de tous) en Europe, d’où la question allemande.

Olaf Scholz avait parlé, dès août 2022, du devoir de l’Allemagne de faire face à ses responsabilités, avec une véritable « weltanschauung » (vision du monde). Vision allemande ou européenne ? L’Allemagne décide sans consulter ses partenaires, à commencer par le plus proche : la France. 

Sortie du nucléaire, ouverture des frontières aux migrants syriens, augmentation du budget militaire de 100 milliards d’euros, création d’un bouclier anti-missile, plan de soutien à l’économie allemande de 200 milliards, toutes décisions unilatérales sur l’énergie, la défense, l’immigration, l’économie, questions communes à l’Europe. 

Aujourd’hui, le conflit franco-allemand sur le nucléaire tient moins à l’idéologie (les renouvelables face au nucléaire), qu’à la manne des subventions, à l’économie. L’industrie allemande s’inquièterait-elle des bas prix de l’énergie nucléaire, ce qui fut longtemps pour les Français un avantage ? Préfère-t-elle encore ses usines à charbon, sa dépendance hier au gaz russe, demain aux métaux rares chinois, au GNL américain ? Etrange, inquiétante attitude. 

La première armée européenne sera la Bundeswehr.  

L’Allemagne, par sa puissance économique, financière (sans l’Europe, la France tiendrait-elle ?), ses investissements en Europe de l’Est, est devenue le pivot de l’Europe. Elle est favorable à l’extension de l’UE à la Moldavie et aux pays des Balkans. L’extension de l’OTAN à la Suède et la Finlande, voire à l’Ukraine, en font la garante de l’ordre européen à l’est ; à condition de s’appuyer sur le lien transatlantique, et non sur une « autonomie stratégique » qu’elle n’entend que comme une ritournelle française. 

La première armée européenne sera bientôt la Bundeswehr. Mais sans la puissance nucléaire. Elle agira en coopération étroite avec les Etats-Unis. Le Fonds spécial de Défense allemand, après une modification de la loi fondamentale, est hors budget. L’Allemagne financera 80 milliards d’équipements par an, c’est-à-dire plus du double de ce que prévoit la nouvelle loi de programmation militaire française, puisqu’elle ne supporte pas l’entretien de la dissuasion nucléaire, qu’elle n’a pas de marine, qui sont les atouts de la France.  

©AdobeStock

Si l’Allemagne choisissait de constituer avec la France un pôle européen de défense, une industrie européenne, comme cela serait possible avec l’avion et le char du futur, alors on pourrait parler de continuité dans l’esprit du Traité de l’Elysée de 1963, qui constituait le « couple franco-allemand », socle de l’Europe. Les freins mis à cette coopération, les premiers achats allemands aux Américains ne confirment pas cette direction.

Le problème allemand n’est que l’autre face du problème français.

La démarche solitaire allemande a une cause : la faiblesse française. Tandis que la France est endettée à hauteur de 3000 milliards, que la dette atteint 112% du PIB, que le gouvernement cherche désespérément 10 milliards d’économies, le gouvernement allemand fait voter un budget avec une réduction de dépenses de 30 milliards, l’endettement de l’Allemagne est revenu à son niveau d’avant crise : 66% du PIB. L’Allemagne empruntera l’an prochain 16 milliards d’euros, la France 270. Le problème allemand n’est que l’autre face du problème français.

Y a-t-il une politique alternative pour l’Europe à l’alliance franco-allemande ? Celle de l’Europe allemande, alliée aux Etats-Unis. La sécurité sera assurée, le commerce, les investissements, les relations avec la Chine aussi. La France y aura sa place, vieille cousine que l’on ne veut pas vexer. Evidemment, ce n’est pas l’Europe. Evidemment, dans un tel cadre, tout le monde pourrait venir, voire les Britanniques et le Canada. Évidemment, au bout d’un certain temps, ce sera une impasse. Les Etats européens se livreront à une surenchère des intérêts nationaux, hors de tout esprit européen, en échange de leur soumission. Les institutions européennes auront de plus en plus de mal à imposer leurs règles de droit. Cela dépendra du Chancelier (et du chéquier) allemands. 

Cette Europe-là ne correspondra plus à grand-chose. Elle ignorera, en grande partie, le monde. S’occupera de commerce, verra de loin l’Afrique, le Moyen Orient, le Pacifique, la Méditerranée, laissant toute gestion géopolitique aux États-Unis.

Croire, quand on est tchèque, belge, italien, polonais, qu’il serait possible de faire l’Europe sans laisser à la France une place correspondant à son Histoire et à son influence, serait faire preuve d’ignorance et de naïveté. Quand le premier ministre polonais se plaint en disant qu’en Europe, il y a certains pays qui sont plus égaux que d’autres, c’est exact, et nécessaire : il ne faut pas craindre de l’avouer, de le revendiquer. Il faut un pilotage politique à l’Europe, il ne peut être que franco-allemand. 

