A bas l’ « à bas l’abaya »

A bas l’ « à bas l’abaya »

Rentrées politique et scolaire se seront faites sur ce sujet fondamental : l’abaya. Cette robe longue traditionnelle dans les pays musulmans, bien avant qu’ils soient musulmans, depuis 4000 ans, a dû aussi être portée par la Vierge Marie. Depuis elle a pris la robe bleue étoilée d’Isis, devenue le drapeau européen. Personne ne vient de nulle part. L’école enseigne du passé ce qu’il a de meilleur : les conquêtes de l’esprit humain, les beautés du savoir, la recherche de l’excellence, les moyens de vivre libre. Et l’abaya, ce manteau désuet et un peu ridicule, porté par une provocation infantile, serait détenteur de tant de magie qu’il en deviendrait une menace pour la République ? 

La principale question de la rentrée scolaire n’est pas la baisse de la qualité de l’enseignement, mais l’abaya.

« Disons-le clairement : le niveau d’ensemble baisse », alertait l’ancien ministre Pap Ndiaye. Erreur : La principale question de la rentrée scolaire n’est pas la baisse générale de la qualité de l’enseignement en France, mais l’abaya. « Environ 21 % des élèves âgés de 15 ans n’ont pas un niveau suffisant de compétences en compréhension de l’écrit, culture mathématique et culture scientifique », résume une étude de l’Éducation nationale. « Ils ne sont pas capables d’utiliser leurs compétences en lecture pour acquérir des connaissances et résoudre des problèmes pratiques ». À cause de l’abaya ? À moins que ce soit cette déficience de lecture, de connaissance, qui permette l’obscurantisme de l’abaya…

15 millions d’heures d’enseignement perdues en raison de « l’incapacité du système éducatif à remplacer les professeurs absents, qu’ils soient malades ou mobilisés par la formation ou les corrections d’examens ». « À l’entrée en 6e, 20 % des élèves sont en difficulté scolaire, voire en grande difficulté scolaire ». Constat de l’Education nationale sur elle-même. Il faudrait une révolution d’un système sclérosé. 

À défaut de politique, on agite des symboles. Et cette esbroufe marche.

Selon les classements internationaux, le niveau des élèves en maths et en sciences est le plus bas d’Europe. La France est avant-dernière sur 45 pays étudiés dans le monde. Selon l’OCDE, cette même France régresse lentement mais sûrement depuis 2000. Ni le renoncement de milliers de professeurs, ni le manque de candidats aux concours de recrutement, ni la constitution de ghettos scolaires, ni l’essor parallèle de cours privés pour pallier le défaut de l’instruction, ni la reproduction amplifiée des inégalités, toutes ces questions passent derrière ce défi : quelques gamines dans quelques familles rétrogrades qui se présentent en robe à connotation sinon musulmane, du moins étrangère à notre culture, l’abaya ! À défaut de politique, on agite des symboles. 

Et cette esbroufe marche. Un temps. 80% des Français sont favorables à cette mesure. C’est dire si elle est plus que populaire : démagogique. Est-ce que vraiment l’abaya est une menace pour l’école et la culture française ? Combien de jeunes filles se présentent en abaya dans les écoles ?  0,0001% des élèves. Le diable s’habille en abaya ! En fait moins, selon, le ministre, qui se gagne une belle popularité par cette facilité : 298 cas, sur 12 millions d’élèves. Quel écho ! Mondial. Bravo.

Une Commission américaine du Congrès dénonce : « Dans un effort malavisé pour promouvoir la valeur française de laïcité, le gouvernement empiète sur la liberté religieuse (…) La France continue d’utiliser une interprétation spécifique de la laïcité pour cibler et intimider les groupes religieux, en particulier les musulmans ». Voilà pour les Américains, sans doute islamophiles.

Les Islamistes auraient voulu une publicité mondiale, qu’ils n’aurait pas rêvé mieux.

Qu’en pense-t-on dans les pays musulmans, où l’on sait que l’abaya n’est pas religieuse ? Stupeur. Ou joie : les islamistes se frottent les mains. Ils auraient voulu une publicité mondiale, qu’ils n’aurait pas rêvé mieux. Les réseaux sociaux s’activent contre la France. 

Quand le Roi du Maroc ou l’Émir du Qatar viendront à l’Élysée, leur intimera-t-on d’enlever leur qamis (équivalent masculin de l’abaya) dans ce temple républicain ? 

Craint-on la propagande islamiste en France ? Ce n’est pas parce que l’extrême gauche défend, par électoralisme, les islamistes même antisémites, qu’il faut abandonner notre tradition, celle de la raison et de la liberté. La liberté, c’est de tolérer ce avec quoi l’on est en désaccord. La liberté, c’est d’accepter celle des autres. 

abaya

L’islam menacerait de s’étendre ? La France a gouverné des dizaines de pays musulmans, ils sont restés musulmans. La Turquie a gouverné bien des pays chrétiens, ils sont restés chrétiens (Grèce, Bulgarie, Serbie, Macédoine). Habituellement, les conquérants imposent leur foi. Notons encore que la Chine est devenue (en partie) bouddhiste sans qu’un seul Hindou n’y fasse du prosélytisme. Les faits religieux sont plus compliqués qu’on ne le croit. La France n’a aucune chance de s’islamiser. C’est l’inverse : l’Islam traditionnel, en Arabie saoudite, en Iran, est attaqué de toute part par les valeurs et les images (souvent dénudées) occidentales.

