Tunisie, la révolution continue, la démocratie résiste.

Quelques jours après la mort en exil de Ben Ali, Kaïs Saïed  est élu avec plus de 70% des voix. Qui est-il? Il y a peu un inconnu; désormais un mystère. Un conservateur qualifié de rigoriste, un juriste sans parti considéré proche des islamistes, un professeur réputé et consulté dans de nombreuses universités arabes, qui cite Georges Vedel.

Le système démocratique tunisien n’a certes pas été exemplaire. Son principal rival, Nabil Karoui, le Berlusconi tunisien, arrêté et mis en prison quelques temps avant le premier tour, n’en est sorti que deux jours avant le second. Peut-on se faire plus discret? Mais Kaïs Saïed a décidé de ne pas faire non plus campagne, afin que son concurrent ne soit pas désavantagé. Compte tenu de l’écart de voix, il semble pourtant que l’on ne reviendra pas sur la validité de cette élection.

Entre temps, les législatives avaient montré l’émiettement politique de la Tunisie, avec la perte d’influence des Islamistes, l’effondrement des héritiers de Beji Caïd Essebsi, de son parti comme de celui du Premier ministre, tout cela sur un fond de faible participation, et le retour en grâce de ceux qui se réclament ouvertement de Ben Ali.

Cette fois, le verdict, malgré l’emprisonnement de Nabil Karoui, est clair: Kaïs Saïed a été élu avec une participation honorable et un écart sans appel: 72%, un raz de marée.

Pourquoi? Parce qu’il représente l’honnêteté, l’anti-corruption. Ce qu’il prétend: accomplir les promesses de la Révolution d’il y a huit ans: Accomplir «une Révolution légale».

Kaïd Saïed a gagné seul. Sans structure politique ni campagne de pub, un populiste austère, sans démagogie, sans effet de manche, sans charisme, sans promesses, ce père la rigueur a emballé la jeunesse. En France, on qualifierait son discours d’archaïque, réactionnaire et misogyne: Hostile à l’abrogation de la peine de mort, favorable au maintien de la demi part de l’héritage des filles par rapport aux garçons, opposé à la dépénalisation de l’homosexualité, autant de thématiques qu’il considère comme des modes occidentales. Archaïque sur le fond, moderne pour les outils: l’essentiel de sa campagne a été faite par de jeunes activistes sur Facebook.

Professeur de droit constitutionnel, il prône une décentralisation démocratique qui colle avec une Tunisie éclatée, et où la corruption du centre désespère le pays rural.

Par son rigorisme, il est compatible avec les Islamistes. Mais il le fut aussi avec Ben Ali jusqu’à sa chute. Car personne ne l’a jamais vu contesté le régime du haut de sa Chaire de droit constitutionnel à l’Université, ni en descendre pour soutenir les étudiants. Il était en revanche présent aux manifestations post Ben Ali, ce qui lui donna progressivement une certaine notoriété qui ne cessa de s’amplifier.

Est-il démocrate? S’il ne semble pas totalement converti aux bienfaits de la démocratie représentative occidentale, il veut privilégier une démocratie directe, décentralisée: donner le pouvoir à la base, à des conseils locaux élus plutôt qu’au Parlement naturellement en prise avec les compromis des partis. Il n’a d’ailleurs aucun groupe de députés qui lui sont attachés à l’Assemblée qui vient d’être élue.

Juriste, il professe la suprématie du droit, ce qui est la définition du rule of law, l’état de droit. Mais de quel droit? Nul ne sait très bien ce qu’il pense ou veut faire. S’il cite le Coran, il se réfère aussi à Hobbes et Rousseau.

«Le Peuple veut» a été le slogan de sa campagne. L’essentiel de son autorité viendra de ce score impressionnant et de la stature morale qu’il s’est donné. Car le Président tunisien n’a, selon la Constitution, qu’assez peu de pouvoir. Il devra composer avec une chambre éclatée, où une coalition pourrait se former autour d’Ennahdha, sans qu’une majorité absolue ne se forme. Aussi n’est-il pas impossible que l’on retourne aux urnes d’ici peu, pour de nouvelles élections législatives.

La Tunisie a été le premier pays à lancer le cycle des révolutions arabes, elle n’en finit pas de surprendre. Personne ne s’attendait à ce score. Personne n’imaginait il y a six mois cet anti politique solitaire l’emporter. De ce point de vue l’élection de Kaïs Saïed est une bonne nouvelle: ni le parti du Président Essebsi, ni celui du Premier ministre, ni le parti islamiste, n’ont, malgré leurs moyens, réussi à placer leur candidat au deuxième tour. Ils ont mis le favori, Nabil Karoui en prison pour le déconsidérer; et propulsé presque malgré eux un rigoriste anti-corruption qui croit en son destin et ne leur doit rien.

Tous les partis anciens sont déconsidérés.  Les mieux organisés, les Islamistes, pensent en profiter: rien n’est moins sûr: la société tunisienne n’en veut pas. La femme du nouveau Président est juge, elle ne porte ni voile ni foulard. Et elle est devenue blonde, comme d’autres Tunisiennes. Les surprises ne font que commencer. Rine ne dit que ce conservateur ne s’allie avec les «modernistes» au Parlement.

Le nouveau Président aura vite à affronter l’essentiel: une situation économique et sociale dramatique, un Etat peu efficace mais qui coûte cher.

Avec un tel score (72%), il peut faire le ménage. Mais il doit surtout trouver des appuis. Toutes les alliances sont donc à nouveau possibles. Car désormais, il faut gouverner un pays en crise, qui a choisi un homme sans programme parce qu’il semble intègre et juste.

Il se passe quelque chose d’important en Tunisie, qui déjoue les pronostics et les règles habituelles. Le nouveau Président a annoncé que son premier déplacement à l’étranger serait en Algérie. Et si la Tunisie devenait contagieuse? Souhaitons qu’elle réussisse et elle le sera. Une Tunisie démocratique et heureuse changerait à coup sûr l’avenir du monde arabe, et plus encore. C’est pourquoi il serait temps de l’aider vraiment.

Auteur/Autrice

  • Alain Stéphane a posé ses valises en Allemagne à la suite d'un coup de foudre. Aujourd'hui, il travaille comme rédacteur dans un journal local en Saxe et est correspond du site Lesfrancais.press

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