Alors que le Rassemblement national propose une commission d’enquête à l’Assemblée nationale sur les ingérences étrangères dans la vie politique française, une enquête de France 2 révèle les liens entretenus par le Kremlin avec plusieurs personnalités politiques de droite et d’extrême droite.
L’émission Complément d’Enquête diffusée jeudi soir (27 octobre) sur la chaîne publique France 2 a mis en lumière le réseau d’influence que la Russie et des hommes proches du pouvoir entretiennent en France.
Toutes les personnalités politiques concernées appartiennent à la droite ou à l’extrême droite. Certaines affirment avoir été piégées ou ne pas avoir pris la mesure de ce qu’il se passait.
L’ancien Premier ministre François Fillon dans l’œil du cyclone
En premier lieu, l’ancien Premier ministre français François Fillon (2007-2012) et ancien candidat à l’élection présidentielle de 2017, qui a tissé, grâce à ses fonctions, des liens avec Vladimir Poutine en personne.
Interviewé par France 2, l’ancien ambassadeur de France en Russie, Stanislas de Laboulaye, décrit Vladimir Poutine comme beaucoup plus chaleureux qu’à l’accoutumée envers M. Fillon pour « faire une entreprise de charme » à son égard.
Et ainsi, acquérir progressivement des soutiens politiques importants en France.
L’ancien président socialiste François Hollande (2012-2017), également témoin dans l’enquête, explique précisément qu’il y a un « investissement que Vladimir Poutine fait pour qu’il y ait […] des personnes qui puissent défendre [ses] intérêts ».
France 2 détaille ensuite les implications concrètes de cette entreprise concernant François Fillon. En 2013, ce dernier se rend en Russie pour défendre l’action de Vladimir Poutine en Syrie, « contre la position française de l’époque ».
Or non seulement M. Fillon n’est plus Premier ministre à ce moment-là, mais, qui plus est, il est député de l’opposition face à un gouvernement socialiste, sous la présidence de M. Hollande.
Vladimir Poutine restera proche et sera reconnaissant à M. Fillon. En 2016, lorsque l’ancien Premier ministre français sort gagnant de la primaire de la droite par surprise, M. Poutine adresse un message de soutien au tout nouveau candidat à l’élection présidentielle, « du jamais vu », selon les journalistes. « François Fillon est très différent des hommes politiques d’aujourd’hui », lance le président russe.
Devenu un paria du monde politique français après l’affaire des emplois fictifs de son épouse et sa défaite à la présidentielle de 2017, M. Fillon est reçu par M. Poutine dans une de ses résidences privées, expliquent les auteurs de l’enquête.
Ils diffusent aussi des documents selon lesquels M. Fillon a contacté l’ambassade de Russie en France, pour être mis en relation avec le patron de Gazprom, Alexeï Miller. Selon les documents de l’ambassade russe révélés, il souhaitait discuter du sponsoring d’une équipe de football française et du projet de gazoduc Nord Stream 2. Il obtient alors trois rendez-vous avec M. Miller.
En 2021, deux postes d’administrateur lui seront offerts, l’un chez Zarubezhneft, pétrolier russe, et l’autre chez Sibur, entreprise russe de la pétrochimie.
François Fillon gardera des liens avec des entreprises russes jusqu’à être quasiment contraint à la démission, quelques jours après le début de la guerre en Ukraine, et après avoir tenu des propos contestés sur l’invasion russe.
Infiltration de l’extrême droite française
Au Rassemblement national (RN) aussi, le Kremlin aurait tenté de tisser des liens, selon l’enquête.
En particulier, deux eurodéputés entretiennent des liens avérés avec le régime de M. Poutine. Parmi eux, Thierry Mariani et Philippe Olivier, dont l’épouse est la sœur de Marine Le Pen, Marie-Caroline Le Pen.
Le documentaire montre qu’un certain nombre de voyages sont effectués par Thierry Mariani en Crimée notamment. Il était encore membre du parti Les Républicains à l’époque, avant de passer au RN.
Il fête notamment les cinq ans de l’annexion de la Crimée avec Vladimir Poutine en personne et avec d’autres personnalités politiques européennes. Ce qui, à cette occasion, fait dire au président russe qu’il a « beaucoup d’amis en Europe et notamment en France, qui sont d’accord avec nous », relate le documentaire.
Selon Nathalie Loiseau, interrogée par les auteurs de l’enquête, les Russes utilisent Thierry Mariani pour faire comme si c’était le Parlement européen qui parlait et qui les soutenait.
Alors qu’il lui est enjoint de ne plus se rendre en Crimée et en Russie en tant que parlementaire européen et encore moins au nom du Parlement européen, M. Mariani explique avoir pu se rendre en Russie en 2021, en tant qu’observateur des élections législatives mais à titre personnel.
Or, révèle-t-il aux journalistes de l’enquête, il a demandé et obtenu un remboursement de la part du Parlement européen sur les sommes engagées pour ce voyage, au titre de la dotation mise à disposition des eurodéputés par l’institution.
Avec l’ancien ministre Yves Pozzo di Borgo, Thierry Mariani est aujourd’hui inquiété par la justice pour « corruption » et « trafic d’influence », a révélé lundi (24 octobre) le journal Le Monde, en ce qui concerne l’activité de l’association « Dialogue franco-russe ».
Quant à l’eurodéputé RN Philippe Olivier, il aurait été choisi par Konstantin Malofeev, magnat des médias en Russie, pour faire partie d’un projet confidentiel, baptisé « AltIntern », visant à faire une « union des extrêmes droites européennes », explique l’enquête sur la base de notes qui concernent le projet.
Dans ce cadre, Philippe Olivier a été invité à ce que M. Malofeev considère comme des réunions de travail, en marge de la finale de la Coupe du Monde de Football de 2018, qui opposait la France et la Croatie.
L’eurodéputé conteste avoir eu connaissance du projet AltIntern, de l’importance que son voyage en Russie recouvrait pour M. Malofeev, et du rôle politique que ce dernier souhaitait lui faire jouer.
M. Malofeev est, comme le rapporte l’enquête, interdit de séjour en UE depuis 2014, car suspecté d’avoir financé la guérilla dans le Donbass. Il se réjouit, dans une autre note diffusée par l’émission, de l’ascension de Philippe Olivier.
La riposte du RN
Le parti de Marine Le Pen, malgré des votes « contre » ou des abstentions au Parlement européen lorsque des sanctions et des mesures de soutien à l’Ukraine ont été votées, conteste en bloc les accusations d’une quelconque ingérence étrangère.
À tel point que, voyant la polémique enfler il y a déjà plusieurs semaines, le groupe Rassemblement national à l’Assemblée nationale a décidé de riposter.
Comme le rapportait notre partenaire EURACTIV il y a quelques semaines, le parti, par la voix du député Jean-Philippe Tanguy, a demandé la mise en place d’une « commission d’enquête parlementaire relative aux ingérences politiques, économiques et financières de puissances étrangères » sur les dirigeants et partis politiques français.
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