Scandales

Scandales

« Le scandale de l’univers n’est pas la souffrance, c’est la liberté[1] » écrit Bernanos au sortir de la guerre. La facilité avec laquelle les gouvernements du monde ont mis en résidence surveillée la moitié de l’humanité est un exploit sans précédent.

La peur engendre d’autant plus facilement l’obéissance que le pouvoir se veut protecteur. Le Premier ministre Thaïlandais l’a bien dit : « La santé prime sur la liberté ». C’est pourquoi l’Azerbaïdjan, inquiet de la santé des opposants au régime, les a isolés. Ils étaient si faibles. Isolés aussi, quoique bien portants, les leaders démocrates à Hong Kong. En Algérie, on arrête ceux du Hirak. On sait combien compte la santé au pays de Bouteflika. En Jordanie, à Oman, aux Emirats Arabes Unis, la presse écrite est suspendue. Elle serait contagieuse. La lutte contre les fake news justifie la censure. Au Zimbabwe désormais, diffuser un mensonge coûtera 20 ans de prison. On s’inquiète pour le sort des ministres, tant les fausses nouvelles viennent plus souvent des officiels que des blogueurs, raison pour laquelle on fait plus confiance aux illuminés qu’aux institutions.

Homo domesticus

Homo domesticus[2], « l’homme domestiqué », qualifie l’espèce humaine autant qu’homo sapiens. Par la sélection naturelle, ne seraient restés que les hommes qui acceptaient d’être domestiqués, comme ils domestiquaient ânes, vaches, chiens,  brebis, chèvre, chevaux, chameaux … rats, poux, et autres parasites, chacun vivant de l’autre, avec les maladies de l’autre. Cette organisation domestique se figeait sur une terre cadastrée, protégée, ponctionnée par un pouvoir de plus en plus fort et distant. La réponse à la souffrance serait la soumission, de l’adoration de la divinité à la révérence au prince. Si cette forme de domestication de l’espèce était si simple, l’histoire serait simple, elle aussi.

Réseaux et pyramides

Salamine contre l’Empire perse, le citoyen face aux tyrans, le droit contre l’arbitraire, l’Eglise contre le prince, les imprimeurs contre le Pape, la Grande Charte contre le roi, les clubs contre la monarchie, partout, des pouvoirs contre les pouvoirs créent des failles où se glissent droits et libertés, agrégés par des révoltes constantes contre l’impôt et l’abus.

Parfois, elles s’appuient sur un drapeau, moins pour l’identité nationale que pour revendiquer la condition d’hommes libres. Les Américains n’étaient pas d’une autre « nation »  que les Britanniques : ils voulaient l’indépendance pour être encore plus libres que les plus libres des Européens. L’architecture des réseaux vaut celle des pyramides, c’est celle des résistances, du cerveau et … d’Internet, une chance.

Obéissance volontaire

Confortés par des medias avides de catastrophes, deux milliards quatre cents millions d’êtres humains se sont enfermés à l’appel des gouvernements. Un confinement volontaire pour se protéger d’une épidémie qui a déjà fait 300.000 morts, 300.000 drames individuels. C’est beaucoup. A l’échelle de la planète, à peine visible.

Cette obéissance remarquable fut plus forte dans les démocraties riches que dans les pays pauvres ou les autocraties. La Chine n’a décidé de confiner qu’une seule province, 50 millions d’habitants, 3,5% de sa population. Comme si, en France, seules les Bouches du Rhône avait été confinées.

En une semaine, toutes les libertés furent suspendues. C’est librement qu’elles le furent.

Le triomphe de la vie

Ce renoncement augure-t-il du pire ou du meilleur ? Les peuples libres sont-t-ils devenus si craintifs qu’ils sont prêts à sacrifier leur liberté pour repousser (un peu) la mort ? Ou, au contraire, sont-ils devenus à ce point humanistes qu’ils sacrifient leur richesse pour la santé, célébrant le triomphe de la vie ?

Cette civilisation qualifiée d’ultramatérialiste est la première dans l’histoire qui a sacrifié son économie pour la santé de quelques uns, en l’occurrence les plus âgées. Personne ne pensait le capitalisme à ce point éthique. D’où ce doute : N’aurait-on pas sacrifié sa liberté -provisoirement- plus par peur que par solidarité ?

Demain, une autre épidémie. Avec instruments de traçage, caméras thermiques, reconnaissance faciale dans les rues, drones dans les montagnes, rues, plages, balcons. Plus: caméra à la maison, historique des dossiers médicaux, liste des fréquentations, antécédents génétiques. Mieux : Des anticipations génétiques calculeront la capacité de chacun à transmettre les virus. Qui s’y opposerait ?

Ou de la peur ?

Va-t-on enfermer, par précaution, les porteurs d’un gène proviral ? Qui accepterait de côtoyer de virtuels vampires ? Tel groupe ne serait-il pas génétiquement contaminant ? Les roux ? Les Blancs trop blancs ou les Noirs trop noirs ? En Afrique le virus est réputé blanc. Aux Etats-Unis on l’a vu chinois. Les Chinois se vantent de le porter mieux que les Blancs et les Africains, qui, suspects, sont mis à la porte. Au Moyen-Orient on expulse. En Afrique du sud, en Ethiopie aussi. Quant aux Indiens ils s’expulsent entre eux. On n’est jamais trop prudent.

Quelques statistiques qui lieraient l’épidémie au ramadan ou à un pigment de peau ne suffiraient-elles pas à exciter les médias, à obliger les gouvernements de renforcer leurs pouvoirs ? Pour le bien commun et la santé de tous, évidemment.

Quand la peur gouverne, la liberté disparait dans la servitude volontaire, masquée par l’argent tombé du ciel, l’helicopter money, le plaisir de la technologie et le vide fascinant des écrans. Qui regardent en détail vos manies et vos datas. Axiome franglish : big peur, big power, big brother.

Heureusement, si le monde a peur, il adore le scandale. Or, comme l’a dit Bernanos, le vrai scandale, c’est la liberté.

Laurent Dominati

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

A. Ambassadeur de France

A. Député de Paris

[1] « Le scandale de l’univers n’est pas la souffrance, c’est la liberté ; Dieu a fait libre sa création, voilà le scandale des scandales, car tous les autres scandales procèdent de lui (…) A la place de la liberté, j’aurais pu aussi bien dire l’amour.» Bernanos. Conférence « Nos amis les saints », 1947

[2] James Scott, Homo domesticus.

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