L’initiative de l’Allemagne visant à permettre aux pays de l’UE de distribuer plus de subventions à leurs industries s’est heurtée à l’opposition d’experts et d’États membres, qui craignent que cette mesure ne confère à l’Allemagne un avantage concurrentiel. L’Allemagne a jusqu’à présent largement ignoré ces craintes.
L’UE cherche actuellement des solutions pour lutter contre la loi américaine sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act, IRA), dotée d’un budget de 500 milliards d’euros. Celle-ci a soulevé des craintes de voir les industries européennes délocalisées aux États-Unis afin de bénéficier du régime de subventions.
L’Allemagne est particulièrement favorable à l’assouplissement des règles en matière d’aides d’État qui garantissent actuellement une concurrence loyale entre les États membres de l’Union européenne pour s’aligner sur les États-Unis. Le cadre des aides d’État « doit être réformé et mis à jour de toute urgence », indique un document stratégique du SPD, le parti social-démocrate au pouvoir, publié la semaine dernière.
Une telle mesure pourrait toutefois ouvrir une boîte de Pandore et alarme de nombreux autres États membres, qui redoutent qu’elle ne confère à l’Allemagne un avantage concurrentiel vis-à-vis du reste de l’Union.
« L’assouplissement de nos règles en matière de concurrence et d’aides d’État n’est, la plupart du temps, pas le moyen privilégié ou le plus bénéfique de relever de nouveaux défis », a déclaré à EURACTIV un porte-parole du ministère néerlandais des Affaires économiques.
Au contraire, l’assouplissement des règles en matière de subventions pourrait facilement fausser la concurrence et la croissance ou conduire à une « course aux subventions néfaste qui profite à peu de gens et nuit à beaucoup », a ajouté le porte-parole.
Des inquiétudes similaires ont également fait surface en République tchèque, où certains responsables politiques craignent qu’une telle course aux subventions profite principalement aux grands États membres.
« Si l’on entre dans un engrenage de “qui donne le plus”, la République tchèque ne sortira pas gagnante », a averti l’eurodéputé tchèque Luděk Niedermayer (TOP 09, PPE).
« Notre intérêt est, en réalité, de rendre les règles des aides d’État plus strictes plutôt que moins strictes. Et, bien sûr, elles doivent être respectées », a ajouté l’eurodéputé tchèque, représentant l’un des partis de la coalition gouvernementale tchèque.
Cependant, malgré les inquiétudes croissantes des experts et des plus petits États membres, l’Allemagne ne tient actuellement pas compte de ces considérations.
Interrogé par EURACTIV sur la manière dont l’Allemagne répond à ces préoccupations, le ministère de l’Économie s’est montré peu enclin à commenter la question. Le ministère allemand de l’Économie a rejeté ces préoccupations en déclarant que l’Allemagne fait uniquement pression pour un assouplissement, et non pour un « abandon du contrôle interne de la concurrence de l’UE », a déclaré un porte-parole du ministère à EURACTIV. Le porte-parole a plutôt fait valoir que l’assouplissement permettrait à « l’Europe dans son ensemble d’être apte à affronter l’avenir. »
Toutefois, même un assouplissement des règles de l’UE en matière de subventions pourrait avoir d’énormes répercussions négatives sur le marché unique et avantager l’Allemagne vis-à-vis des autres États membres, comme en témoigne le passé.
Accroître l’avantage concurrentiel de l’Allemagne
En réponse à la crise de la Covid-19 et au choc énergétique déclenché par la guerre en Ukraine, « les pays qui ont les moyens financiers les plus importants, qui disposent d’une plus grande marge de manœuvre fiscale, ont été beaucoup plus à même de riposter et de sauver leurs entreprises et d’amortir la pression engendrée », a déclaré à EURACTIV Armin Steinbach, professeur de droit et d’économie de l’UE à l’École des Hautes Études Commerciales (HEC) de Paris.
« Si nous assouplissons maintenant davantage les règles relatives aux aides d’État, nous allons fondamentalement accroître ce déséquilibre au sein de l’Europe », prévient-il.
Selon les données de la Commission européenne, les entreprises allemandes sont déjà les plus grands bénéficiaires des aides d’État accordées en réponse à la crise énergétique, dans le cadre de laquelle un soutien supplémentaire aux entreprises a été toléré.
En vertu de « l’encadrement temporaire de crise », l’Allemagne a rapporté plus de la moitié des aides d’État approuvées (53 %), la France (24 %) et l’Italie (7 %) arrivant en deuxième et troisième position. Le reste de l’UE ne représente ainsi que 16 % des aides d’État notifiées, alors même qu’il représente 45 % du PIB de l’UE.
« Tous les États membres ne disposent pas de la même marge de manœuvre budgétaire pour les aides d’État. C’est un fait. Et un risque pour l’intégrité de l’Europe », est-il indiqué dans une lettre envoyée vendredi (13 janvier) aux ministres nationaux par la vice-présidente de la Commission, Margrethe Vestager.
Dans cette lettre, qui a été divulguée à EURACTIV, Mme Vestager propose également l’assouplissement des règles relatives aux aides d’État, mais seulement si un « fonds européen collectif accompagne cette initiative ». Ce fonds serait vraisemblablement financé par une dette commune supplémentaire de l’UE.
Cette proposition est vivement soutenue par l’Italie et la France, qui affirment qu’elles n’accepteraient d’assouplir les règles relatives aux aides d’Etat qu’en complément d’un nouveau fonds européen.
Alors que la France a fait pression aux côtés de l’Allemagne pour assouplir les règles relatives aux aides d’État dans un document de position commune, la ministre française des Affaires européennes Laurence Boone a, à son tour, précisé par la suite qu’une telle mesure n’aurait de sens qu’en complément d’un fonds au niveau européen.
L’objectif est d’ « assurer que ces moyens ne sont pas captés par un seul pays, ce qui pourrait être le cas si on se contente de flexibiliser les aides d’Etat », a-t-elle déclaré devant la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale mercredi dernier (11 janvier).
« Pour s’en assurer, nous allons pousser pour qu’un instrument européen permette de réduire la fragmentation et de donner les mêmes conditions de simplification et de financement à tous les pays européens », a-t-elle ajouté.
La Première ministre italienne, Giorgia Meloni, a tenu des propos similaires lors d’une réunion avec la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, à Rome la semaine dernière.
Elle a souligné que l’Italie n’accepterait d’assouplir les règles relatives aux aides d’État que si un « Fonds européen de souveraineté », tel que proposé par Mme von der Leyen, était créé dans le même temps. Dans le cas contraire, estime-t-elle, l’Allemagne bénéficierait de manière disproportionnée d’un assouplissement des règles relatives aux aides d’État.
L’Allemagne s’est cependant jusqu’à présent fondamentalement opposée à une telle éventualité. Conformément aux plans du ministère allemand de l’Économie, divulgués par le quotidien Handelsblatt, Berlin est très sceptique quant au financement de la réponse au niveau européen. Les fonds supplémentaires devraient plutôt être « levés principalement au niveau national », indique le document.
Le ministre allemand des Finances, Christian Lindner, est particulièrement critique à l’égard de toute réponse européenne impliquant des dettes européennes communes.
« Un fonds de souveraineté ne doit pas être une nouvelle tentative d’emprunt européen commun. Ce ne serait que la même éternelle solution qui cherche chaque nouvelle occasion pour être proposée », a déclaré M. Lindner en décembre. « Nous ne voyons aucune raison pour une dette européenne supplémentaire », a-t-il conclu.
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