Selon des eurodéputés et des parlementaires français et allemands, la BCE devrait s’engager davantage pour le climat. Elle qui dispose des leviers pour le faire doit inciter les institutions financières à intégrer le risque climatique dans leurs choix d’investissement.
Initiée par le député français socialiste Dominique Potier et l’eurodéputé vert Sven Giegold, cette tribune réclamant une intervention accrue de la Banque centrale européenne à propos du défi écologique a été co-signée par 26 élus français et allemands (voir en bas de page).
En vue de la réunion du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne le 4 juin, nous demandons à la BCE d’intégrer au plus vite la lutte contre les dérèglements climatiques dans sa stratégie et ses opérations. Le défi écologique concerne toutes nos institutions publiques nationales et européennes, y compris les banques centrales, et un engagement fort est indispensable si nous voulons tenir nos objectifs climatiques.
Les crises environnementales et économiques sont imbriquées et s’alimentent. Il faut le rappeler aujourd’hui au vue des mesures exceptionnelles prises par la BCE ces derniers mois : déjà 1100 milliards de rachats d’actifs et plus de 3000 milliards de liquidités bancaires prévus pour les années 2020-2021, sans la moindre tentative d’utiliser ces mesures pour promouvoir les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat.
Empêcher les futures crises
Confrontés à une crise sanitaire d’ampleur inédite, l’UE, les Etats-membres et les banques centrales se sont naturellement focalisés sur des mesures d’urgence. Mais pour se protéger durablement, la meilleure réponse est d’accélérer nos efforts pour atténuer le changement climatique et arrêter la dégradation environnementale. Ceci présuppose de poursuivre l’adaptation de notre modèle économique. Les grandes lignes en sont bien connues, l’UE s’est dotée d’objectifs clairs et possède désormais une feuille de route sous la forme du Green Deal.
En inscrivant la « soutenabilité environnementale » à l’agenda de la révision de sa stratégie monétaire annoncée au début de l’année, la BCE a donc envoyé un signal très positif. Cependant, la crise actuelle pourrait retarder – ou même remettre en cause – cette ambition, alors qu’elle devrait nous inciter à aller plus vite et plus loin. Le fait que les décisions prises n’intègrent pas les enjeux climatiques n’est pas rassurant et semble contredire le souhait des décideurs européens d’aller vers une sortie de crise “verte”.
La BCE est indépendante, il lui appartient de définir sa propre stratégie. Mais nous pensons qu’il est urgent d’agir. Rappelons que les traités européens disposent que – sans préjudice pour la stabilité des prix – la BCE « soutient les objectifs généraux de l’Union », qu’elle contribue à l’émergence d’une croissance durable. Par ailleurs, comme toute institution de l’Union européenne, la BCE est tenue au respect de l’Accord de Paris. Au-delà des conséquences pour la stabilité financière, qui en font un sujet de préoccupation incontournable pour toute banque centrale, la lutte contre la crise écologique fait donc partie des objectifs clefs de l’Union et doit être soutenue en priorité.
Éviter un statu quo dangereux
Pour le moment, nous observons plutôt des contradictions entre les objectifs climatiques de l’Union européenne et l’action de la BCE. Là où la première propose des politiques volontaristes pour décarboner l’économie européenne, la seconde se contente de la reproduire son état actuel, même dans ses aspects les plus polluants, au motif que ses actions monétaires doivent rester « neutres » par rapport aux choix d’investissement des acteurs de marché. Pourtant, ne pas tenir compte de l’impact climatique ou environnemental de nos actions est tout sauf neutre ! Cette vision tronquée pousse la BCE à aggraver encore la crise climatique, par exemple en achetant les obligations d’entreprises des secteurs les plus émetteurs d’émissions de gaz à effet de serre, ou en refinançant les banques de façon indiscriminée, sans tenir compte de leurs politiques d’investissement.
Force est de constater que les banques et les institutions financières peinent à intégrer le risque climatique dans leurs choix d’investissement et leurs stratégies. D’un côté elles n’investissent pas assez dans la transition écologique, de l’autre elles continuent de financer les secteurs les plus carbonés et le développement des énergies fossiles. Les investisseurs de long terme sont trop peu nombreux et les régulations financières pas assez incitatives pour aligner les flux financiers sur les objectifs de l’Accord de Paris et une trajectoire de réchauffement de 1.5°C.
La BCE dispose des leviers d’action
La BCE doit agir et possède des outils pour le faire tout en restant fidèle à son mandat. Elle pourrait par exemple exclure les actifs financiers liés aux secteurs les plus polluants de ses opérations de refinancement, c’est-à-dire refuser de fournir de l’argent comptant aux banques qui voudraient déposer ces actifs comme garanties.
La BCE pourrait également exclure les actifs écologiquement toxiques de ses programmes d’achats d’actifs. Au contraire, ses programmes devraient financer en priorité les secteurs et activités en lien avec les objectifs climatiques de l’UE.
Enfin, la BCE et les régulateurs nationaux pourraient intégrer le climat dans les règles prudentielles qu’ils imposent aux banques commerciales. Les banques les plus exposées aux investissements carbonés seraient par exemple obligées de détenir un coussin supplémentaire de fonds propres.
Toutes ces mesures visent à limiter le financement des activités polluantes, et particulièrement à réduire les financements accordés aux énergies fossiles et à stopper le soutien à leur développement. En les mettant en œuvre, la BCE contribuerait à la sortie des énergies fossiles nécessaire pour atteindre les objectifs de réduction de 55% des émissions en 2030 et de neutralité carbone 2050.
Nous appelons les membres du Conseil des gouverneurs à prendre position dès la réunion du 4 juin pour l’intégration du climat aux actions de la BCE.
Signataires
Dominique Potier (Groupe Socialistes) Sven Giegold (Greens/European Free Alliance) ; Eric Alauzet (La République en Marche), Delphine Bagarry (Écologie démocratie solidarité), Marie-Noëlle Battistel (Groupe Socialistes), Boris Vallaud (Groupe Socialistes), Christophe Bouillon (Groupe Socialistes) Fabrice Brun (Les Républicains), Annie Chapelier (Écologie démocratie solidarité), Yves Daniel (La République en Marche), Jennifer de Temmerman (Écologie démocratie solidarité), Frédérique Dumas (Liberté & Territoires), Albane Gaillot (Écologie démocratie solidarité), Guillaume Garot (Groupe Socialistes), Claude Gruffat (Greens/European Free Alliance), Danièle Hérin (La République en Marche), Régis Juanico (Groupe Socialistes), Hubert Julien Laferriere (La République en Marche), Aurore Lalucq (Socialistes et démocrates), (SiFrançois-Michel Lambert (Liberté Écologie Fraternité), Klaus Mindrup (SPD), Paul Molac (Liberté & Territoires), Matthieu Orphelin (Écologie démocratie solidarité), Bertrand Pancher (Liberté & Territoires), Richard Ramos (Mouvement démocrate), Claudia Rouaux (Groupe Socialistes), Marie Toussaint (Greens/European Free Alliance), Frédérique Tuffnell (Écologie démocratie solidarité), Stéphane Viry (Les Républicains).
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