Le 5 mars 2025, le Président de la République, Emmanuel Macron, a ravivé un débat sensible en France. Au cours de son allocution aux Français il a déclaré : « Face à ce monde de dangers, rester spectateur serait une folie, la patrie a besoin de vous et de votre engagement. » Cette annonce a immédiatement résonné dans l’opinion publique, réactivant la question du retour à la conscription obligatoire. Outre les dispositions qui seraient alors prises en France pour un retour du service militaire, quelle place celui-ci pourrait-il faire pour les Français de l’étranger ?
Selon un sondage Ipsos-CESI du 15 mars, 53 % des Français se disent favorables à un retour du service national obligatoire. Cependant, l’adhésion varie selon les générations : 41 % des moins de 35 ans y sont favorables, contre 63 % chez les 60 ans et plus. Seuls 14 % des sondés s’y opposent fermement. Ce sondage induit plus de questions qu’il ne donne de réponses. Qu’en est-il de la capacité de l’État et de son armée à accueillir des jeunes appelés ou volontaires ? La réserve opérationnelle peut-elle être renforcée d’un coup de baguette magique ? Comment l’État compte-t-il atteindre les jeunes français de l’étranger pour qu’ils participent à ce mouvement ?
Le service militaire obligatoire : un retour en arrière complexe
Malgré l’engouement dans l’opinion publique (surtout chez les plus âgés), de nombreux experts et responsables politiques soulignent la difficulté de réintroduire un service militaire obligatoire. Rappelons que la France n’a plus la base nécessaire, ni la logistique adaptée à la formation de centaines de milliers de jeunes français.
Revenir en arrière n'est absolument pas un schéma réaliste à court terme
En effet, depuis octobre 1997, l’armée française est entièrement professionnalisée, et restaurer une structure de « conscription » impliquerait une refonte complète de l’organisation militaire et des infrastructures d’accueil. De plus, le plan Fillon, repris en partie par François Hollande, a réduit de 50.000 hommes les effectifs militaires qui servaient aussi d’encadrement du service national.
La réintroduction du service militaire en France ne se ferait pas sans une organisation méticuleuse et des moyens considérables. Un tel projet nécessiterait une refonte législative, une réactivation des infrastructures militaires et un financement massif.
Décryptage des étapes clés d’un tel chantier :
Un cadre législatif à reconstruire
Avant toute mise en œuvre, une loi devrait être adoptée pour instaurer ce service national. Il faudrait en définir les contours : s’agira-t-il d’un service purement militaire ou élargi à des missions civiles ? Qui sera concerné ? Quelle durée prévoir ? Des exemptions seront-elles possibles ? Autant de questions qui nécessitent un cadre juridique précis.
Des infrastructures à réhabiliter
Les casernes, pour beaucoup fermées ou reconverties, devraient rouvrir leurs portes ou être remplacées par de nouvelles structures. Il en va de même pour la logistique : hébergement, restauration, uniformes, équipements, tout serait à prévoir pour accueillir des centaines de milliers de jeunes chaque année.
Former et encadrer les appelés
Un service militaire ne s’improvise pas. Il nécessiterait le recrutement massif d’instructeurs : anciens militaires, réservistes, experts en sécurité ou en instruction civique. Un parcours modulable devrait être mis en place, adapté aux aptitudes et aux aspirations des jeunes appelés, allant de la formation militaire à des missions de secours ou de cybersécurité.
Un budget colossal à débloquer
Le coût d’un tel dispositif s’élèverait à plusieurs milliards d’euros par an. Le financement pourrait provenir d’une réallocation budgétaire, de nouvelles taxes ou d’une participation des entreprises sous forme d’exonérations ou de compensations. Une charge financière non négligeable pour l’État.
Une mise en œuvre progressive
Impossible d’imposer une telle réforme du jour au lendemain. Un déploiement par étapes serait indispensable : lancement de programmes pilotes dans certaines régions, montée en puissance sur plusieurs années, ajustements progressifs en fonction des retours d’expérience.
Un défi d’adhésion populaire
Enfin, reste la question de l’acceptabilité sociale. Il faudrait convaincre la jeunesse des bénéfices de ce service : acquisition de compétences, esprit de cohésion nationale, ouverture vers des opportunités professionnelles.
« Il faut que nous ajoutions sans doute à cette armée professionnelle une armée de réserve. » François Bayrou, Premier Ministre
La mise en place d’alternatives comme un service civil serait sans doute nécessaire pour éviter un rejet massif. Ramener le service militaire en France relèverait donc d’un véritable défi logistique, financier et politique. Mais dans un contexte d’incertitudes géopolitiques et de quête de repères pour la jeunesse, le débat mérite, à long terme, d’être posé.
