Un traité mondial contre la traite mondiale

Un traité mondial contre la traite mondiale

Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, veut expulser les étrangers condamnés pour crime grave. Cela nécessite une profonde réforme du droit, voire du droit international. Au-delà, la France pourrait-elle prendre l’initiative d’une réforme profonde du droit des étrangers au niveau européen, premier pas vers un droit international plus réaliste quant aux défis migratoires ? 

Juin 2022. Après neuf jours en mer, 61 migrants maliens ont été secourus par les garde-côtes libyens ; 22 étaient déjà morts. Aux États-Unis, 53 migrants ont étouffé dans un camion franchissant la frontière mexicaine. Au Maroc, 23 personnes étaient tuées, 140 policiers blessés dans l’assaut par 2000 migrants de la barrière de Melilla. En France, dix passeurs d’un réseau afghan et pakistanais ont été inculpés : il y a sept mois, 27 migrants se noyaient dans la Manche. Un réseau international de 39 passeurs, d’Irak, d’Afghanistan, d’Erythrée, a été démantelé. Le Royaume-Uni entend sous-traiter l’examen de ses demandes d’asile au Rwanda, tandis que l’UE a conclu avec la Turquie un accord pour retenir les réfugiés syriens, et que l’Italie fait de même avec la Lybie.

Des conditions qui s’apparentent à l’esclavage 

Selon le représentant du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations-Unies, 123.300 personnes ont traversé la Méditerranée en 2021. On en dénombrait 1 million en 2015 (3771 d’entre eux ont péri en mer). La pandémie a renforcé la gestion des frontières, les traversées sont plus dangereuses : 3231 disparus ont été recensés en 2021. On ignore leur nombre au Sahara. Les migrants viennent d’Éthiopie, du Soudan, de Somalie, d’Érythrée ; ils sont soumis à toutes les violences, vivent dans des conditions qui s’apparentent à l’esclavage. Dans les pays du Golfe, 10.000 travailleurs immigrés légaux d’Asie du sud mourraient chaque année en Arabie, au Qatar, à Oman et à Bahreïn.

200 Haïtiens qui comptaient gagner les États-Unis se sont échoués sur la côte de Cuba. Un premier bateau comptait 292 migrants ; en mai, ils étaient 800. Les Cubains, eux, échouent au Honduras. Les Honduriens, victimes de gangs mexicains, forment des caravanes de migrants pour se défendre, repoussées par l’armée.

Au Sommet des Amériques, tous les États présents (sauf Cuba, le Venezuela et le Nicaragua, non invités par les États-Unis) ont signé la « Déclaration de Los Angeles » qui rappelle les droits des migrants, notamment le principe du non-refoulement, et appelle à la coopération entre États pour lutter contre les réseaux, une « industrie criminelle qui brasse plusieurs milliards de dollars » selon Joe Biden. Les réseaux de passeurs étant liés aux réseaux criminels, les effets de cet accord connaitront autant de succès que la lutte contre le trafic de drogue…

Une industrie criminelle qui brasse des milliards de dollars

En Europe, tandis que cinq millions d’Ukrainiens fuient leur pays, la Pologne construit un mur à sa frontière avec la Biélorussie, qui utilisait les réfugiés syriens pour faire pression sur elle. Tout comme la Turquie le fait avec la Grèce et l’Union européenne. La Turquie a ainsi obtenu quelques milliards, tandis que le Rwanda attend quelques millions du Royaume-Uni.

La question des migrations est devant nous. Aucun sommet, aucune organisation internationale, aucun principe de droit international n’y répond. Le Sommet des Amériques rappelle le principe, universel, du non-refoulement ? « Aucun des États contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. » Selon le Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (HCR), la plupart des pays développés, y compris en Europe, tentent d’y échapper. Le principe du non-refoulement aboutit à ce que l’on refoule avant, le plus en amont possible. 

