Trajectoires brisées : le Brexit piège des médecins français

Trajectoires brisées : le Brexit piège des médecins français

Depuis le Brexit, de nombreux Français ayant étudié la médecine au Royaume-Uni se heurtent à un obstacle inattendu : la disparition de la reconnaissance automatique de leur diplôme en France, les empêchant de venir exercer dans l’hexagone. Quatre années ont suffi pour bouleverser trajectoires professionnelles et projets familiaux. Le piège du Brexit pourrait être surmonté avec la proposition de loi déposée en novembre 2025 par Vincent Caure, député des Français du Royaume-Uni et d’Europe du Nord (3ème circonscription des Français de l’étranger). Décryptage et témoignages.

Reconnaissance des diplômes de médecins : le cadre légal

Selon l’article L. 4131-1 du Code de la santé publique, seuls les titulaires d’un diplôme français ou d’un diplôme reconnu de l’UE/EEE peuvent exercer librement la médecine en France. Avant le Brexit, les diplômés britanniques bénéficiaient de cette reconnaissance automatique. Aujourd’hui, ils sont considérés comme praticiens hors Union Européenne (PADHUE) et doivent suivre des procédures longues et incertaines.

« Ni mon université, ni l’Ordre, ni le CNG ne savaient quoi répondre »

Caroline Memmi, Française médecin à Londres

Le Conseil national de l’Ordre des médecins rappelle toutefois qu’une reconnaissance automatique reste possible pour les diplômés britanniques avant le 1er janvier 2021, lorsque leur spécialité figure dans l’annexe V de la directive européenne 2005/36/CE.

A Londres, des Françaises médecins témoignent

Quant à Andréa Poupart, qui faisait partie de la dernière cohorte encore considérée européenne, a vu son diplôme basculer dans la catégorie « hors UE ». Pour cette jeune Française installée au Royaume-Uni depuis ses 18 ans, la situation est absurde : « le plus dur, c’est d’être française… et traitée comme un outcast. » Son père étant malade en France, elle voudrait rentrer : « Mais des procédures administratives m’empêchent d’utiliser un diplôme que j’ai mis des années à obtenir. »

Caroline Memmi se souvient ainsi du choc de janvier 2021. Au milieu de sa troisième année de médecine à Londres, elle découvre que le Brexit l’empêchera de passer l’internat français.
« Ni mon université, ni l’Ordre, ni le CNG (Centre national de gestion) ne savaient quoi répondre. » Très vite, elle comprend qu’elle devra suivre une procédure lourde et incertaine pour espérer exercer en France.

« Il y avait un poste en cardiologie interventionnelle
dans une clinique privée. Sans reconnaissance, c’était impossible »

Alice Wood, cardiologue

Dr Alice Wood, Cardiologue à Grenoble
Dr Alice Wood, Cardiologue à Grenoble

Autre témoignage, celui d’Alice Wood, cardiologue interventionnelle à Grenoble. Son parcours illustre aussi l’ampleur du problème. Formée au Royaume-Uni, elle cumule quatorze ans d’études, dont un doctorat de recherche. À son arrivée, l’hôpital lui promet un poste d’assistante, mais elle découvre un poste d’interne payé au minimum, sans droits attachés au statut de médecin. Faute de reconnaissance, elle passe le concours de vérification des connaissances et devient praticienne associée, un statut transitoire qui lui impose deux ans de travail à demi-salaire et deux diplômes universitaires supplémentaires : « il y avait un poste en cardiologie interventionnelle dans une clinique privée. Sans reconnaissance, c’était impossible », nous a-t-elle dit. Elle souligne également l’impact sur ses patients :
« Mon statut m’interdit de faire des consultations en dehors de l’hôpital. Ces patients n’ont donc pas de cardiologue attitré. »

Une génération de médecins français formés au Royaume Uni prise en étau

Caroline, Andréa et Alice appartiennent à cette génération « pré-Brexit » qui a fait ses choix d’études dans un cadre juridique européen clair… avant que celui-ci ne disparaisse. Caroline raconte : « je rêvais d’avoir mes enfants près de ma famille. Aujourd’hui, j’ai 29 ans et je dois encore passer des années en Suisse. Tous nos projets familiaux sont partis par la fenêtre. »

