Olivier Becht avait une lourde mission la semaine dernière lors de sa visite au Maroc du 18 au 20 octobre 2022. Réconcilier la République et le Royaume chérifien, alors que la décision de Paris en septembre 2021 de diviser par deux l’octroi de visas au Maroc est toujours source de rancoeur de la population, tandis que la classe politique s’inquiète d’un éventuel glissement de la position d’Emmanuel Macron en faveur de l’indépendance du Sahara Occidental.
Hostilité sur les réseaux sociaux
Tout avait déjà mal commencé. Première bourde : le 18 octobre, l’ambassade de France au Maroc annonce dans une vidéo la visite au Maroc, qualifié de «partenaire d’exception de la France», par le ministre délégué chargé du Commerce extérieur, de l’Attractivité et des Français de l’étranger, Olivier Becht.
Mais comme c’est le cas depuis plusieurs mois, cette publication, au même titre que toutes celles que poste l’ambassade de France au Maroc, a suscité bon nombre de commentaires négatifs sur la toile marocaine. Il faut dire que la décision des autorités françaises d’humilier les Marocains demandeurs de visas est en train de ruiner –peut-être de façon irréversible– le capital sympathie dont bénéficiait ce pays au Royaume et l’engouement pour la culture et la langue françaises, naguère bien enracinées chez une grande partie de la population.
Cela aurait pu en rester là… Mais, à l’étonnement général et en contradiction avec les usages diplomatiques, l’ambassadrice de France, Anne-Sophie Avé, qui occupe ce poste depuis septembre 2022, est rentrée dans un ping-pong de tweets avec les opposants à la France. Alors qu’un Marocain demandait le départ de nos entreprises de son pays, l’ambassadrice a répondu «Quid des milliers d’employés marocains ? Chômage marocain ?», en référence aux employés de ces entreprises françaises au Maroc qui se retrouveraient sur le carreau si celles-ci venaient à quitter le territoire marocain.
Autant dire que cette publication a fait mouche, mais pas dans le bon sens du terme, et a littéralement suscité une vague d’indignations au Maroc. Les internautes ont réagi en nombre, rappelant à l’ambassadrice que «ces sociétés seront récupérées par des capitaux marocains et gérées par des compétences marocaines», en cas de départ du Maroc.
Olivier Becht arrive donc au Maroc alors que l’opinion publique est déjà chauffée à blanc. Pourtant, le ministre des Français de l’étranger et du Commerce extérieur venait dans ce royaume avec la volonté de relancer les relations entre les deux pays, et animé d’une volonté d’apaisement.
La France, premier investisseur au Maroc
En effet, Olivier Becht était porteur de bonnes nouvelles avec le renforcement des investissements industriels dans le Maroc, le « hub vers l’Afrique » de notre pays. Pour rappel, la France est, déjà, le premier investisseur étranger au Maroc. En 2021, les échanges commerciaux de la France avec le Maroc se sont élevés à 10,7 milliards d’euros.
A Rabat, Olivier Becht a mené des entretiens avec Mohcine Jazouli, ministre délégué auprès du chef du gouvernement chargé de l’Investissement, de la convergence et de l’évaluation des politiques publiques, et Ryad Mezzour, ministre de l’Industrie et du Commerce. Tandis qu’à Casablanca, Olivier Becht a visité la Chambre française de commerce et d’industrie au Maroc (CFCIM) que préside Jean-Pascal Darriet (Lydec) et que dirige Jean-Charles Damblin. La CFCIM assure, dans le cadre d’une concession de service public de Business France, les prestations d’accompagnement des PME et ETI françaises au Maroc.
Olivier Becht a aussi rencontré des représentants de l’écosystème aéronautique, avec une visite à l’Institut des métiers de l’aéronautique et à l’usine Safran Nacelles, dans la zone franche de Midparc de Casablanca. Enfin, il était l’invité d’honneur du Choiseul Africa Business Forum, toujours à Casablanca, réseau d’affaires qui réunit chaque année des décideurs africains.
«Nous pouvons sans doute encore intégrer davantage le Maroc dans les chaînes de valeur hexagonales et tirer un meilleur parti de notre proximité géographique, linguistique et culturelle»,
Olivier Becht au Maroc
Froid diplomatique
Mais malgré la bonne volonté du ministre et de ses équipes, il est difficile de relancer les relations entre les deux pays, quand le Maroc, simultanément, rappelle son ambassadeur. En effet, le 19 octobre, le palais royal confirmait le départ de Mohamed Benchâaboun de son poste d’ambassadeur du Maroc près de France.
