Vaincre la déprime

Vaincre la déprime

Que pouvait-on espérer d’autre, après la Covid, qu’une grosse déprime ? La petite planète a besoin de psychanalystes.

En Chine, grâce au génie de Xi Jinping, des centaines de millions de Chinois qui devaient prendre des vacances pour la fête de Chang’e, beauté confinée dans la lune, restent chez eux de crainte d’être enfermés, victimes de la stratégie du « Zéro Covid ». Selon les statistiques, il y a plus de suicides que de décès dûs au virus. Pour la première fois depuis des lunes, la croissance ne serait « que » de 4%. Séisme, sécheresse, émeutes, arrestations, corruption : mauvais signes pour le Mandat céleste.

Au Royaume-Uni, l’éternelle Elisabeth II n’était pas éternelle. L’ex-mari de Lady Di lui succède, la couronne plombe le moral des tabloïds. D’autant que le prix du papier explose, comme le reste : l’inflation dépasse les 10%, le cours de la Livre est au plus bas depuis 35 ans.

Un tiers des personnes dans le monde se sentent stressées.

En Europe, il fera froid cet hiver, quel que soit le temps. Il n’y a plus de gaz au numéro que vous avez demandé. Si ce n’était que la Russie et sa guerre, mais les prix de l’énergie avaient commencé à grimper avant, les centrales nucléaires d’EDF sont en panne, celle de Zaporijia inquiète. 

Si ce n’était que cela : depuis 32 ans que le PNUD évalue la santé, l’éducation, le niveau de vie global d’une nation à travers l’Indice de Développement Humain (IDH), c’est la première fois qu’il recule deux années de suite. Il est retombé au niveau de 2016. Neuf pays sur dix ont régressé. L’Amérique latine, les Caraïbes, l’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud ont été particulièrement touchées.

Un tiers des personnes dans le monde se sentent stressées. Moins d’un tiers font confiance aux autres. La société de confiance est en berne. Les crises s’accompagnent d’insécurités et de polarisations politiques radicales, dit le PNUD. Les régimes autoritaires sont de plus en plus répressifs, le nombre de pays considérés comme des « démocraties libres » diminue.

Le progrès, c’est fini. La paix, c’est raté. La planète, c’est foutu. 

Même au sein des démocraties, les conflits se tendent. Aux États-Unis, au Brésil, en Italie, en Pologne, les radicalisations s’accentuent. Dernière génération écolo et vieux réacs prônent, les uns contre les autres, désobéissance civile et extension du domaine de contrôle. Quant à l’action concrète, pour la biodiversité, malgré l’urgence et les discours, le traité sur la protection de la haute mer a lamentablement échoué.  

Le progrès, c’est fini. La paix, c’est raté. La planète, c’est foutu. Encore y-a-t-il des privilégiés : les Européens sont en haut de tous les classements, avec Suisse, Norvège, Islande largement en tête. Pistonnés ? Mais non : paradis artificiels ! Selon l’OCDE, ces malheureux ne connaitraient le bonheur que grâce aux antidépresseurs. Les Islandais en sont les champions du monde : 15 doses quotidiennes pour 100 habitants en 2020. Pas étonnant qu’ils croisent des elfes sur leurs routes. Canada et Suède sont à plus de dix doses. La France, elle, va mieux : seulement 5,5. Moins que l’Allemagne (6,2), plus que l’Italie (4). Pas d’illusion : tous les pays consomment plus d’antidépresseurs qu’il y a 10 ans.

En Allemagne, la vision du futur est plus négative qu’en 1945.  

Serait-ce à cause des écrans ? Des meurtres à la télé ? Des jeux vidéo ? Du tout : à cause des livres. Toujours selon le PNUD, l’analyse de 14 millions de livres publiés au cours des 125 dernières années en trois langues (allemand, anglais et espagnol) pointe une augmentation de l’indice d’angoisse dans le monde. Jamais l’avenir n’a paru aussi sombre pour l’humanité, pas même durant la guerre de 14 ou la seconde guerre mondiale. En Allemagne, la vision du futur est plus négative qu’en 1945, quand la défaite cumulait ruine, famine et honte. C’est dire si la maladie est psychique.

