UE-Mercosur : tensions entre Berlin et Paris, des voix s’élèvent pour réclamer une scission de l’accord commercial

UE-Mercosur : tensions entre Berlin et Paris, des voix s’élèvent pour réclamer une scission de l’accord commercial

L’Allemagne fait monter la pression pour conclure l’accord de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et le bloc latino-américain Mercosur d’ici décembre, tandis que des responsables politiques clés appellent à scinder l’accord pour contourner l’opposition de la France, blâmant le « patriotisme erroné » de Paris.

Plusieurs responsables politiques allemands pressent pour la conclusion rapide d’une partie de l’accord de libre-échange concernant uniquement l’UE, tandis que la France réaffirme son opposition, préoccupée par son secteur agricole et la protection de l’environnement. La Commission européenne laisse entendre de son côté qu’un accord politique pourrait être conclu avant la fin de l’année.

« La Commission européenne doit diviser l’accord en une partie commerciale réservée à l’UE et une partie politique », a déclaré à Euractiv Markus Töns, député et responsable de la politique commerciale pour le SPD (S&D), le principal parti du gouvernement.

En « divisant » l’accord, la partie commerciale, qui comprend les droits de douane, les quotas d’importation et un « chapitre sur la durabilité », pourrait être adoptée à la majorité qualifiée par le Conseil, sans attendre la ratification par les parlements nationaux de chacun des États membres.

Bien que Markus Töns ait avoué qu’il n’était pas favorable à l’idée de « contourner la France », le fait de scinder l’accord en deux éléments permettrait aux pays pro-Mercosur de contourner l’opposition farouche de la France — exacerbant ainsi le conflit de longue date entre Berlin et Paris au sujet du plan d’accord commercial conclu il y a 25 ans avec l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay.

La conclusion de l’accord avec le Mercosur et l’accent mis sur les dispositions « réservées à l’UE » constituent une demande de longue date du chancelier allemand Olaf Scholz, qui pourrait vouloir faire aboutir l’accord avant de se lancer dans la campagne électorale en vue des élections anticipées de février.

Le reste de l’accord, comme les références aux dialogues culturels et politiques et les « éléments essentiels », serait mis en suspens jusqu’à ce que les parlements nationaux soient parvenus à un consensus.

Signaux contradictoires

Paris a depuis longtemps fait savoir qu’elle ne pouvait pas signer l’accord en tant que tel, au motif qu’il mettrait en péril l’Accord de Paris — accord sur le climat — et ne garantirait pas le niveau de réciprocité nécessaire en matière de normes de production sociales et environnementales, en particulier dans les secteurs agricoles.

« En l’état actuel des choses, j’ai dit [à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen] que l’accord n’est pas et ne sera pas acceptable », a déclaré le Premier ministre Michel Barnier mercredi 13 novembre à l’issue d’un voyage express à Bruxelles.

L’équipe de presse de Michel Barnier a confié à Euractiv qu’elle ne s’attendait pas à un accord politique d’ici décembre, avertissant que l’UE ne devrait « pas aller à l’encontre d’un pays comme la France ».

Pendant ce temps, l’Élysée s’est empressé de noter que d’autres États membres, comme la Pologne, la Belgique, les Pays-Bas, mais aussi Chypre et la Grèce ont également fait part de leurs inquiétudes.

Markus Töns a cependant critiqué le gouvernement français pour avoir suivi un « sens patriotique erroné » en « s’attachant au secteur agricole, petit, mais identitaire ».

« La France doit, à mon avis, reconsidérer d’urgence sa position et, espérons-le, parvenir à un accord », a-t-il ajouté.

Contrairement à Michel Barnier, « la Commission européenne et les partenaires du Mercosur sont convaincus que nous pourrons finaliser l’accord cette année », a poursuivi l’homme politique allemand.

Le chancelier allemand Olaf Scholz (à gauche) et le président français Emmanuel Macron (à droite) en réunion à la Chancellerie le 2 octobre 2024 à Berlin, en Allemagne. ©Tobias Schwarz - Pool/Getty Images
Le chancelier allemand Olaf Scholz (à gauche) et le président français Emmanuel Macron (à droite) en réunion à la Chancellerie le 2 octobre 2024 à Berlin, en Allemagne. ©Tobias Schwarz – Pool/Getty Images

Il a en outre fait part de son « optimisme » quant à la possibilité de conclure les négociations d’ici les 5 et 6 décembre, date d’un sommet des États du Mercosur.

L’Élysée a refusé de commenter les détails, mais a confirmé que l’ajout d’un régime de compensation pour les agriculteurs, comme l’a rapporté Politico le mois dernier, n’avait pas suffi à infléchir la position du pays.

Ne divisez pas l’Europe

L’appel urgent du SPD à diviser l’accord en deux ne fait cependant pas l’unanimité à Berlin.

Alors que l’ancien partenaire de coalition du SPD, le député pro-marché Carl-Julius Cronenberg (FDP), a indiqué à Euractiv que la division de l’accord ne devait pas être un sujet tabou, Bettina Rudloff, experte en commerce et en agriculture à l’Institut allemand pour les affaires internationales et de sécurité (SWP), a affirmé qu’un soutien suffisant pour une telle décision n’était pas garanti.

« Onze pays ont signé une lettre exprimant explicitement leur soutien à l’accord », a-t-elle rappelé, citant un document envoyé par le chancelier Olaf Scholz, le Premier ministre espagnol Pédro Sanchez et neuf autres homologues à Ursula von der Leyen en septembre.

« Mais 11 ne sont pas 15 », a-t-elle noté, car 15 est le nombre d’États membres requis pour une « majorité qualifiée » au Conseil.

Alors que de nombreux accords commerciaux de l’UE se heurtent à une opposition sur des éléments inclus dans la partie « politique », telles que les clauses de protection des investissements, Bettina Rudloff a noté que « dans le Mercosur, les questions les plus litigieuses se trouvent dans la partie commerciale traditionnelle », citant les quotas d’importation pour le bœuf et le chapitre sur le développement durable.

Par ailleurs, l’accord entre l’UE et le Mercosur ne comporte pas de clause de protection des investissements, non seulement à cause de l’UE, mais aussi parce que « le Brésil est traditionnellement critique sur les règles respectives », a-t-elle fait remarquer.

De son côté, le député vert Maik Außendorf a mis en garde contre le contournement de la France, affirmant que « l’Europe ne doit pas se laisser diviser ».

Le ministère de l’Économie dirigé par les Verts a réitéré le rôle de la Commission en tant qu’unique négociateur. La Commission « décide des prochaines étapes, en particulier de l’architecture de l’accord », a déclaré un porte-parole du ministère à Euractiv.

Le porte-parole a néanmoins indiqué que l’accord était « d’une grande importance pour l’Allemagne et l’UE en termes de commerce et de géopolitique », ajoutant que l’Allemagne « est fermement en faveur de la conclusion des négociations avec les États du Mercosur avant la fin de l’année ».

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