Trois monstres à abattre en 2024 !

Trois monstres à abattre en 2024 !

Les rois mages ont déposé leur cadeau. Un jeu formidable, à jouer seul ou à plusieurs. Petits et grands adorent. Le jeu : abattre trois monstres, avec une arme : un gouvernement.

Premier monstre : facile à voir parce qu’il se montre, sûr de sa force. Terrifiant, multiforme, impitoyable, il est partout, cercle de feu qui enserre la terre : on l’appelait autrefois poliment « relations internationales » ou, quand il prenait la couleur de l’argent, la « contrainte extérieure ». Là, des bombes. Des villes rasées, des attentats, de la haine, de la sauvagerie, partout des menaces, franches, sournoises. Maintenant les calamités viennent du ciel, avec la menace climatique.

Ces derniers jours, le monstre extérieur a gloussé deux ricanements, passés inaperçus.  

Le monde est dangereux. Il l’a toujours été. Chaque gouvernement veut s’en protéger. Impossible, il faut l’affronter. Ceux qui croient échapper au monde extérieur chutent. Le repli, c’est la retraite en panique. Chaque année, une ou deux crises mondiales balancent un clou rouillé dans la marmite du foyer. Chaque année ? Chaque semaine. Ces derniers jours, le monstre extérieur a gloussé deux ricanements, passés inaperçus.

En Chine, Zhongzhi a fait faillite. Qui connaît les zigzags de Zhongzhi ? Ce géant de l’ombre de la finance chinoise a sombré avec la crise immobilière : 64 milliards de dollars de dettes irremboursables. Les ventes immobilières en Chine ont chuté de 35%. La note de la Chine a été revue à la baisse par Moody’s, l’agence de notation. Que se passerait-il en 2024 si la Chine piquait sa crise ? De l’ultra dumping ? Une tempête financière ? Une petite guerre à Taïwan pour redorer le blason du génial Xi Jinping ?

La faillite de Zhongzhi ravive une fois de plus les craintes d’un risque de contagion de la crise immobilière au reste du secteur financier. ©Shutterstock

En Turquie, la nouvelle présidente de la banque centrale, Hafize Gaye Erkan, habite chez ses parents. Elle n’a pas trouvé à se loger: trop cher. L’inflation ne se calcule plus, elle s’évalue entre 60 et … 120%. En cinq ans, la livre turque a dévissé de 500% par rapport à l’Euro. Plus le Grand turc s’enfonce, plus Erdogan éructe. Lui qui nie le génocide arménien, remplit les prisons, bombarde les Kurdes, comparant Netanyahou à Hitler, a osé : « Ils disaient du mal d’Hitler. Quelle différence avez vous avec Hitler ? Ils vont nous faire regretter Hitler. Ce que fait ce Netanyahou est-il inférieur à ce qu’a fait Hitler ? Ce n’est pas le cas. Il est plus riche qu’Hitler et bénéficie du soutien de l’Occident».

Banalité du mal. Tout dirigeant, pour se divertir d’une crise, attise une autre crise.  

Qu’y a-t-il de mal, puisque, à la question : « Appeler au génocide des juifs viole-t-il le règlement sur le harcèlement à Harvard ? » la Présidente de la prestigieuse université américaine, répondait : « Cela peut, en fonction du contexte ». Elle a finalement démissionné. Erdogan non.

Claudine Gay, présidente de Harvard, lors de son audition devant le Congrès américain le mardi 5 décembre Reuters / © Ken Cedeno

Banalité du mal. Tout dirigeant, pour se divertir d’une crise, attise une autre crise. Les despotes iraniens multiplient les attaques pour mater la révolution des femmes. Kim Jung Un lance-missiles et obus pour garder son armée en ordre de bataille.

Ce qui se passe dehors est aussi à l’intérieur, non seulement par ses conséquences, mais aussi parce qu’il se trouve toujours des imbéciles pour justifier les monstres.

Sans alliances, pas d’indépendance.  

Comment lutter avec votre petit gouvernement, votre seule arme ? Tout dépend du gouvernement bien sûr. Mais aussi des alliances. Seul, chacun est faible. L’Ukraine le montre. L’Entente cordiale entre la France et le Royaume-Uni a été signée en 1904 : 120 ans d’alliance. Le monument le plus important de Paris est au quai d’Orsay, bien discret : deux salles de bains art déco construites pour le voyage du roi Georges VI et de la reine Elizabeth en 1938. Sans alliances, pas d’indépendance. Les monstres sont géants. Ils ont les couleurs de l’argent, de l’acier, du mensonge, de la haine, et à la fin, du sang. Il faut être à la hauteur de ses alliances ; d’où l’importance de la loi de programmation militaire, et de finances saines…

Deuxième monstre à abattre : l’impuissance de l’Etat et la méfiance de tous.

Le deuxième monstre à abattre ne se voit pas. Il est en France : l’impuissance de l’Etat et la méfiance de tous. Aux défis du XXIème siècle faut-il les armes du XXl ème ?  Comment changer l’Etat, comment casser la bureaucratie, cancer réglementaire qui prolifère dans tout le corps social ? En vingt ans, en France : + 65% de lois, +46% de règlements, + 127% de mots dans les textes normatifs. En tout, un stock de 320.000 articles en vigueur. Nul citoyen n’est censé ignorer la loi. Chaque citoyen est un délinquant, forcément. Mais chaque préfet, fonctionnaire, aussi : aucun ne peut connaître la loi. Et la justice est encombrée, lente. Le monstre est là. L’injustice prolifère avec l’abaissement des lois.