Le renforcement de la réserve, une alternative plausible
Au cours d’une interview sur France-Inter le 16 mars dernier, le Premier Ministre, François Bayrou, s’est positionné contre le retour du service militaire obligatoire mais a plaidé pour un renforcement de la réserve opérationnelle : « Il faut que nous ajoutions sans doute à cette armée professionnelle une armée de réserve. » Emmanuel Macron et le ministre des Armées Sébastien Lecornu ont aussi soutenu cette idée. Le président de la République souhaite mobiliser davantage de jeunes volontaires dans l’armée et vise 80 000 réservistes pour 210 000 militaires actifs d’ici 2030. Quant au membre du gouvernement en charge de la défense, il est allé encore plus loin, suggérant d’atteindre 100 000 réservistes pour avoir un ratio d’un réserviste pour deux militaires d’active.
Avec cet objectif ambitieux de 80 000 à 100 000 réservistes d’ici 2030, l’État doit désormais résoudre une équation essentielle :
Comment convaincre une jeunesse diplômée, formée et ultra-connectée de s’engager dans cette réserve ?
Un engagement modernisé et valorisé
Les conflits contemporains l’ont démontré : la guerre ne se joue plus uniquement sur le terrain, mais aussi dans les laboratoires, les salles de contrôle et les réseaux numériques. Ingénieurs, analystes en cybersécurité, experts en intelligence artificielle ou en logistique : ces profils sont devenus indispensables aux armées modernes. Dès lors, la réserve ne peut plus être perçue comme une simple prolongation de l’armée d’active, mais comme un espace d’innovation et de montée en compétences.
- Premier levier de motivation : une reconnaissance accrue. Cela passe par une valorisation concrète de l’engagement dans la réserve sur le marché du travail. Il pourrait s’agir d’accords avec des entreprises pour intégrer cet engagement dans les parcours professionnels, voire de certifications reconnues dans les secteurs stratégiques comme la défense, la cybersécurité ou la gestion de crise.
- Un modèle flexible et attractif: L’un des principaux freins à l’engagement des jeunes actifs reste la contrainte de temps. Beaucoup hésitent à s’engager par crainte d’un impact sur leur carrière ou leurs études. Inspirons-nous des modèles scandinaves ou israéliens : un format plus souple, avec des missions adaptées aux disponibilités des réservistes, permettrait de lever ces réticences.
- Deuxième levier : une intégration modulable. Des missions de courte durée, un engagement progressif et un modèle hybride combinant présence physique et téléopération (notamment pour la cybersécurité et le renseignement) pourraient séduire des profils hautement qualifiés.
- Une incitation financière et statutaire adaptée: Si le patriotisme et le sens du devoir restent des moteurs d’engagement, la motivation financière ne peut être ignorée. Aujourd’hui, l’indemnisation des réservistes reste limitée, ce qui freine l’implication de nombreux talents.
- Troisième levier : des incitations matérielles. Pourquoi ne pas proposer des avantages fiscaux, des primes spécifiques pour les compétences clés ou encore des dispositifs de mécénat de compétences entre l’État et les entreprises ? Un système où les employeurs valorisent l’expérience militaire comme un atout managérial pourrait aussi renforcer l’attractivité de la réserve.
- Un récit national à réinventer: L’engagement dans la réserve ne doit pas être perçu comme un simple devoir citoyen, mais comme une opportunité unique de contribuer à la sécurité nationale tout en développant des compétences rares. À l’image des grandes campagnes de communication des armées américaines ou britanniques, la France doit moderniser son discours pour capter l’attention de cette jeunesse diplômée en quête de sens.
- Quatrième levier : une narration inspirante. Mettre en avant des témoignages de réservistes issus de milieux variés, montrer les réussites et les compétences acquises grâce à cet engagement, et créer une véritable communauté de la réserve pourraient être des leviers puissants.
Jeunes Français de l’étranger et Défense : un lien à (re)construire
Les Français de l’étranger sont entre deux et trois millions, répartis aux quatre coins du globe, parfois binationaux, parfois éloignés des institutions françaises, et pourtant, ils demeurent une ressource précieuse pour la Nation. Les Français établis hors de France constituent un vivier de compétences et de talents sous-exploité par les forces armées, notamment en matière de réserve opérationnelle.
« La mobilisation des expatriés dans la réserve pourrait s’avérer hautement stratégique. »
Mais comment les mobiliser efficacement quand ils échappent aux dispositifs traditionnels de sensibilisation et d’engagement citoyen ?
Une invisibilité problématique
L’un des premiers obstacles à leur intégration dans la réserve est d’ordre purement administratif : nombre d’entre eux ne sont pas inscrits au registre consulaire, rendant leur identification complexe. À cela s’ajoute l’absence de Journée Défense et Citoyenneté (JDC) pour les jeunes Français expatriés, contrairement à leurs homologues résidant en métropole. Sans ce passage obligatoire qui marque souvent le premier contact avec les armées, le lien entre jeunesse expatriée, Nation et Défense se distend inexorablement.
