Roland Lescure, un macroniste transatlantique, nouveau ministre de l’Économie !

Roland Lescure, un macroniste transatlantique, nouveau ministre de l’Économie !

Ce 5 octobre 2025, Sébastien Lecornu a révélé son gouvernement, officialisant la nomination de Roland Lescure au ministère de l’Économie. Un choix qui marque un tournant dans la stratégie économique du gouvernement. Ancien banquier, député des Français de l’étranger et ministre de l’Industrie sous Élisabeth Borne, ce Franco-Québécois (premier vice-président de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), l’un des plus importants fonds de pension d’Amérique du Nord dont il supervise 80 % de l’activité) incarne une synthèse rare : un profil à la fois technocrate et politique, ancré dans les réalités des expatriés et les enjeux industriels français. Son parcours, jalonné d’engagements en faveur de la compétitivité et de l’innovation, en fait un acteur clé pour affronter les crises économiques actuelles – inflation persistante, désindustrialisation, transition écologique – dans un contexte de tensions budgétaires et de montée des extrêmes.

Paris, Montréal et Londres

Roland Lescure incarne une trajectoire à la fois franco-québécoise, technocratique et politique, façonnée par un héritage familial bilingue, une carrière internationale dans la finance et une adhésion précoce au macronisme. Son profil atypique, entre Amérique du Nord et Europe, en fait une figure clé pour comprendre les enjeux économiques contemporains de la France. Retour sur les étapes qui ont forgé sa vision.

Une jeunesse entre Paris et Montréal

Né le 15 juin 1966 à Paris, Roland Lescure grandit dans un environnement marqué par deux cultures. Son père, professeur d’université, enseigne à Montréal dans les années 1970, offrant à son fils une immersion précoce dans le monde anglo-saxon et une sensibilité aux dynamiques transatlantiques. Cette double appartenance expliquera plus tard son engagement pour les Français de l’étranger et sa défense des accords commerciaux entre l’Europe et l’Amérique du Nord.

« Mon attachement au Québec est viscéral. J’y ai appris que l’économie
n’est pas une idéologie, mais un outil au service des citoyens »

Roland Lescure en 2017 au journal La Presse.

Puis, jeune adulte, Roland Lescure suit un parcours académique « élitiste », typique des hauts fonctionnaires français, mais avec une ouverture internationale rare. La conclusion de sa formation fut l’École polytechnique, où il côtoie les futurs cadres de l’État.

« L’ENA m’a appris à concilier rigueur administrative
et audace économique »

Roland Lescure en 2022 aux Échos.

Ce parcours en fait un hybride, à la fois haut fonctionnaire et homme de terrain, capable de naviguer entre les arcanes de Bercy et les salles de marché de Londres.

De la Banque mondiale à la Cité de Londres

Contrairement à beaucoup de ses camarades de promotion, Roland Lescure ne choisit pas immédiatement la fonction publique. Il opte pour une carrière dans la finance internationale, où il acquiert une expertise reconnue en gestion des risques et investissements stratégiques.

Roland Lescure a commencé sa carrière à Bercy, notamment au moment de la création de l’euro, puis l’INSEE. En 2005, il devient Directeur général adjoint de Natixis, il supervise les activités de marché et de financement des entreprises. Il fut d’ailleurs un acteur de premier dans la restructuration des actifs toxiques de la banque, conséquence de la crise de 2008.

Puis il traverse l’Atlantique pour le Canada où il est, de 2009 à 2017, premier vice-président et chef des placements de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Une expérience qui renforce sa réputation de gestionnaire de crise.

« Les banques ne sont pas des ennemis de l’économie réelle, mais des partenaires – à condition qu’elles soient bien régulées »

Roland Lescure lors d’un débat en anglais sur Bloomberg en 2015.

