Depuis 1973, en France, aucun budget n’a été exécuté à l’équilibre. Depuis les accords de Maastricht, les gouvernements successifs ne cherchent plus, à dégager un excédent, mais à maintenir le déficit juste en dessous de la barre des 3 % du PIB. En vingt ans, cet objectif n’a été atteint, par ailleurs, qu’à trois reprises. Nul n’imagine que la France puisse réitérer cet exploit relatif d’ici la fin de la décennie.
Malgré l’absence de choc majeur, le pays connaît, en effet, une inquiétante dérive de ses comptes, de 2022 à 2024, le déficit étant passé de 4,7 % à 5,8 % du PIB. Pourtant, autour de nous, des pays autrefois considérés comme laxistes ont réussi à maîtriser leurs finances publiques. L’Italie a ramené son déficit de 7,2 % à 3,4 % du PIB entre 2023 et 2024. L’année dernière, l’Espagne a placé son déficit sous la barre des 3 %. Depuis deux ans, le Portugal dégage un excédent budgétaire.
En France, la simple annonce d’une réduction des dépenses publiques de 40 milliards d’euros, sur un total de plus de 1 600 milliards d’euros, a provoqué une levée de boucliers générale. Personne ne se sent responsable de l’envolée des dépenses, ni du déficit. Les collectivités territoriales se déchargent sur l’État, et les citoyens trouvent des boucs émissaires faciles du côté de l’Europe, des riches, des étrangers ou des élus.
Sur tous les grands postes budgétaires, la France dépense plus que ses voisins.
La réalité est plus prosaïque qu’il n’y paraît. Sur tous les grands postes budgétaires, la France dépense plus que ses voisins, pour des résultats bien souvent décevants. C’est surtout sur le terrain des dépenses sociales que la France se démarque. Celles-ci représentent plus de la moitié des dépenses publiques. Celles liées à la retraite et à la santé sont à l’origine de la moitié des 1 000 milliards d’euros de progression de la dette publique entre 2017 et 2024. Leur hausse s’explique par le vieillissement démographique, phénomène qui n’épargne pas nos voisins, et qui est même parfois plus marqué chez eux.
Non seulement la France dépense plus qu’ailleurs, mais travaille moins que ses voisins, un cocktail explosif… Le taux d’emploi y est inférieur de 7 points à celui de l’Allemagne. Moins d’emplois, c’est moins de création de richesse, donc moins de cotisations sociales et de recettes fiscales. Le volume de travail par salarié est également plus faible que dans de nombreux autres pays européens.
Lors d’une conférence de presse le 15 avril dernier, le Premier ministre, François Bayrou, a pointé du doigt ce problème. S’il n’a pas osé remettre en cause les 35 heures ou certains jours de congé, il a néanmoins essuyé une volée de critiques. En France, c’est bien connu, chacun considère qu’il travaille davantage que son voisin… Or, sans réduction des dépenses, sans effort pour accroître le volume de travail, le déclin de la France ne peut que se poursuivre, avec à la clé un appauvrissement généralisé qui touche avant tout les plus modestes.
Une part croissante de la population française est tirée vers le bas
Au niveau mondial, la France ne figure plus parmi les 20 premières nations pour le PIB par habitant, alors qu’elle occupait la 7e place au début des années 1980. Au sein de l’Union, elle se situe tout juste dans la moyenne. Une part croissante de la population française est tirée vers le bas, en raison de la faiblesse des rémunérations, de la hausse du coût du logement et de celui des transports.
En 2023, en France, 50 % de la population disposait d’un revenu médian inférieur à 2 100 euros. La fragmentation de la société rend tout assainissement en profondeur des comptes publics quasi impossible. La menace permanente d’une prochaine dissolution n’incite aucun parti politique à prendre des positions courageuses, par crainte de l’impopularité et d’une sanction dans les urnes. Le gouvernement évoque comme piste l’antienne des niches fiscales, mais leur suppression est reportée d’année en année.
Imperceptiblement, l’idée que la France ne se réformera que sous la contrainte du FMI ou de la Commission européenne est de plus en plus partagée. Cette humiliation ne serait pas une première. Ce fut déjà le cas au début des années 1980, période durant laquelle la France fut contrainte de demander l’appui du FMI ou des États du Golfe pour régler ses problèmes de réserves de change — des problèmes depuis résolus avec la création de l’euro. Mais celui-ci ne pourra pas indéfiniment éviter à la France de se retrouver au bord du précipice.
La solution passe par un choc de croissance.
Comme le prouvent l’Espagne, le Portugal et la Grèce, la solution passe par un choc de croissance. À condition de lever certains blocages et de casser certaines rentes, la France dispose de nombreux atouts.
Il est incompréhensible que la première destination touristique du monde n’en retire pas davantage de revenus. Dotée d’un vaste territoire peu densifié, d’un climat favorable et d’une large façade maritime, la France devrait accueillir un volume bien plus important d’investissements internationaux. La désescalade des dépenses publiques suppose un système gagnant. L’augmentation du volume de travail passe par une amélioration du salaire direct, accompagnée d’une diminution de certaines prestations sociales. Un vaste plan de construction et de réhabilitation de logements devrait viser une baisse significative du prix de l’immobilier.
En matière de retraites, la généralisation du pilier d’épargne retraite à tous les actifs serait un moyen de limiter les déficits sociaux et d’orienter l’épargne nationale. Face à une dette croissante, un marché du travail sous tension et des dépenses sociales en hausse constante, les Français sont entre déni et inquiétude, entre résignation et colère. Le redressement des comptes publics et de l’économie vont pourtant de pair. Les difficultés des finances publiques sont en grande partie la conséquence de décisions publiques prises lors de ces quarante dernières années et qui bien souvent font l’objet d’un large consensus. La France ne pourra s’en sortir qu’en retrouvant le chemin de l’expansion.
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