Un an que le coronavirus sévit. Un virus qui tue, un virus qui rend fou[1]. Après une année d’hésitations, de contradictions, d’errements -que l’on peut comprendre sans être obligé de les approuver- on pouvait penser que l’habitude d’une crise apporterait une relative sérénité. C’est le cas. En bas. La population supporte, s’organise, s’entraide. Les entreprises fonctionnent, les services publics, à commencer par l’hôpital et l’école, font face.
L’ivresse des sommets perturbe le sens commun
En haut, c’est l’inverse. L’ivresse des sommets perturbe le sens commun. La campagne de vaccination démarrait à peine (3%), les messages anxiogènes effeuillaient la marguerite du confinement –un peu, beaucoup, passionnément, à la folie-, voilà que le Président de la République, tout de blouse blanche vêtu, surprend encore son gouvernement en suspendant l’usage de l’Astrazeneca.
La veille, le Premier ministre expliquait pourtant que sur « cinq millions de personnes vaccinées en Europe avec AstraZeneca, trente ont présenté des troubles de la coagulation”, « un chiffre qui n’est pas supérieur à la normale », ajoutait-t-il avec un sourire qui engageait à la confiance.
En fait, 48 heures après la vaccination, huit graves cas de coagulation, dont 4 décès, ont été recensés en Europe. Pour l’instant, aucun lien de causalité n’a été confirmé entre la vaccination et ces pathologies. Mais la rareté de ce type de thromboses a provoqué l’alerte. Selon l’Agence Européenne de Médicaments, la fréquence de ces thromboses n’est pas supérieure avec l’Astrazeneca que dans la population en général. Logiquement, on suppose qu’elle est donc la même avec les autres vaccins. Et il semble que ce soit le cas. Tous les vaccins devraient-ils être suspendus ? Sinon, pourquoi l’Astrazeneca seulement? Et si l’Astrazeneca a été indument autorisé, que penser de ceux qui donnent ces autorisations ?
Demain, quel crédit pour demander à la population de se faire vacciner ?
Gerdons notre sang froid : Si les décès en question étaient effectivement la conséquence de la vaccination, le taux de décès serait alors inférieur à 1 pour un million de vaccinations. Le virus, lui, provoque 7500 décès par million de contamination. La balance coût-avantage conduira donc l’Agence à valider une nouvelle fois l’Astrazeneca. Comme l’OMS, qui a réaffirmé qu’ « il n’y avait pas de raison pour ne pas utiliser le vaccin. » Mais, demain, quel crédit auront ces institutions et ces dirigeants pour demander à la population de se faire vacciner, quel que soit, d’ailleurs, le vaccin ?
Et si l’Agence confirmait les doutes ? Les cinq millions de personnes vaccinés ne seraient elles pas en droit de porter plainte ? Comment utiliser un vaccin sans être certain de son innocuité ? On reproche justement aux Russes, aux Chinois d’avoir commencé à vacciner en brûlant les étapes. L’enjeu de la vaccination n’est pas que médical. Il apparait comme le seul outil, pour l’instant, capable d’autoriser un retour à une vie normale, tant la peur est profonde. Le seul moyen d’éviter une catastrophe de santé publique en raison des reports d’examen médicaux et des effets psychiatrique de cette oppression qui n’en finit pas. Sans parler de la catastrophe économique.
Une décision pour ne pas être isolé
On dira, outre la désastreuse communication et l’atteinte à la crédibilité de la parole publique, que la France n’est pas la seule à avoir suspendu le vaccin Astrazeneca. Elle a suivi l’Allemagne, comme l’Italie et l’Espagne. L’Irlande, le Danemark, la Norvège, la Bulgarie et les Pays-Bas avaient déjà pris cette mesure le 8 mars. C’est d’ailleurs pour ne pas être isolé que Macron aurait pris cette décision, prenant son Premier ministre à contrepied. Il voulait éviter « trois jours de stress », avant la nouvelle communication de l’Agence Européenne du Médicament. Elle répétera encore une fois jeudi comme elle l’a fait hier que “les bénéfices du vaccin AstraZeneca sont supérieurs aux risques d’effets secondaires” (comme c’est la règle pour tout médicament). Si elle dit autre chose, elle ferme.
Un choc de défiance monumental
A l’Elysée, on explique qu’on s’aligne surtout par souci de « cohérence européenne ». Cohérence, ce n’est pas le mot qui vient immédiatement à l’esprit. L’Elysée attendrait même de la décision positive de l’Agence, un « choc de confiance ». Pour l’instant, c’est un choc de défiance monumental. On a le choix entre : « Oh, excusez-nous, on s’est trompé de vaccin ». Et « Oh excusez nous, on a cru que c’était dangereux mais c’était une erreur ». A quel moment est-on sûr qu’ il n’ya pas d’erreur ?
A se demander si derrière tout cela il n’y a pas simplement le soulagement de trouver des dérivatifs aux ratés de la campagne de vaccination.
En attendant, le feuilleton du confinement continue. Le Premier ministre expliquait vendredi que l’Ile de France n’était pas encore confiné car elle restait en dessous du seuil des « 400 cas pour 100 000 habitants ». Le mardi, le seuil était dépassé, mais on ne confine pas. Le seuil, c’était une façon de parler. S’ils pouvaient se taire un peu, qui sait, la confiance reviendrait.
Jouent-ils, au sommet, la vaccination, le confinement, le couvre feu, -c’est-à-dire les libertés publiques-, au gré des humeurs? « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés[2] ». Du virus de la panique, c’est certain. Ils devraient tous se confiner.
[1] Titre du livre de Bernard Henri Lévy, « Ce virus qui rend fou », Grasset.
[2] Les Animaux malades de la Peste, La Fontaine.
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