La disparition de l’espèce humaine sauvera peut-être la planète. 

Normal, à en croire le rapport, stress et santé mentale sont abimés par les perceptions négatives, provoquant une sorte de cycle autodestructeur. Heureusement, bientôt la fin : pour la première fois, la probabilité d’une disparition de l’humanité n’est pas nulle. La fin de l’espèce humaine sauvera peut-être la planète.

Encore que la planète, entre volcans, météorites et dinosaures, elle en a vu d’autres. L’Humanité aussi d’ailleurs. C’est ce qui ressort, quand on lit bien, de ces différentes études. 

Soit, les démocraties sont en crise. Quand auraient-elles été sereines ? Le principe de la démocratie n’est-il pas la stabilité dans l’instabilité ? C’est vrai, le nombre de démocraties libérales diminue : on n’en compterait plus que 34 à travers le monde, contre 42 en 2010. Mais seulement 20 en 1975. Le nombre de régimes autoritaires augmente : 88. Mais il était de 110 en 1990. A part quelques tyranneaux, et encore, y a-t-il quelqu’un qui prône sérieusement l’anti-démocratie dans le monde ? Même les admirateurs de Mussolini se disent démocrates. Au moment où au Brésil, en Suisse, en Italie, en Suède, eux et tant d’autres vont aux urnes, Poutine, coupé dans son élan par la retraite de ses troupes, ne programmait-il pas des referendums pour peindre ses conquêtes d’un peu de légitimité ? Aucun modèle, quoiqu’on gémisse, pas même le « Rêve chinois », ne remplace le modèle démocratique, aussi imparfait soit-il.

35 années de progrès continu, économique, médical, scolaire ? Merci.  

De même pour l’Indice de Développement Humain : deux années de baisse, est-ce anormal, quand le monde s’est mis à l’arrêt ? Le court terme est déprimant, le passé revigorant : 35 années de progrès continu, économique, médical, scolaire, pour des milliards de personnes dans le monde. Merci. Le PNUD déprime ? Le recul souligne les extraordinaires victoires sur la misère des trente dernières années. Le progrès, dans le développement humain, n’est pas donné, il dépend des choix politiques sur l’énergie, la biodiversité, le commerce, la finance, la sécurité, la guerre et la paix. Le monde ne tourne jamais rond. Est-ce nouveau ? 

Admirons la réaction ukrainienne, il apparait cette fois que l’agresseur sera battu. La guerre en échec, voilà qui est nouveau !

Peindre la vie en noir, c’est donner de bonnes raisons pour conforter tout pouvoir sur la vie des gens

A la fin, ce que montrent ces rapports, analyses, chiffres, c’est une ambiance : hauts fonctionnaires et experts internationaux, malgré leur talent, sont peu originaux. Ils resservent toutes les craintes du monde, comme n’importe quel journal de 20 heures. La civilisation de l’information est aussi celle du drame. La déprime dans les hautes sphères se propage plus qu’un virus : l’angoisse du futur est banale et contagieuse, il faut une vertu spéciale pour surmonter l’inconnaissance de demain. Serait-ce la gratitude, la bienveillance, la générosité, l’engagement ?

On peut vaincre la faim, on peut vaincre la guerre, on peut même vaincre la pauvreté. Avant tout il faut y croire : vaincre la déprime. Commencer par déceler à qui profite le crime. Peindre la vie en noir, c’est donner de bonnes raisons pour conforter tout pouvoir sur la vie des gens. A l’inverse, résister, c’est cultiver la joie. Souriez donc, vous êtes filmés ! 

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati 

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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