Présenté par la presse locale comme une promotion, ce rappel serait une façon pour Rabat de montrer son mécontentement par rapport à de nombreux actes posés dernièrement par Paris et qui semblent porter à confusion sur sa position concernant le Sahara. En effet, le Maroc est persuadé que Paris fait le jeu d’Alger, alors que les tensions sont encore vives avec l’Algérie, malgré le voyage d’Emmanuel Macron sur place en septembre 2022.
Sahara Occidental
Si au cours des mandats de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, il n’y avait aucun doute sur la position de la France concernant le Sahara, ce n’est plus le cas aujourd’hui avec l’actuel président. Rabat voit d’un mauvais œil le fait que son allié stratégique qu’est la France se soit fait damner le pion par les États-Unis et l’Espagne sur la question du Sahara. Pour le roi Mohammed VI, la position de ses alliés sur la question ne devrait souffrir d’aucune ambiguïté… La création d’une section La République en Marche (le parti d’Emmanuel Macron rebaptisé depuis Renaissance) par des expatriés pour le Sahara Occidental a été particulièrement mal prise.
Politique des visas
L’autre point de tension entre les deux pays, c’est la baisse de moitié du quota de visas français octroyés aux citoyens marocains comme pour les Algériens. Une situation que dénonce le député des Français du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest, Karim Ben Cheïkh. L’ancien diplomate, nouveau député, avait bien anticipé les conséquences diplomatiques et économiques de cette décision. Poussée par Gérald Darmanin qui veut améliorer le taux effectif des OQTF (ordre de quitter le territoire français), cette disposition devait contraindre Rabat à accepter la reconduction vers le Maroc de leurs citoyens « sans papiers ». Interviewé par le journal marocain l’Économiste, Olivier Becht indiquait qu’il était, aussi, venu régler certaines questions dont celles liées aux visas. Mais malgré ses nombreux échanges avec les responsables marocains, aucune solution n’a été annoncée.
La communauté française au Maroc
Olivier Becht est en charge du commerce extérieur mais aussi des Français de l’étranger. Et comme il l’avait promis lors de sa prise de fonction, Olivier Becht, comme à Singapour ou en Indonésie, a rencontré nos compatriotes installés sur place.
Sur le continent africain, le royaume chérifien est le premier pays d’accueil de la communauté française. Et s’ils sont 53 800 à être inscrits sur les registres consulaires, on estime à 80 000 le nombre de ressortissants français établis au Maroc, un chiffre en constante augmentation.
« Il faut dépasser ces tensions pour construire des projets communs »
Olivier Becht devant la communauté française à l’ambassade de France au Maroc
Une communauté forte en nombre mais aussi en capacité financière et d’innovations. En effet, parmi nos compatriotes sur place se mélangent des binationaux de retour au Maroc avec une formation française, des retraités au pouvoir d’achat conséquent pour le pays, mais aussi de nombreux investisseurs dans l’immobilier (on se souvient de la ruée sur les riads dans les années 2000-2010), les nouvelles technologies mais aussi la construction navale et ferroviaire comme l’aéronautique.
Hommage à Stéphane Sachet
Olivier Becht s’est aussi rendu au Lycée français Lyautey à Casablanca dont le proviseur, Stéphane Sachet, est décédé ce lundi 17 octobre. Il lui a évidemment été rendu hommage avec tous les élèves de l’établissement.
« Moment de recueillement au Lycée Lyautey à Casablanca, établissement emblématique du réseau de l’enseignement français à l’étranger dont le proviseur Stéphane Sachet est décédé ce lundi. Nous nous souviendrons de l’excellence de son parcours et de son humanité, reconnus de tous »
OIivier Becht sur Facebook
Le voyage d’Olivier Becht a rempli, sur le papier, tous ses objectifs, en rencontrant les acteurs politiques et économiques du Maroc, sans oublier la communauté des Français du Maroc. Mais sur le fond, son voyage ne restera pas dans les annales, car du côté marocain on espère vraiment une visite rapide d’Emmanuel Macron. A défaut, les autorités marocaines pourraient penser que la France prend le parti de l’Algérie.
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