Russie : Crime et Châtiment

Russie : Crime et Châtiment

Un vote, confirmant l’isolement de la Russie, a donné à Zelensky ce privilège de s’adresser à l’assemblée de l’ONU en visioconférence. Dénonçant « le crime » de l’invasion, il a demandé un « juste châtiment ». Il aurait pu citer Dostoïevski : « Je ne comprends pas pourquoi il est plus glorieux de bombarder une ville que d’assassiner quelqu’un à coups de hache »

Y aura-t-il un tribunal spécial à Moscou ?

A des milliers de kilomètres de là, Khieu Samphan, le dernier dirigeant des Khmers rouges, ancien chef de l’Etat, était une nouvelle fois condamné à la perpétuité par le tribunal spécial de Phnom Penh pour crimes contre l’humanité : génocide, meurtres, esclavage, viols, violations des conventions de Genève, etc.  Deux millions de personnes ont été victimes des Khmers rouges. Le procès avait commencé en 2011. Khieu Samphan, en prison, a 91 ans. Le gouvernement cambodgien, dirigé par Hun Sen, un ancien Khmer rouge, décrit la Cour spéciale, malgré les critiques, comme un « modèle pour poursuivre les crimes graves et les massacres dans le futur au niveau international ». Y aura-t-il un tribunal spécial à Moscou 

En juin dernier, un ancien sous-officier SS de 101 ans a été condamné à cinq ans de prison par un tribunal allemand. Faut-il condamner des vieillards ? En 897, le Pape Formose fut déterré, jugé et condamné par son successeur. Le jugement, même post mortem, compte. 

La Cour Pénale Internationale enquête sur les crimes en Ukraine depuis le 2 mars. Créée en 1998, elle juge les responsables de crimes contre l’humanité et crimes de guerre.

Il existe un droit universel qui s’impose à tout Etat.

Que des chefs d’état puissent être jugés se heurte à deux obstacles. Le premier, est qu’ils représentent des Etats « souverains », que seuls les Etats en question peuvent juger. C’est le cas au Cambodge, comme ce fut le cas en Irak pour Saddam Hussein (ou pour Pétain). Qu’une Cour internationale juge des « souverains » étrangers implique que l’Etat n’est pas la source du droit, qu’il existe un droit universel, qui s’impose au droit des Etats. C’est l’état de droit appliqué aux affaires internationales : l’Etat soumis au droit. Il existe un droit universel qui s’impose à tout Etat. 

Le Traité de Versailles prévoyait déjà la comparution de Guillaume II devant un tribunal international, ce qui était justifiée par la « morale internationale ». La Société des Nations en découle, elle imagine un tribunal qui se chargerait des crimes contre la paix. Ce sera Nuremberg, mais Nuremberg n’intervient qu’avec la défaite totale de l’ennemi.

Le second obstacle est celui du réalisme. Comment juger des dirigeants quand on veut la paix ? L’objectif est-il de renverser le « régime » de Poutine ?

L’annonce d’un jusqu’au-boutisme juridique n’oblige-t-il pas l’adversaire à se battre jusqu’à l’intransigeance ? Milosevic aurait-il accepté les accords de Dayton qui mirent fin à la guerre dans l’ex-Yougoslavie s’il avait su qu’il serait jugé ? 

La question se repose comme un dilemme entre la paix et la justice. La justice est-elle un obstacle à la paix ? La paix peut-elle s’établir sans la justice ?

La justice est-elle un obstacle à la paix ?

Le tribunal pour l’ex-Yougoslavie a prononcé 90 condamnations, dont une contre l’ex-chef d’Etat Milosevic. Celui pour le Rwanda a prononcé 61 condamnations. Condamnations presque symboliques, par rapport aux drames. Elles permettent d’établir des faits, des vérités incontestables, indispensables pour les victimes. Le crime n’est pas nié.  Elle établit surtout une grille de lecture universelle de la notion de crime. Personne ne peut dire qu’il s’agit d’un droit « occidental » : La Cour applique (…) les principes généraux du droit dégagés par la Cour à partir des lois nationales représentant les différents systèmes juridiques du monde. (…) L’application et l’interprétation du droit doivent être compatibles avec les droits de l’homme internationalement reconnus (…) (art. 21). Un crime de guerre est un crime de guerre, un crime contre l’humanité est un crime contre l’humanité, quel que soit le pays, la culture, le droit du pays. Impérialisme ? Justice universelle.