Face à cette situation, le gouvernement semble conscient du problème, mais la réponse proposée jusqu’ici reste largement insuffisante. L’idée d’une JDC en ligne, évoquée par Laurent Saint-Martin, Ministre délégué chargé du Commerce extérieur et des Français de l’étranger, lors de l’Assemblée des Français de l’Étranger tenue à Paris en mars dernier, apparaît comme un compromis minimaliste, incapable de recréer l’expérience immersive et fédératrice que permettait le service national d’antan, ni même celle crée par la JDC dans l’hexagone.
Un levier stratégique sous-exploité
Loin d’être une simple question de symbolisme, la mobilisation des expatriés dans la réserve pourrait s’avérer hautement stratégique. Beaucoup d’entre eux disposent de formations pointues dans des domaines cruciaux : cybersécurité, ingénierie, renseignement, diplomatie… Des compétences qui font aujourd’hui la différence sur les champs de bataille modernes. De plus, leur implantation à l’étranger leur confère un atout majeur : la connaissance fine des dynamiques locales, un avantage non négligeable pour les missions de renseignement et de diplomatie militaire.
Des solutions à explorer
Si l’État souhaite réellement intégrer ces citoyens éloignés, plusieurs pistes mériteraient d’être approfondies :
- Un recensement proactif : Plutôt que d’attendre une inscription spontanée au registre consulaire, les ambassades et consulats pourraient jouer un rôle plus actif en identifiant les jeunes expatriés dès leurs études secondaires via les lycées français à l’étranger et les associations locales.
- Une JDC adaptée : Plutôt qu’une simple version numérique standardisée, une JDC en présentiel pourrait être organisée dans les principales ambassades et alliances françaises. Des sessions adaptées aux réalités culturelles et stratégiques locales permettraient d’inscrire ces jeunes dans un cadre plus concret
- Des passerelles avec l’armée : Développer des programmes spécifiques permettant aux expatriés de s’engager ponctuellement dans des formations militaires en France ou de participer à des missions adaptées à leurs compétences et à leur implantation géographique.
- Valorisation professionnelle : Associer la réserve opérationnelle à des parcours professionnels internationaux via des partenariats avec des entreprises françaises implantées à l’étranger. Une expérience militaire pourrait être perçue comme un atout en management, cybersécurité ou gestion de crise.
Une question d’inclusion nationale
Au-delà de l’enjeu purement militaire, il s’agit d’un défi d’inclusion nationale. Dans un monde où les conflits ne se jouent plus uniquement sur le terrain mais aussi dans l’espace numérique et économique, ces citoyens du monde pourraient devenir des relais stratégiques pour la Défense nationale.
Réintroduire un service national à grande échelle nécessiterait une refonte complète de l’organisation militaire, un budget colossal et un cadre législatif complexe, des obstacles majeurs qui rendent une telle décision irréaliste à court terme. La mise en place d’un recensement proactif, la création de programmes dédiés ou l’adaptation de la Journée Défense et Citoyenneté (JDC) à l’international seraient des solutions nécessaires pour tisser de nouveaux liens entre ces jeunes expatriés et la France.
« Face à l’activité importante que l’on demande à l’armée française, il est certain que nous n’avons pas assez de réservistes » a déclaré Sébastien Lecornu, le renforcement de la réserve opérationnelle apparaît comme une alternative plus viable et pertinente.
Cependant, un tel projet se heurte également à des défis, notamment la nécessité de convaincre une jeunesse diplômée, ultra-connectée et engagée dans d’autres projets professionnels de s’investir dans cette réserve. Les profils modernes, tels que les ingénieurs ou les experts en cybersécurité, deviennent essentiels dans les armées contemporaines, et il est important d’offrir un modèle d’engagement flexible et valorisé pour attirer ces jeunes talents.
Au final, alors que le retour à un service militaire obligatoire semble difficile à réaliser, l’avenir de la Défense nationale pourrait reposer sur une réserve opérationnelle plus large et mieux intégrée, qui inclut à la fois la jeunesse de France métropolitaine et celle de l’étranger. Une telle transformation nécessiterait de réinventer les modes d’engagement et d’investissement civique, en donnant à ces jeunes un rôle essentiel dans la défense du pays, tout en assurant leur épanouissement personnel et professionnel.
Et vous qu’en pensez-vous ? Quelle est votre position sur le service miliaire ? Comment mieux intégrer les Français de l’étranger à une armée réserve nationale ? N’hésitez pas à commenter cet article et à proposer vos idées.
Auteur/Autrice
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Gilles Roux est un juriste, entrepreneur et auteur français qui vit dans la région de Mannheim en Allemagne depuis plus de 35 ans.
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