La guerre, c’est fini. La Russie ne prendra pas l’Ukraine. La France se retire du Mali. Les Etats-Unis ont quitté l’Afghanistan. La quasi-totalité des interventions extérieures ont été des échecs à long terme. Est-ce à dire qu’il n’y aura plus de guerre ? Il n’est que voir l’Ethiopie, la Syrie, le Yémen pour constater que la guerre ne quittera pas de sitôt la surface du globe. En revanche, l’idée que la guerre est un mode de règlement entre puissances est une idée obsolète.
Poutine démontre qu’une intervention militaire n’apporte rien, sinon le malheur et la honte. Lui -et la Russie- sortiront affaiblis de l’intervention. Si, du côté russe, on pouvait concevoir l’insurrection de Maïdan comme un coup d’Etat, alors un coup d’Etat en Crimée ou au Donbass eut permis une reconnaissance que les chars sont incapables d’apporter. La guerre, ici comme en Syrie, en Libye ou au Mali a simplement révélé son incapacité à engendrer une solution politique par les armes.
La politique suppose un minimum d’adhésion de la part des populations, mais pas seulement (car en Crimée on peut supposer que c’était le cas) : elle suppose l’assentiment des autres pays. Le mépris des règles internationales engendre la crainte de tous, et cette crainte se traduit en perte d’influence, et de puissance.
La puissance ne se mesure plus, comme auparavant, par le contrôle de territoires et de populations. Déjà les puissances de Carthage, Venise ou d’Angleterre ne se mesuraient pas en hommes et plaines à blé, mais en commerce et finance. Les Empires sont plus fragiles que les vaisseaux. Les vaisseaux d’aujourd’hui sont des fils invisibles.
Qui plus est, les puissances mondiales actuelles sont trop fortes. Leur confrontation est impossible. Face aux massacres et aux destructions de Marioupol et de Kharkov, l’Otan arme les Ukrainiens, mais ne tire pas. Une guerre directe reste impensable. Ce qui a surpris dans la guerre d’Ukraine, c’est justement que l’impensable, l’absurde, devenait réalité. Et si l’on s’était trompé ? L’échec russe dit que non. C’est Poutine qui s’est trompé.
Mali, c’est fini.
Si d’un côté, les puissances sont trop fortes, les guérillas le sont aussi : le coût d’une guerre asymétrique est trop élevé pour une armée moderne. L’Afghanistan l’avait montré, le Mali aussi. L’Ukraine mieux encore : quelques missiles à quelques milliers d’euros détruisent avions et chars qui en valent des millions. Et combien pour un navire ? Le missile hypersonique peut-il détruire un porte- avion ?
Les ressorts de l’armement changent de nature. Sous-marins, drones, satellites : de la très haute technologie, très coûteuse d’un côté, des hackers de l’autre.
Les ressorts de la puissance sont autres. Le remplacement en Centrafrique et au Mali de la France par la Russie masque la première place commerciale de la Chine à la place de la France dans tout l’ouest africain. La Chine -et le Japon- sont les pays qui retirent le plus d’avantages de l’Afrique, sans avoir déployé un seul soldat, ni même vendu une seule arme.
La Chine grignote Hong Kong par la police et des lois et non par des tanks et des avions. C’est politiquement que le Chine prend Hong Kong.
La première forme de la guerre est celle de la propagande. Rien de nouveau sous le soleil : d’abord convaincre que sa guerre est juste. Que la victoire est un devoir inévitable. Poutine pensait sans doute que l’affirmation selon laquelle l’Ukraine était russe convaincrait aussi bien les Ukrainiens que les Russes : les petits frères accueilleraient le grand frère, tout rentrerait dans l’ordre. Il s’est heurté à l’envie d’Europe, l’envie de démocratie, à laquelle il ne comprend rien, mais qu’il craint, avec raison. C’est cette aspiration qui arme les Ukrainiens. D’abord justifier la guerre. L’Afghanistan n’est pas tombée faute d’armes, mais de combattants.
La guerre hors champ
La guerre de l’information prendrait de plus en plus d’importance. Napoléon rédigeait lui-même les éditoriaux du Moniteur. Avec ses fake news, Poutine en était un des promoteurs. Propagande et désinformation, contrôle des réseaux, maitrise des canaux (espace, mer), renseignement, tout cela semble nouveau, et ne l’est pas : « Le political Warfare est l’emploi de tous les moyens à la disposition d’une nation, à l’exception de la guerre, pour atteindre ses objectifs pour accroitre son influence et son autorité, et pour affaiblir ceux de ses adversaires. De telles opérations sont à la fois couvertes et affichées. Leur domaine s’étend des actions ouvertes, telles les alliances politiques, les mesures économiques et la propagande, jusqu’aux opérations couvertes comme le soutien clandestin d’éléments étrangers amis, les opérations psychologiques et même le soutien aux mouvements de résistance souterrains dans les Etats hostiles ». On retrouve dans cette note du Département d’état américain de … 1948 les principes du conflit d’aujourd’hui, vu par l’Occident. Poutine, quoiqu’officier du renseignement, est en retard de plusieurs guerres.
Stars Wars invisible
De même que l’or est devenu, depuis Keynes, une « relique barbare », de même le char, mais peut-être aussi le porte-avion, sont des cibles fragiles, vétustes. Bien sûr il faut en avoir, comme l’or, mais ce n’est pas le fer de lance de la guerre. Dans les pays pauvres, peut-être, encore que la machette, la kalachnikov tuent plus que les bombes. Il y a des guerres sous-développées comme il y a des pays en voie de développement.
Soldat virtuel, général psychologue plus qu’ingénieur
Les guerres entre pays riches sont high tech, moins visibles, moins meurtrières, guerres quand même. Il faut investir dans les réseaux, les robots, l’intelligence artificielle, le soldat est virtuel, le général psychologue.
Soit, les dépenses militaires montent en flèche. Jamais elles n’ont été aussi hautes. Et elles vont augmenter : l’Allemagne double son budget, même la Suisse réarme.
Pourtant, rapportées aux budgets des Etats, aux dépenses publiques, à la richesse par habitant, c’est l’inverse : jamais l’humanité n’autant dépensé dans les armes, mais jamais elle n’a si peu dépensé par rapport à sa richesse. La part de l’armement dans les dépenses diminue. Les ventes d’armes dans le monde ont doublé en valeur entre 1996 et 2020 pour atteindre près de 2.000 milliards de dollars. Mais alors que les dépenses militaires mondiales représentaient 6% du PIB mondial en 1960, elles n’atteignent que 2% aujourd’hui.
La guerre d’Ukraine montre que les conflits se règlent par d’autres moyens : dollar, pétrole, blé… ce n’est pas nouveau. Pas plus que ne le sont les coalitions. Mais la planète étant devenue plus petite, elles sont larges, plus apparentes, nécessitent des soutiens des opinions publiques. La guerre en Ukraine redessine aussi les cartes en Afrique : que vont faire les Russes, isolés ? Et au Moyen-Orient : Les chefs de gouvernements égyptien, israélien et émiratis se sont rencontrés. Tous unis contre l’Iran. La guerre continue au Moyen- Orient : la guerre n’a pas dit son dernier mot.
Poutine montre l’inutilité de la guerre, ou plutôt, sa transformation. Il n’y a pas plus de fin de la guerre que de fin de l’Histoire, il y a une autre langue pour l’écrire.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site lesfrancais.press
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