Demandera-t-on aux garçons (et aux professeurs) de se raser la barbe ? N’est-ce pas un signe d’islamisme ? Le corps des femmes, leur vêtement, est toujours une cible.

Il y a bien des polices religieuses. En Iran, les femmes se battent avec un courage et une ténacité admirables contre un régime qui instaure justement une « police du vêtement ». Les aide-t-on ? De quel droit ces mollahs disent-ils aux femmes comment s’habiller ? De quel droit un ministre dit, en France, aux collégiennes comment s’habiller ? Toujours les femmes, bien sûr. Demandera-t-on aux garçons (et aux professeurs) de se raser la barbe ? N’est-ce pas un signe d’islamisme ? Le corps des femmes, leur vêtement, est toujours une cible : trop couvert ou trop nu. 

Demandera-t-on aux écoles, en Italie, de retirer les crucifix ? La Cour Européenne des Droits de l’Homme, l’a justifié. Un peuple aussi intelligent, aussi cultivé que le peuple français doit-il se réjouir que la décision d’un seul, fut-il ministre, c’est-à-dire serviteur, s’applique à tous ? Sommes-nous à ce point habitués à ce que le gouvernement décide de tout ? Sommes-nous à ce point incapables d’édicter, selon chaque école, selon chaque cas, un règlement intérieur ? Sommes-nous à ce point incultes ? Nos valeurs sont-elles à ce point floues qu’on ne puisse enseigner à des gamines la grandeur, la beauté, l’excellence de la liberté, de la diversité, de la culture, de la science, d’une littérature libératrice ? Enseigner à nouveau Racine, Corneille, Pascal, Montesquieu, Baudelaire, Valéry, est-ce impossible, plutôt que des livres « à portée des enfants », comme s’ils étaient des imbéciles ?

Si l’on n’ose plus, dans certaines classes, parler de la Shoah, est-ce à cause de l’abaya ou de la lâcheté, de l’inculture ?  

Si l’on n’ose plus, dans certaines classes, parler de la Shoah, est-ce à cause de l’abaya ou de la lâcheté, de l’inculture ? Et n’est-ce pas aveuglement et lâcheté que cette rupture du lien de confiance entre enseignants et élèves qui permet ce fléau du harcèlement scolaire ? Un jeune homme de quinze ans s’est pendu cette semaine. Ce n’est pas le premier. C’est l’humanité qui manque, pas le règlement. 

Croit-on que seul l’interdit fonctionne ? C’est encourager la rébellion, la provocation, créer de nouveaux problèmes, ignorer les conséquences d’un tel abus. Puisque l’on interdit un vêtement, obligera -t-on – car l’on n’enseigne que par l’exemple – les professeurs à porter un costume ? 

Déjà, des voix se font entendre pour imposer l’uniforme aux élèves. Cela éviterait les concours de marques et de mode dans les cours de récré. Des départements, sans doute avant-gardistes, se portent volontaires. L’école du XXIème, celle de la révolution digitale, se fonde certainement sur l’uniforme !  Jamais la République n’en a eu besoin. Sinon une blouse pour éviter les tâches.

Interdire, uniformiser, telle serait la réponse à la complexité, à la multiplicité du monde.  

Le défi scolaire de demain, c’est créer une école qui donne les moyens d’apprendre, qui apprenne à apprendre, pour que chacun ait ses chances dans cette nouvelle civilisation de la connaissance qui ouvre des perspectives aussi infinies qu’inconnues. Et effrayantes : des réseaux pédophiles paient gamins et gamines pour filmer leur sexe en échange d’argent de poche. Que le gouvernement s’occupe d’une convention internationale sur la circulation de ces images à travers le monde. Qu’il programme un enseignement aux « images ». Un enseignement à cette école du monde que sont les écrans : un enfant passe plus de temps devant les écrans qu’à l’école, qui l’ignore ? Interdire encore ? Interdire la télé ! 

Interdire, uniformiser, telle serait la réponse à la complexité, à la multiplicité du monde. Quel aveuglement, quel renoncement. Quelle hypocrisie.

L’islamisme, comme la bêtise, comme le fanatisme, se combat par la pensée, pas par la police. Par la culture, pas par l’uniforme. Par la liberté, pas par l’interdit. Aujourd’hui, tout le monde, en France, crie « à bas l’abaya ». 

En attendant c’est de l’école qu’il s’agit. La grande dégringolade des programmes entamée voici bientôt 40 ans a réduit la méritocratie à l’état d’illusion. Elle menace le pays de déclassement. Regarder vers le haut, jamais vers le bas. La démagogie est le véritable ennemi de la démocratie.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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