Le projet européen porte une ambition de civilisation, de création d’une forme politique nouvelle, agile, adaptable. Sans la France, à quoi cela peut-il correspondre ? L’Europe peut se passer du Royaume-Uni, et d’autres, elle ne peut se passer de la France, de son influence.

Y a-t-il une politique alternative pour la France ?  

Encore faut-il que la France ait une politique à partager. Encore faut-il que, comme tout grand pays, elle ait plusieurs options politiques pour elle-même. L’existence de politiques alternatives est un moyen de pression politique.

Y a-t-il une politique alternative pour la France ? La France seule sera la 25ème puissance mondiale dans 25 ans. Elle fera partie, du point de vue technologique, scientifique, des pays récepteurs, qui bénéficieront des investissements et technologies extérieurs, sans les avoir créés. Elle paiera tribut aux entreprises étrangères, que ce soit pour l’IA, l’économie digitale ou autre. Sa puissance militaire sera émoussée, celle-ci dépendant d’investissements de plus en plus onéreux, de technologies étrangères.

Les discours « souverainistes » sont au mieux illusoires, au pire pathétiques 

Sans l’Europe, elle serait incapable de faire face à sa dette. Elle n’a pas le choix d’autres alliances, puisqu’elle a échoué à constituer un réseau d’alliés en Méditerranée, a perdu l’Afrique, perd son influence au Moyen-Orient, a boudé le Royaume-Uni, conserve autant d’atouts dans le Pacifique que de risques. Elle n’a pas d’alliés de rechange viable ni en Europe et hors d’Europe, à la mesure de l’Allemagne, ou… des États-Unis. Tous les discours « souverainistes » sont au mieux illusoires, au pire pathétiques. Pas d’indépendance de la France sans alliances. Les soi-disant gaullistes devraient relire De Gaulle. 

Quand on voit l’Italie organiser une conférence sur les migrations en Méditerranée, avec une vingtaine de dirigeants, sans la France, on regrette le temps perdu. C’est la France qui devait, depuis des années, proposer une politique pour la Méditerranée, pour les migrations, les trafics, l’énergie, la biodiversité, les routes commerciales. N’est-elle pas la première puissance méditerranéenne ? Combien de fois faudra-t-il le crier ?

Le problème français est pire que le problème allemand. Car les Allemands vont, involontairement, aveugler l’Europe en affirmant leur puissance. Mais les Français seront entraînés dans un bourbier qu’ils seront incapables de résoudre tout en se plaignant. 

Paradoxalement, l’avenir dépend plus des Français que des Allemands. Car des Allemands reviendrait, par réalisme et intérêt, au couple franco-allemand si celui-ci pouvait exister dans la durée. Ce sont des Français que tout dépend. La France sera-t-elle capable de se redresser, ou non ? 

Il ne faut pas considérer le redressement comme une purge, une restauration -c’est l’erreur des réactionnaires- mais comme une audace.

La France peut-elle avoir l’ambition de repenser son Etat ?  

Il faut une politique de libération : la fiscalité sur le salarié moyen s’élève à 54,1 % en France en 2023. Dans l’UE, le taux réel d’imposition du salarié est à 44,1 %. Malgré ces records de prélèvements, la France sera le seul pays de l’UE à ne pas ramener son déficit sous la barre des 3 % en 2026. L’Italie ou l’Espagne, qui avaient des niveaux de déficit plus élevés en 2022, y sont arrivées.

La France peut-elle avoir l’ambition de repenser son Etat ? Education, formation, fiscalité, organisation territoriale, logement, santé, énergie, relations sociales, subventions, prestations, prestations, relations sociales ? Est-elle capable, comme elle le fit parfois, de s’imaginer comme un « modèle », à commencer par sa réglementation, confuse et abusive, son administration ? Est-elle capable de rattraper son retard démocratique ? Dans les différents classements de la démocratie, la France ne figure plus parmi les vingt premiers. C’est peut-être la clef : les grandes réussites sont toujours liées aux libertés, à la capacité d’agir et d’imaginer des citoyens, à l’obligation de l’administration de rendre des comptes et non l’inverse.  

Libérer la France des carcans qui l’entravent, faire participer les citoyens aux décisions qui les concernent, voilà une politique de libération nationale qui fera de la France non plus un pays débiteur mais un pays créateur. 

L’avenir de l’Europe, d’une grande partie du monde, dépend de la réponse française à la question allemande. Ces réponses, elles sont en France. Quelle chance !

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. ambassadeur de France

a. député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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