En novembre 2019, Emmanuel Macron avait choqué en déclarant, lors d’une interview à l’hebdomadaire The Economist : « Ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’OTAN ».
Le président français exprimait alors ses préoccupations concernant le manque de coordination stratégique entre les États-Unis et les partenaires de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord), ainsi que l’intervention unilatérale de la Turquie en Syrie, un autre membre de l’Alliance, sans consultation préalable. Donald Trump posait déjà à l’époque la question de l’insuffisance du financement européen. Six ans plus tard, les propos d’Emmanuel Macron apparaissent prémonitoires. Le revirement de Donald Trump sur le soutien des États-Unis à l’Ukraine a surpris. Néanmoins, depuis la création de l’Alliance atlantique, la solidité de ce soutien a souvent été discutée.
En 1956, après la crise de Suez, le ministre français des Affaires étrangères déclarait ainsi : « La véritable victime de cette affaire, c’est l’Alliance atlantique… Si nos alliés nous ont abandonnés dans des circonstances difficiles, voire dramatiques, ils seraient capables de le refaire si l’Europe se trouvait à son tour en danger.»
L’affaire du Canal de Suez : symbole de la domination américaine
L’affaire du canal de Suez en 1956 a marqué le déclin des puissances coloniales européennes et le basculement vers un monde bipolaire dominé par les États-Unis et l’URSS. L’annonce de la nationalisation du canal de Suez par le chef d’État égyptien Nasser, le 26 juillet 1956, en réaction au refus des Britanniques et des Américains de financer le barrage d’Assouan, provoque une onde de choc en Occident. La France et le Royaume-Uni considèrent que cette nationalisation constitue une menace pour leurs intérêts stratégiques et économiques. La France juge également nécessaire de punir l’Égypte qui soutient ouvertement les indépendantistes algériens. Paris et Londres reçoivent l’appui d’Israël, en conflit direct avec l’Égypte depuis sa création en 1948. Les trois pays élaborent alors un plan secret à Sèvres pour renverser Nasser. Israël doit attaquer l’Égypte, justifiant ainsi une intervention franco-britannique sous prétexte de rétablir la liberté de navigation sur le canal.
L’opération militaire commence le 29 octobre 1956 par l’invasion de la péninsule du Sinaï par Israël. Deux jours plus tard, la France et la Grande-Bretagne adressent un ultimatum à l’Égypte et, face à son refus, bombardent des positions égyptiennes avant de débarquer à Port-Saïd le 5 novembre. Cette action militaire unilatérale déclenche une crise diplomatique majeure. Les États-Unis, sous la présidence d’Eisenhower, condamnent l’opération et refusent de soutenir leurs alliés européens. De son côté, l’URSS menace d’intervenir militairement aux côtés de l’Égypte, augmentant le risque d’un affrontement direct entre grandes puissances. Face à ces pressions, notamment économiques, le Royaume-Uni et la France sont contraints d’accepter un cessez-le-feu le 7 novembre 1956. Cet événement laisse des traces profondes en France.
Le général de Gaulle, connu pour sa faible empathie à l’égard des États-Unis, décide d’accélérer dès 1959 le programme de constitution d’une force nucléaire autonome et annonce en 1966 la sortie de la France du commandement militaire de l’OTAN. Il ne manque pas non plus de condamner la politique américaine au Vietnam, bien qu’il apporte son soutien aux États-Unis lors des crises majeures que furent celle des fusées de Cuba ou du blocus de Berlin.
Cette posture française, souvent perçue comme grandiloquente, était parfois moquée à l’étranger ; la France pouvait se permettre d’afficher son indépendance tout en bénéficiant du parapluie américain.
À la recherche d’une émancipation
Les dernières prises de position de Donald Trump redonnent toute leur actualité et leur acuité à la politique étrangère et de dissuasion mise en œuvre par le général de Gaulle il y a plus de soixante ans. « Nous sommes tous devenus gaullistes », a déclaré Caspar Veldkamp, le ministre néerlandais des Affaires étrangères. Une conversion surprenante pour un État réputé peu francophile. Il faut cependant rappeler que le gaullisme n’a jamais été une idéologie figée, mais avant tout l’expression d’un pragmatisme face aux événements.
La Première ministre du Danemark, Mette Frederiksen, a ouvert la voie après que Donald Trump a menacé d’annexer le Groenland. « Tout le monde en Europe peut voir que la collaboration avec les États-Unis sera désormais différente », a-t-elle averti.
Friedrich Merz, probable futur chancelier allemand et fervent atlantiste, est allé plus loin en exhortant l’Europe à « obtenir son indépendance vis-à-vis de l’Amérique ». Le 13 mars dernier, Donald Trump a pris un malin plaisir à humilier le chef de l’Alliance le Mark Rutte, ancien Premier ministre néerlandais, en évoquant publiquement devant lui son souhait d’annexer le Groenland dont la souveraineté relève du Danemark qui est membre de l’organisation. Le chef de l’OTAN a été même contraint de féliciter le locataire de la Maison blanche pour son engagement en faveur de la paix en Ukraine.
Dans plusieurs pays européens, des voix se font entendre afin d’éviter tout à la fois une montée aux extrêmes avec la Russie et les États-Unis. Un monde sans parapluie américain est impensable pour de nombreux pays européens.
La diplomatie française retrouve des couleurs
Malgré les divisions persistantes au sein de l’Europe, la diplomatie française retrouve aujourd’hui quelques couleurs au moment même où le pays traverse une crise politique sans précédent depuis 1958. Certes, sa crédibilité est affaiblie par ses difficultés budgétaires. La France vient à peine d’atteindre l’objectif de 2 % du PIB fixé par l’OTAN en 2014. Son industrie de défense reste d’une taille insuffisante pour se substituer à celle des États-Unis et accuse un retard sur plusieurs productions de haute technologie, notamment dans les domaines des drones ou des missiles hypersoniques Si la France possède la bombe nucléaire, est-elle en capacité d’offrir aux Européens une véritable alternative au parapluie américain ? C’est une autre affaire.
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