Milosevic en audience au tribunal pour l’ex-Yougoslavie en 2001

Peut-on dialoguer avec Poutine en exigeant un châtiment ? 

Ce que montre la dénonciation des crimes et la demande de justice est le retour de la « morale » en politique internationale, exigence désertée depuis les errements du Patriot act. 

Peut-on dialoguer avec Poutine tout en exigeant un châtiment juste ? Pendant que de crimes de guerre s’accomplissent, des discussions se poursuivent. L’exportation des céréales, l’échange de prisonniers, l’inspection de la centrale de Zaporijia ont eu lieu, que ce soit par l’intermédiaire de l’ONU, d’Erdogan, ou même de la France. 

La recherche du compromis est-elle compromission ? Traite-on avec des assassins ? C’est ce qu’ont fait les Américains avec les Talibans, les Colombiens avec les Farc, les Algériens avec les groupes djihadistes du Sahel, les Israéliens avec le Hamas, et tant d’autres. 

Parler avec le diable, « même si cela sent mauvais » dit le Pape, qui sait de quoi il parle. « Avec qui puis-je faire la paix si ce n’est avec mon ennemi ? » m’avait dit Shimon Peres à propos d’Arafat. 

Parler avec Human Bomb, le Poutine qui agite la menace nucléaire, est indispensable. Cela se fait dans n’importe quelle prise d’otage. Ce n’est pas seulement la population ukrainienne qui est menacée, ni les Européens : ceux qui sont pris en otage, ce sont d’abord les Russes. Ils fuient par milliers, par la Finlande, la Turquie, la Géorgie, l’Arménie. Pour annoncer la mobilisation de 300.000 hommes, il en menace 1 million.

Dans l’escalade, un espoir de paix ?

Curieusement, cela peut être un espoir de paix. Non seulement par la révolte, mais parce que cette escalade traduit un désarroi qui sonne aussi comme une demande de paix : j’annexe des territoires au mépris de tout droit et de tout bon sens, je mobilise jusqu’à l’inutile, je menace avec la bombe nucléaire, je dénonce les États-Unis comme belligérants : retenez-moi ou je fais un malheur. Discutez avec moi, vous Américains, car les Ukrainiens sont jusqu’au-boutistes. Maintenant, car après ce sera trop tard (Après, qu’aurais-je à donner ?). 

Ne jamais acculer l’adversaire au désespoir. Ne jamais abandonner le dialogue. Depuis longtemps Poutine a perdu sa guerre. La seule question est de savoir comment elle se termine, quand, avec quel poids de malheur et de haine. 

Ne jamais rompre complétement l’idée d’une paix possible. Ne jamais non plus lâcher l’idée d’une justice à venir. 

Un jour, qui sait, le peuple russe demandera justice.

Ce n’est pas que de l’idéalisme. Que chaque soldat, chaque officier, chaque général, dans un bureau ou sur le front, imagine qu’un jour, il rendra des comptes. Jamais guerre ne fut plus transparente. Les enquêteurs de l’ONU ont déjà récolté des preuves de crimes en Ukraine. L’idéal serait qu’ils les donnent à un tribunal russe. Un jour, qui sait, le peuple russe demandera justice. Cette justice-là assurera la plus sûre des paix. 

N’est-ce pas, finalement, ce que signifie la condamnation du dernier Khmer rouge, celle du dernier gardien de Dachau ? Rien ne sera jamais oublié, aucun criminel ne peut être sûr d’échapper au châtiment.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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