Un livre sans tabou pour l’intégration

Un livre sans tabou pour l’intégration

Aujourd’hui, Arnaud Lacheret nous parle de son dernier livre intitulé « Les intégrés – Réussites de la deuxième génération de l’immigration nord-africaine ». Dans ce dernier essai, l’ancien expatrié au Bahrein valorise les «intégrés», ces Français d’origine maghrébine qui ont réussi. 

«Ce livre a pour ambition de redéfinir l’idée d’intégration»

Boris Faure : « Arnaud Lacheret, notre journal avait évoqué votre précédent livre sur l’intégration des femmes du Golfe. Il y a un fil rouge dans vos sujets d’étude. Expliquez-nous comment vous en êtes venu à traiter de l’intégration de la deuxième génération de l’immigration nord-africaine à travers 70 exemples d’une intégration réussie ? »

Arnaud Lacheret : « Le mot intégration est compliqué à utiliser en France. Tantôt, cela a une connotation raciste, puisque celui qui l’utilise sous-entend que des gens ont un effort à faire pour entrer dans la société majoritaire, tantôt on l’utilise pour dire que si les étrangers sont intégrés, ils ne sont pas assimilés. L’intégration est soit trop, soit pas assez… Personne n’en parle de façon raisonnable et c’est pour cela que j’ai utilisé la définition sociologique, rappelée par Dominique Schnapper. C’est-à-dire que l’intégration est le processus par lequel un membre d’un groupe minoritaire tente d’entrer dans le groupe majoritaire en en adoptant les codes, les valeurs et les attitudes.

J’avais commencé avec les femmes du Golfe qui devaient s’intégrer dans leur société en arrivant sur un marché du travail. A cette époque-là, j’habitais au Bahreïn et je dirigeais un département d’une université locale qui accueillait notamment des cadres de nationalité saoudienne. C’est là que m’est venue l’idée de commencer à travailler sur le sujet de l’intégration des personnes de culture arabo-musulmane… De fil en aiguille j’ai poursuivi l’étude sur les femmes descendantes d’immigrés, puis sur les hommes. Aujourd’hui, ce livre a pour ambition de redéfinir l’idée d’intégration en lui donnant une dimension moins bornée et plus pragmatique. Par exemple, j’insiste sur le fait que la notion d’intégration ne concerne pas que les étrangers, la deuxième, la troisième génération ont parfois aussi un parcours d’intégration à réaliser. A partir du moment où l’on réalise ça, on peut prendre des mesures politiques fortes. »

«Le débat sur l’intégration en France se réduit souvent au sujet de l’assimilation réussie ou ratée»

Boris Faure : « Arnaud Lacheret, le débat sur l’intégration en France se réduit souvent au sujet de l’assimilation réussie ou ratée, un sujet porté notamment par Éric Zemmour. Vous êtes chercheur mais on sent aussi que ce livre a une dimension politique. Vous interrogez d’ailleurs le sujet des politiques publiques d’intégration qui ne seraient pas utiles mais pourraient même se révéler comme une contrainte dans l’intégration. Vous nous expliquez ? »

Arnaud Lacheret : « Hélas il faut revenir à l’histoire de l’immigration nord-africaine. Dans les années 70, l’immigration est gérée par le patronat français qui cherche des employés peu qualifiés pour ses usines et le BTP. L’arrivée d’hommes jeunes et venant de milieu rural maghrébin est privilégiée. Sauf qu’en 1976, une jurisprudence européenne impose le regroupement familial et que la classe politique ne réagit pas à l’arrivée massive des conjointes et à la naissance de nombreux enfants qui naissent français. La gauche arrive au pouvoir et interprètera assez mal ce besoin d’intégration en valorisant, par l’intermédiaire de SOS racisme notamment, le droit à la différence. Dès lors, on va communiquer davantage sur la diversité, la différence, les apports de l’immigration plutôt que de lancer un travail d’intégration visant à expliquer aux immigrés et à leurs descendants ce que c’est qu’être français.

En parallèle, la politique de la ville va équiper les quartiers en faisant en sorte que l’on puisse tout y faire : médiathèques, stades, services sociaux etc. etc. Ce faisant, les habitants des quartiers n’ont plus vraiment de raisons d’en sortir et la ghettoïsation se fait, sous couvert de très bonnes intentions ! On remarquera aussi qu’en termes de transports en commun, les quartiers populaires sont les moins bien lotis : ce sont ces liaisons qui tardent le plus à être réalisées alors que les habitants sont pourtant ceux qui ont le moins de moyens d’avoir des véhicules individuels ! Or tout montre que pour s’intégrer, il faut rencontrer la population majoritaire, et pour ce faire, il faut des espaces de contact sur la voie publique. Tout semble avoir été fait, urbanistiquement parlant, pour éviter ces contacts.
On pourrait également parler de cette exaltation de la diversité et des origines dès le plus jeune âge. Dès l’école maternelle, dès le centre social, on insiste sur les origines, réelles ou non, des plus jeunes et, semble-t-il, on oublie de leur livrer les codes de la société majoritaire. »