Construire les murs les plus hauts possibles qui, une fois franchis, seraient protecteurs de tout retour en arrière

C’est au mépris de ce principe – ou en partie à cause de lui – que les barrières de Melilla sont prises d’assaut. D’un côté, les migrants pensent, non sans raison, que s’ils posent le pied dans un pays qui respecte les droits des réfugiés (même sans avoir le statut de réfugié, dans l’attente de l’examen de leur situation), ils ont les plus grandes chances d’y rester. De l’autre côté, les États mettent tout en œuvre pour que ces migrants ne parviennent surtout pas à franchir leurs frontières. Comme si la politique revenait à construire les murs les plus hauts possibles qui, une fois franchis, seraient protecteurs de tout retour en arrière, et ce grâce… aux lois. 

Quand les États-Unis commencèrent à construire un mur, l’Europe se scandalisa. Puis on dressa des murs en Europe. Quand on vit les boat people en Méditerranée, on s’émut. Puis on renforça les patrouilles pour les repousser dans les eaux libyennes.

Personne n’ose interroger les principes et leurs jurisprudences, on préfère les bafouer 

Comme on est impuissant à arrêter les trafiquants de la nouvelle traite humaine, on accepte les murs, ce qui explique l’existence des passeurs. Comme personne n’ose interroger les principes et leurs jurisprudences, on préfère les bafouer. Est-il impossible de concilier le droit et le contrôle des flux migratoires ? 

Définir des règles d’application du principe du non-refoulement, les droits des migrants, le droit des États d’accepter ou non sur leur sol est une nécessité. Ni l’Europe ni les États-Unis ne peuvent prétendre promouvoir l’état de droit et l’universalité des droits de l’Homme sans le démontrer à leurs frontières. Ils ne peuvent pas non plus renoncer à contrôler les migrations ; aucun pays ne le peut. 

Établir comme principe que toute immigration illégale – sauf exception – restera illégale pourrait être le moyen d’éviter les traversées mortifères. Les immigrés qui ont pris d’assaut les murs de Melilla ont payé les passeurs qui coordonnaient la manœuvre. Au prix de la mort. Ils ne l’auraient pas fait s’ils avaient eu la certitude qu’une fois les barrières franchies, ils auraient été expulsés. Qui paie un billet d’avion avec la certitude d’être refoulé ? Qui paiera un passeur si une présence illégale vaut expulsion et non installation ?

Il existe bien une autre éventualité : accueillir sur le territoire national celles et ceux qui veulent y venir. Impossible. Avec bientôt 2.5 milliards d’habitants en Afrique, les drames du Moyen-Orient, les pressions de l’Asie, on imagine mal les populations européennes ouvrir en grand les portes… ne serait-ce que parce que cela remettrait en cause le système de protection sociale.

Il est souhaitable, en revanche, d’organiser l’accueil des immigrés légaux : sans possibilité d’immigration légale, quelle autre voie que l’immigration illégale ? Renforcer le traitement des demandes dans les pays de départ, établir un circuit d’accueil revient à inverser ce qui est fait aujourd’hui : orienter vers la clandestinité et la prise en charge par des réseaux parallèles. Israël a démontré (avec l’immigration russe) que l’on pouvait accueillir de nouveaux arrivants avec beaucoup d’efforts, notamment en matière de formation, avec un suivi personnel. Les résultats sont impressionnants. Lorsque l’Institut national d’études démographiques (INED) révèle qu’un tiers de la population française a un grand-parent immigré, elle démontre que la culture dominante intègre les arrivants. 

L’Organisation internationale pour les migrations (OIM), recense 281 millions de migrants en 2020, soit 3.6% de la population mondiale. Parmi eux, 35 millions de réfugiés précise le HCR. Ce même HCR estime que « la population déracinée totale dépasse actuellement 100 millions de personnes ». 

Mépris du droit, mépris du réel, mépris des gens

Aujourd’hui le monde vit dans la déchirure des hypocrisies, les principes correspondent d’autant moins aux réalités qu’ils ne sont pas respectés. Le pacte de Marrakech fut adopté en 2018 – bien qu’une quarantaine de pays ne le signèrent pas – parce qu’il n’était pas contraignant. Cela permet d’affirmer des principes, et de les contourner. Mépris du droit, mépris du réel, mépris des gens. 

La France peut prendre une initiative pour que le droit soit respectable, respecté, réaliste. Et l’Europe établir des règles communes sur le droit d’asile et le droit des migrants plus rigoureuses mais plus respectueuses des faits, du droit, des gens.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site « Lesfrancais.press »

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