Philippe Crevel, économiste, Président de Lorello ecodata, société d’études économiques, et Directeur du » Cercle de l’Épargne » sur les stratégies économiques des gouvernements et les sorties de crise possibles.
Lesfrancais.press : L’année 2020 aura été marquée par trois mois de confinement, avec à la clef un recul du PIB qui pourrait atteindre dix pour cent ; la dette publique devrait se rapprocher de 120 % du PIB. Quelles seront les conséquences à moyen et long terme de cette situation sans précédent en temps de paix ?
Philippe Crevel : La crise économique provoquée par la crise sanitaire est une première. Dans le passé, nous avons connu des crises immobilières, des crises boursières ou des crises bancaires, des crises d’offre ou de demande.
La crise actuelle est la conséquence d’une décision volontaire des pouvoirs publics de préserver la vie de leurs concitoyens. Il n’y a pas de destruction de capital physique, à la différence des périodes marquées par des conflits militaires. Nous manquons donc de précédents pour apprécier les capacités de réaction de l’économie face à un ou plusieurs confinements.
Course de vitesse
Philippe Crevel : L’absence de retours d’expériences est d’autant plus réelle que les gouvernements ont mis en œuvre des politiques de soutien inédites afin de limiter les effets de la mise à la cape des économies. Les plans de soutien sont, en 2020, de 50 à 100 % plus élevés qu’en 2008 lors de la crise des subprimes. Au sein des pays dits avancés, les revenus des ménages ont été globalement assurés. La perte, en France, est limitée à 5 %. Ce soutien a un coût, une dette accrue de 20 points de PIB.
Les mesures gouvernementales ont permis une reprise assez rapide des activités après le premier confinement. La consommation a retrouvé son niveau d’avant crise en quelques semaines. L’évolution de l’épidémie rend complexe l’élaboration de prévisions pour 2021. La deuxième vague aura un effet négatif sur l’activité, mais son ampleur sera moindre que celle de la première vague. Le recul de la consommation a été évalué à 15 % en novembre contre 30 % en avril dernier pour la France.
Passeport sanitaire
Philippe Crevel : L’économie tend à s’adapter à la nouvelle donne sanitaire. Ce phénomène est constaté à l’occasion de chaque épidémie, que ce soit celle du choléra en 1832 ou celle de grippe en 1918. La survenue d’une troisième vague dans les premiers mois de 2021, loin d’être improbable, freinera la reprise et minera le moral de la population et les fondamentaux économiques.
L’année prochaine, une course de vitesse s’engagera entre les vagues de covid-19 et la vaccination. L’instauration d’un passeport sanitaire est prévisible.
Lesfrancais.press : Est-il possible de mener de front, sortie de crise et transition énergétique ?
Philippe Crevel : La crise bousculant les fondamentaux des économies conduit à un retour massif de l’interventionnisme étatique. Les gouvernements, compte tenu de la mise entre parenthèses des règles de bonne gestion publique, veulent en profiter pour accélérer leur programme de transition énergétique. Ils sont évalués à plusieurs milliers de milliards de dollars.
En renchérissant le prix de l’énergie et le coût des investissements, elle réduit potentiellement le niveau de vie des ménages et diminue la rentabilité du capital, du moins à court et moyen terme.
Le prix de la transition énergétique
L’association sortie de crise et transition énergétique est séduisante sur le papier, mais pas sans risque. La priorité pour l’opinion publique est le maintien de l’emploi et des revenus. Certes, une partie de celle-ci estime qu’il est possible de refonder sur l’économie sur de nouvelles bases avec cette crise sanitaire. Les gouvernements devront mener un ardent travail de pédagogie faute de quoi les populations pourraient à un moment donné considérer que le prix de la transition énergétique est trop élevé.
Les restrictions de liberté que la crise sanitaire impose sont de plus en plus mal acceptées. Il n’est pas impossible que le rejet des contraintes concerne toutes les politiques publiques.
Une culpabilisation importante des consommateurs au nom de la protection de la planète pourrait avoir des effets négatifs sur la croissance et donc sur l’emploi. Un juste équilibre devra donc être trouvé !
Lesfrancais.press : Avec le deuxième confinement, l’épargne des ménages reste orientée en hausse. Comment en 2021, cette cassette évoluera-t-elle ?
Philippe Crevel : Le premier confinement marqué par une chute de la consommation de 30 % a entraîné une montée de l’épargne. Le deuxième confinement n’aura pas le même effet sur l’épargne. 20 % devrait être le taux moyen de l’année. La décrue de l’épargne covid-19 sera, sans nul doute, longue, étant donné que le virus devrait sévir sur l’ensemble de l’année.
Tout dépendra évidemment de la diffusion des vaccins et de leur efficacité. Le retour de la confiance devrait s’accompagner d’un mouvement favorable de la consommation. Dans tous les cas, comme lors des précédentes crises, l’encours de l’épargne restera plus élevé qu’avant la crise.
Succession des crises et vieillissement
Les ménages ont tendance à détenir des volumes plus importants d’encours d’épargne de précaution. Ce comportement peut s’expliquer par la succession rapide de crises ces vingt dernières années et par le vieillissement des populations.
L’aversion aux risques croissante contribue à la hausse du taux d’épargne au sein des pays de l’OCDE. La transformation d’une épargne de court terme en une épargne de long terme investie sur des supports destinés par exemple au financement de la retraite, sera sans nul doute une priorité des prochaines années.
(lesfrancais. pressremercie « Le cercle de l’épargne » dans lequel a été publié en premier cet entretien)
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