Arnaud Lacheret Arnaud Lacheret

Boris Faure : « Vous avez montré que les hommes et les femmes n’ont pas forcément les mêmes rapports à leur famille ou au quartier quand il s’agit de construire leur intégration et leur réussite. Pouvez-vous nous parler des principales différences de genre face à la réussite et aux obstacles à celles-ci ? »

Arnaud Lacheret : « C’est l’une des clefs du livre : les femmes, dans la culture très patriarcale d’Afrique du nord et principalement celles issue de la ruralité sont très contrôlées au sein de la famille, du clan et ce schéma se reproduit au sein du quartier. Celui qui peut donner un espace de liberté, c’est le père, identifié comme la personne qui peut octroyer une dérogation. Au cours de son enfance, la fille passera souvent après ses frères et devra négocier, se lancer dans des transactions, avec son père notamment, pour obtenir le droit de sortir, de poursuivre des études, de ne pas se marier trop tôt… Le garçon aura davantage de facilités au sein du noyau familial. Sauf qu’une fois confrontées à la société française, qui peut être discriminante, les filles auront gardé cette habitude d’en faire plus, de négocier, de transiger, là où les garçons se heurteront plus durement au mur du refus et se retrouveront plus dépourvus.

Par ailleurs, la société française discrimine moins les femmes nord-africaines que les hommes, c’est une question de représentation sociale qui, pour le coup, semble aller à contre-courant du féminisme intersectionnel. Ce double courant qui fait que les filles sont habituées à l’adversité et un peu mieux accueillies par la société fait que naturellement, elles ont tendance à mieux réussir. »

«En France, le côté religieux de l’abaya est évident»

Boris Faure : « Le livre n’évite aucun sujet. Vous constatez un rapport au voile qui a de multiples fondements. Le voile peut être identitaire mais aussi une simple protection pour les filles face à un machisme de cité, il peut être considéré comme purement culturel et dispensable. Nous avons une polémique autour de l’abaya. Quelle est votre position par rapport à ce vêtement issu de la culture nord-africaine. Signe religieux ou simple accessoire culturel et de mode ? »

Arnaud Lacheret : « Les gens que j’ai interrogés ne portent pas le voile, ni l’abaya. Je voulais vraiment comprendre ce que pensaient des gens intégrés du voile islamique. En revanche, tous lui donnent d’abord une signification religieuse : on porte le voile parce qu’on est musulman et pour l’abaya, c’est la même chose. Il existe toutefois une différence pour qui connait les pays du Golfe : dans les monarchies du Golfe, l’abaya est une forme d’uniforme pour les femmes tout comme les hommes portent souvent la thowb, longue robe blanche. La dimension religieuse est moins évidente, puisqu’il s’agit aussi de marquer sa différence dans des pays où il y a énormément d’étrangers. Les Nord-Africains expatriés ne s’habillent d’ailleurs pas ainsi même s’ils sont musulmans, les Libanais non plus. 

En France, le côté religieux de l’abaya est en revanche évident. Bien entendu, cette dimension n’est pas parfois perçue complètement par les jeunes filles qui le portent, mais cela ne fait pas sens autrement. A partir du moment où c’est un habit religieux, porté d’ailleurs à la mosquée, il n’a pas sa place dans l’école publique au nom de la loi de 2004 et le débat n’a pas lieu d’être. Le Ministre n’a fait que rappeler cette loi. En revanche, nous devons dire à nos partenaires à l’étranger que cette interdiction n’est valable qu’au sein de l’école publique française et pas sur la voie publique où l’on peut s’habiller comme on le souhaite. Cette interdiction vestimentaire touche également les agents publics ou ceux exerçant une mission de service public mais ça s’arrête là. Je ne compte pas le nombre de fausses informations qui circulent sur les réseaux sociaux et qui contribuent à donner une image d’une France intolérante alors qu’il suffit de se promener n’importe où pour constater que ni le voile, ni l’abaya ne sont interdits. »

Boris Faure : « Vous ne travaillez je crois que la notion de désintégration. Pouvez-vous nous expliquer le concept ? »

Arnaud Lacheret : « Il y a 30 ans, l’Algérien, le Maroc et la Tunisie avaient déjà des équipes de football et participaient déjà à des compétitions. Or, cela ne fait que quelques années que les matchs internationaux donnent lieu à des alertes sécuritaires constantes. De même, cela ne fait pas si longtemps que cela que des drapeaux de pays d’origine des parents ou des grands-parents sont brandis, que des très jeunes Français se revendiquent d’un autre pays que la France. Si l’on rajoute à cela l’islamisation assez récente des jeunes issus de l’immigration qui sont souvent plus pratiquants que leurs parents, on a là quelques exemples d’un processus qui éloigne des Français de la société qui les a vu naître et grandir… C’est très étonnant et, pour reprendre Howard Becker, grand sociologue américain récemment décédé, il serait intéressant de comprendre comment ces idées sont arrivées à pénétrer à ce point une partie de la population. C’est, je le crois, un point crucial qui va nous permettre de revenir côte à côte plutôt que face à face pour citer Gérard Collomb. 

