Au 35 Cromwell Road, à deux pas du Victoria & Albert Museum, une colère s’insinue, douce, mais tenace. Dans les couloirs feutrés du Lycée français Charles de Gaulle de Londres (LFCG), la colère gronde chez une grande partie des parents d’élèves. Familles inquiètes, enseignants dubitatifs, diplomates embarrassés : le prestigieux établissement, vitrine de la France outre-Manche, est secoué par une triple crise : fiscale, sociale et institutionnelle. En effet, depuis plusieurs mois, au Royaume-Uni, la TVA empêche la scolarité de jeunes Français. Explications.
Une TVA brutale qui entrave les relations franco-britanniques
Depuis septembre 2024, l’application de la TVA à 20 % sur les frais de scolarité des écoles privées britanniques a provoqué une onde de choc. Si la mesure, portée par le gouvernement de Keir Starmer, cible officiellement les écoles d’élite anglaises, elle frappe de plein fouet les établissements étrangers — y compris ceux partiellement financés par des États.
« Cette mesure ressemble à un acte culturel hostile »
Parents d’élèves du lycée français Charles de Gaulle à Londres
Un principe de réciprocité bafoué ? « Cette mesure ressemble à un acte culturel hostile », dénoncent certains parents d’élèves français expatriés à Londres, pour qui ce tour de vis fiscal s’apparente à une entrave aux relations franco-britanniques post-Brexit.
Lycée français à l’étranger ; un modèle économique essoufflé ?
Mais derrière le choc de la TVA se cache un malaise bien plus profond. Car au Lycée français Charles de Gaulle de Londres (LFCG), les frais de scolarité ont doublé en dix ans. Et l’augmentation ne date pas d’hier : chaque année, depuis 15 ans, les hausses s’enchaînent, parfois jusqu’à + 9 % annuels, bien au-delà de l’inflation. En 2025, une nouvelle hausse de 4 % est prévue, sans justification publique. Les familles sont à bout de souffle.
« On nous impose ces hausses sans explication, sans transparence, sans discussion », résume une mère de deux enfants en primaire. Comme elle, des centaines de parents dénoncent l’opacité totale de la gestion financière du lycée. La question se pose : le modèle économique de certains établissements français à l’étranger est-il encore adapté ?
L’AEFE, un chef d’orchestre à huis clos
Le Lycée français Charles de Gaulle est le seul du Royaume-Uni à être un EGD, c’est-à-dire un Établissement en gestion directe par l’AEFE, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger.
« Au Lycée français Charles de Gaulle, c’est l’AEFE elle-même qui décide des budgets, des augmentations, des embauches,… »
Concrètement ? Le lycée n’a pas de personnalité morale propre : c’est l’AEFE elle-même qui décide des budgets, des augmentations, des embauches,… Et l’AEFE dépend non pas du ministère de l’Éducation nationale, mais du ministère des Affaires étrangères — ce qui suscite toujours des interrogations.
Ainsi, chaque année, près de 10 millions de livres s’évaporent via des prélèvements obscurs (PRR, PFC1), sans qu’aucun usage précis n’en soit communiqué. Or, si ces prélèvements étaient suspendus, les frais pourraient être réduits de près de 30 %, selon des estimations internes.
Une école publique au prix d’un établissement privé « élitiste »
Le paradoxe ne s’arrête pas là. Si le LFCG est considéré par l’État français comme un établissement public, reconnu par le code de l’éducation (article L452-2), le fisc britannique, lui, le considère comme privé — et donc taxable !
Résultat : une école publique française traitée comme une école privée anglaise, avec des tarifs alignés sur ceux du marché local… sans certains services promis, ni de lien que l’on pourrait imaginer entre un prestataire et un client.
Un récent sondage mené par le CIPL (association de parents d’élèves) enfonce le clou : l’application intégrale des 20 % de TVA est jugée « brutale », « injustifiée », « inacceptable ». D’autres établissements privés, notent les parents, absorbent une partie de cette taxe, ou la répercutent partiellement. Pourquoi pas le LFCG ?
Un modèle éducatif à deux vitesses
Pour de nombreuses familles, la coupe est pleine. Entre les hausses à répétition, l’ajout de la TVA, et l’inflation londonienne, la scolarité devient inaccessible, même pour des classes moyennes supérieures. Certains parents parlent de « sacrifice financier total ». D’autres, plus radicaux, envisagent de retirer leurs enfants, de rentrer en France ou de basculer vers le système britannique.
« On est en train de construire une école pour une ultra-élite, plus étroite encore qu’avant »
Parents d’élèves du lycée français Charles de Gaulle à Londres
Le risque ? Un lycée de plus en plus fermé, de moins en moins divers. « On est en train de construire une école pour une ultra-élite, plus étroite encore qu’avant », souffle une représentante de parents. Le système de bourses scolaires, pourtant présenté comme amortisseur, ne suit pas le rythme du coût de la vie à Londres.
Dialogue rompu, opacité persistante
Au-delà des montants, le silence pesant des responsables et l’opacité ressentie crispent les esprits. Depuis des mois, les parents disent parler dans le vide. La direction locale, jugée « méprisante », est accusée de ne pas écouter les demandes. L’AEFE, elle, reste silencieuse, quasi injoignable. Une direction solitaire, en décalage avec la culture britannique de concertation.
Or, dans cette même situation, d’autres écoles réagissent autrement. Ainsi, l’école allemande de Londres aurait, dit-on, accepté d’absorber une partie de la TVA pour ménager les familles. D’autres établissements AEFE partenaires — comme Wembley ou les écoles espagnoles — offrent un dialogue réel avec les familles.
Le savoir surtaxé, la diplomatie secouée
Le cas du LFCG dépasse désormais le simple cadre d’un différend scolaire. Il pose une question politique, culturelle et diplomatique : peut-on maintenir une mission de service public français à l’étranger sans moyens, sans clarté, avec une légitimité locale remise en cause ?
Dans un contexte où l’image de la France post-Brexit est plus que jamais en jeu, le lycée de South Kensington devient un symbole. Celui d’un modèle à bout de souffle, entre deux logiques contradictoires — service public à Paris, école privée à Londres. Ce qui est décrit ici pour le lycée français Charles de Gaulle au Royaume-Uni se reflète également dans de nombreux autres établissements appartement à la famille des EGD, partout dans le monde. Il est peut-être temps de repenser cela. Mais qui aura l’audace de le faire ?
Auteur/Autrice
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Alexander Seale est franco-britannique. Né et habitant au Royaume-Uni, il est correspondant pour lesfrancais.press, LCI (France) et LN24 (Belgique) à Londres.
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