©Raphael Lafargue-POOL/SIPA

Cela n’est que le poids du passé. Comment rendre l’Etat agile, efficace ? Personne ne sortira de son chapeau les bonnes réformes de l’Etat. Expérimenter, regarder ce qui se passe ailleurs, comment font les autres, faire confiance : laisser faire ceux qui sont à la tâche : laissez-les faire, dans la santé, l’école, l’université, la construction, la production, l’énergie.

Ce qui vient d’en haut tombera, ce qui naît d’en bas grandira. L’État moderne sera multiforme, lui aussi. Il prendra le visage d’un pouvoir local, ou d’un contre-pouvoir au pouvoir local; la forme d’agences, de contrôles a posteriori, et de tribunaux. Un Etat qui fixe les objectifs, encadre, contrôle et juge. Plutôt qu’un Etat qui fait tout, ne réussit rien. Car sans justice, pas de légitimité pour l’Etat. Or l’injustice ronge le corps social. Monstres en chacun de nous, l’envie et le découragement. Simplification, éducation, justice : ardentes obligations.

Le troisième monstre a la forme d’une espérance, il l’est. S’il tombe, il mène aux enfers. C’est l’Europe.  

Le troisième monstre n’est ni tout à fait externe, ni tout à fait interne. Il a la forme d’une espérance, il l’est. Comme Lucifer, s’il tombe, il mène aux enfers. C’est l’Europe. Sans l’Europe, chaque pays européen, même l’Allemagne, serait dans la dépendance absolue des Etats-Unis et d’autres. Chacun serait rival. Sans l’Euro, la dette, les dépenses publiques françaises seraient impossibles. La politique sociale, comme la politique de défense, réduites. 

Pourtant, l’Europe, malgré les leçons du Brexit, malgré les menaces de Trump, malgré l’agression russe, n’a pas poursuivi sa mue. Les faiblesses de l’Union Européenne sont criantes : pas d’industrie de la défense, et donc de stratégie de sécurité commune, qui se traduit par un évident manque de solidarité diplomatique. Absence de coopération industrielle, chacun y va de sa subvention. Errements de la politique énergétique, avec les divergences entre la France et l’Allemagne. Fragmentation des marchés financiers, ce qui pénalise l’euro. Écarts entre les systèmes de protection sociale. Grands écarts des politiques budgétaires entre les Etats.

Présidence Française du Conseil de l'Union européenne
Illumination de l’Arc de Triomphe lors du lancement de la Présidence Française du Conseil de l’Union européenne en janvier 2022.

Les impuissances ne sont pas dues à « l’Europe ». Ce sont les Etats qui décident, il faut être à la hauteur.  

Cela ne doit pas désespérer des progrès, puisqu’il y en eut : sur l’Ukraine, sur la transition énergétique, sur le Green deal européen, sur le fonds pour la défense, sur l’immigration, avec un accord enfin obtenu le mois dernier. Ce que révèlent ces manques, ce sont les divergences sur le fond. La Hongrie d’Orban, ou les faux-fuyants sur la question de l’élargissement, n’en sont que les signes les plus clairs. La réalité est plus simple : la France, l’Allemagne, l’Italie, pour ne parler que d’eux, veulent-ils encore de l’Europe ?

Car les impuissances ne sont pas dues à « l’Europe ». Ce sont les Etats qui décident, il faut être à la hauteur. La France a des idées. Est-elle assez forte, notamment son économie, son système administratif, social, éducatif pour convaincre ?

S’annoncerait une victoire des Eurosceptiques aux élections européennes. L’euroscepticisme peut-il faire gagner l’Europe ? Elle peut la tuer. Au bénéfice de qui ?

Avenir de l'UE
Élections européennes ©LFP

La capacité des gouvernements à mobiliser les citoyens sur la réalité de ces enjeux. 

L’avantage de l’Europe est qu’elle permet de répondre aux monstres : créer un Etat moderne, activer une solidarité financière, commerciale, militaire. Elle peut offrir les outils pour lutter contre le monstre externe et le monstre interne, sauf si elle s’enlise, sauf si elle s’arrête, sauf elle se superpose aux états en une sorte de super-état bureaucratique. Alors, elle rejoindra le cimetière des espérances. Jusqu’à présent, elle a su répondre aux crises. La Grèce est la championne de l’année, selon The Economist. Sans l’Europe, elle serait un état failli, avec la Turquie en embuscade, les migrants sur les plages, les néonazis et l’extrême gauche dans les rues.  

Grèce et Etats-Unis
©Stockadobe

Trois monstres à abattre. Réponses en 2024. Un grand jeu avec des vrais enjeux, et des vraies gens. Une seule arme, les gouvernements ? Plutôt la capacité des gouvernements à mobiliser les citoyens sur la réalité de ces enjeux.  Parce qu’à la fin, ce sont eux qui paient la tournée. Ce sont aussi eux qui décident, par les mouvements de l’opinion, par les élections, aussi. En juin prochain par exemple.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président directeur général de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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