L’intégration sans tabou : le nouveau livre clé d’Arnaud Lacheret

L’intégration des enfants d’immigrés maghrébins ? Une France qui réussit auprès de la deuxième génération là où elle a échoué auprès de la première ? Une approche non névrotique de l’immigration ?

Voilà enfin un livre positif sur les trajectoires réussies d’enfants d’immigrés. Il se nomme « Les intégrés, réussite de la deuxième génération de l’immigration nord- africaine ».

Il s’appuie sur des thèses défendues brillamment par un chercheur français qui a fait de l’intégration son terrain de recherche. Après un livre sur l’intégration des femmes arabes à Bahreïn, et un livre sur les femmes musulmanes et cadres, Arnaud Lacheret est revenu dans l’Hexagone pour interroger 70 Français d’origine maghrébine qui connaissent de vraies réussites sociales et économiques. Des personne dont il a étudié le parcours de vie grâce à la méthode de l’entretien individuel mené auprès d’un spectre large d’individus.

S’appuyant sur la définition de Dominique Schnapper, l’intégration est pour l’auteur un processus d’intégration d’un groupe minoritaire au groupe majoritaire par des individus qui vont en adopter les principaux codes, les principales valeurs ou attitudes.

L’accès aux études supérieures est évidemment un facteur fondamental dans ce processus et le chercheur montre à quel point il induit, notamment pour les femmes, des négociations avec les gardiens de l’autorité parentale pour choisir des filières qui comme les écoles de commerce permettent l’accès rapide à un travail rémunérateur facteur d’autonomie. Les familles mettent souvent des freins pour l’accès à certaines professions, pour la vie des femmes en solo ou pour la poursuite des études. Question de respectabilité et méfiance du qu’en-dira-t-on de quartier obligent. Mais les transactions sont toujours possibles au sens où un père qui entend que sa fille est citée en exemple par les voisins pour sa réussite sera amené à desserrer l’étau.

La ghettoïsation dans le quartier est aussi un élément à dépasser pour réussir. Lacheret va à rebours d’une idée en cours expliquant comment la politique de la ville qui a construit des équipements publics pour maintenir les populations sur place a pu avoir un impact négatif pour des jeunes soucieux avant tout d’échapper au regard et au contrôle des habitants du quartier en étudiant ou fréquentant des clubs de sport au delà des frontières de la cité.

Aucun sujet n’est tabou dans ce livre et on lira utilement deux chapitres particulièrement d’actualité : celui sur le rapport des jeunes à la police – ceux qui ont réussi entretiennent un rapport non crispé avec les forces de l’ordre et misent sur la responsabilité individuelle pour se faire respecter. Une manière de dire que la police n’est pas condamnée à être raciste ni les jeunes menacés systématiquement de faire l’objet de contrôles d’identité qui tournent mal.

Sur le sujet épineux et inflammable du voile, Lacheret montre que les femmes qui ont réussi ne le portent pas en majorité mais respectent ce signe d’appartenance à une religion et une culture d’origine. Il y a donc plusieurs façons de porter le voile et de lui donner un sens, et plusieurs façons de ne pas le porter et de se sentir pourtant musulmanes et françaises.

Le chercheur aborde dans ce chapitre le thème crucial de la désintégration : pour ces personnes qui connaissent la réussite, être français est avant tout une question de nationalité et n’implique pas forcément l’adhésion aux valeurs de la République. On peut donc être intégré économiquement et socialement sans avoir fait l’effort de s’intégrer culturellement à une société française largement sécularisée. La réussite n’efface pas la culture musulmane d’origine.

Le livre se veut aussi un réquisitoire contre la logique de l’assimilation trop souvent prise en otage par des idéologies politiques basées sur le rejet de l’autre ou l’uniformisation forcée.

Entre assimilation et désintégration, le livre pose des bornes et valorise des logiques de réussite souvent masquées par le discours des extrêmes.

Procurez-vous ce livre qui se dévore en quelques heures et qui donne des pistes de réflexion que bien des éditos ou des prises de positions politiques devraient avoir l’intelligence de citer et reprendre…

Auteur/Autrice

  • Boris Faure

    Boris Faure est l'ex 1er Secrétaire de la fédération des expatriés du Parti socialiste, mais c'est surtout un expert de la culture française à l'étranger. Il travaille depuis 20 ans dans le réseau des Instituts Français, et a été secrétaire général de celui de l'île Maurice, avant de travailler auprès des Instituts de Pologne et d'Ukraine. Il a été la plume d'une ministre de la Francophonie. Aujourd'hui, il collabore avec Sud Radio et Lesfrancais.press, tout en étant auteur et représentant syndical dans le réseau des Lycées français à l'étranger.

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