De son coté, Andréa observe le contraste entre l’excellence des formations britanniques et la suspicion administrative française : « les formations britanniques sont de très haut niveau. Ce serait un moyen de renforcer la coopération scientifique. »  Une autre étudiante, souhaitant rester anonyme, nous a aussi raconté sa propre expérience :
« Sans internat, il ne me reste que la spécialité au Royaume-Uni ou dans un pays tiers. Toute ma famille est en France. C’est difficile d’accepter de ne pas avoir d’option pour y vivre et y travailler. »

Andréa Poupart, hôpital de Birmingham
Andréa Poupart, hôpital de Birmingham

« Les formations britanniques sont de très haut niveau.
Ce serait un moyen de renforcer la coopération scientifique »

Andréa Poupart, Française installée au Royaume-Uni

Tous font partie du groupe à l’origine de la mobilisation auprès du député des Français de l’étranger Vincent Caure et d’autres élus : « On veut juste pouvoir rentrer et servir la France. » Mais concernant une possible évolution de la reconnaissance des diplômes, Alice reste lucide pour le moment : « chaque fois qu’on me dit qu’il y a de l’espoir, c’est un faux espoir. Donc pour l’instant, je n’y crois pas. »

La proposition de loi de Vincent Caure

La volonté du député à travers ce texte est de créer un régime transitoire de reconnaissance pour les cohortes ayant commencé leurs études avant le 31 décembre 2020. Concrètement, il permettrait :

  • Une inscription facilitée à l’Ordre des médecins ;
  • La fin des procédures d’autorisation imprévisibles ;
  • Une évaluation alignée sur le système européen de reconnaissance automatique.

Pour ces cohortes, la mesure apparaît comme une réparation légitime. Pour Caroline : « Si la loi passait, ce serait formidable. » « Cela nous redonnerait un horizon », nous confie Andréa.

Et pour Alice : « Oui, ça marcherait pour moi. Je pourrai avancer plus vite. »
Quant à notre étudiante qui préfère ne pas communiquer son nom, elle nuance : « Ce serait un progrès énorme, même si tout ne serait pas réglé. »

Un enjeu national en France : la pénurie de médecins

Le paradoxe est criant : bloquer l’accès de médecins formés dans un système clinique reconnu alors que la France manque de praticiens. Entre 2001 et 2021, le nombre de médecins exerçant dans un pays autre que celui de leur naissance a augmenté de 86 % dans l’OCDE. Avec un million de professionnels de santé nés à l’étranger, les États-Unis sont le principal pays d’accueil, suivis de l’Allemagne (330.000) et du Royaume-Uni (308.000).

« On veut juste servir la France, rentrer chez nous,
travailler dans le pays où on a grandi. »

Caroline Memmi, Française médecin à Londres

La France arrive en sixième position avec près de 90.000 professionnels nés à l’étranger, représentant 18 % des médecins et 6 % des infirmiers sur le territoire. Le NHS (National Health Service) au Royaume-Uni forme les jeunes praticiens à l’autonomie, à la coordination et à la sécurité des soins, trois compétences très recherchées dans les hôpitaux français. Alice résume : « Le système français de reconnaissance est problématique pour tout le monde. »
Caroline conclut : « On veut juste servir la France, rentrer chez nous, travailler dans le pays où on a grandi. »

Un vote décisif en perspective

La proposition de loi de Vincent Caure pourrait enfin offrir à cette génération de médecins français formés au Royaume-Uni un horizon professionnel et familial. Quatre ans après le Brexit, leur savoir est prêt à soigner, mais la bureaucratie les retient dans un purgatoire administratif. Chaque patient en attente devient le témoin silencieux de ce paradoxe : des compétences prêtes à servir, des vies prêtes à être soignées… et un cadre légal qui tarde à les libérer. La discussion de cette proposition de loi le 19 janvier 2026 et le vote des parlementaires français pourraient ouvrir de nouvelles perspectives. 

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