Naviguant entre les bureaux parisiens et ceux de Londres, il se lie aux milieux financiers anglo-saxons, un atout qu’il utilisa, plus tard, pour attirer des investissements en France par la suite. Si ce passage dans la finance lui vaut des critiques (notamment à gauche, qui lui reproche sa proximité avec les « goldens boys »), il lui donne aussi une crédibilité auprès des acteurs économiques.

La rencontre avec Emmanuel Macron : l’engagement politique

C’est en 2016 que Roland Lescure bascule en politique. Séduit par le projet d’Emmanuel Macron, qu’il rencontre via des cercles libéraux (Institut Montaigne, Le Siècle), il voit en lui un réformateur capable de moderniser la France sans tomber dans le dogmatisme.

Emmanuel Macron et Roland Lescure le 08 juin 2018
Emmanuel Macron et Roland Lescure le 08 juin 2018 © francequebec.fr

Victoire écrasante en 2017

Suite à l’élection d’Emmanuel Macron, Roland Lescure se présente dans la première circonscription des Français de l’étranger, soit les expatriés résidant aux USA et au Canada. Dans cette circonscription de 150 000 électeurs, traditionnellement de droite, il bat le candidat Les Républicains, Frédérique Lefebvre.

En plus de l’effet Macron, il a tenu campagne avec convictions. Misant sur son double ancrage (France/Amérique du Nord) et son expertise économique, promettant de défendre les entrepreneurs expatriés et les étudiants français à l’étranger, il l’emporte avec près de 80% des voix. 

A l’Assemblée nationale, il fut relativement actif, portant en 2019 la création d’un guichet unique numérique pour les démarches fiscales, salué par les associations comme Français du Monde. Mais la portée en fut réduite après l’édulcoration en commission avec le Sénat. Pendant la Covid-19, il fut aussi mobilisé tant pour l’extension du chômage partiel aux Français travaillant pour des entreprises françaises à l’étranger mais aussi pour un retour des capacités de circuler entre les deux rives de l’Atlantique.

Lors des différents budgets, Il a défendu, avec d’autres, un plan de soutien aux lycées français à l’étranger, avec une enveloppe supplémentaire de 50 millions d’euros pour moderniser les infrastructures en 2022. Mais c’est surtout son rapport intitulé « Pour une France plus attractive : lever les freins à l’installation des talents étrangers » qui a retenu l’attention. Il y défendait des Propositions phares comme la simplification des visas pour les travailleurs qualifiés (inspiré du modèle canadien) ou le crédit d’impôt recherche étendu aux entreprises recrutant des anciens expatriés. Certaines dispositions ont été retenues amenant à un vrai résultat selon Business France qui note que le nombre de startups créées par des Français revenus de l’étranger a augmenté de 20% entre 2018 et 2021.

En 2022, il fut réélu sans problème.

Roland Lescure à l'Assemblée nationale en 2020
Roland Lescure à l'Assemblée nationale en 2020 ©AFP

La reconquête industrielle, entre ambitions et désillusions

Le 4 juillet 2022, il est nommé ministre délégué chargé de l’Industrie dans le gouvernement Élisabeth Borne et en février 2024 il voit son portefeuille s’élargir à l’énergie au sein du gouvernement Gabriel Attal.

La feuille de route de Roland Lescure était dense : accélérer la réindustrialisation par la décarbonation « partout et pour tous », œuvrer pour la souveraineté industrielle via des relocalisations, rendre l’industrie plus attractive auprès des jeunes et s’occuper des entreprises en difficulté. Il avait aussi la charge de la transition énergétique des 50 sites les plus émetteurs de CO2 installés en France, après en avoir établi la liste avec ses équipes.

A la fin de son ministère, le ministre a engrangé des résultats, avec plusieurs sauvetages à son actif. Tel celui du laboratoire Carelide, à Mouvaux dans le Nord : le dernier fabricant français de poches de perfusion qui est repris par le groupe Aguettant-Delpharm en février 2023, avec le soutien de l’État (25 millions d’euros), ce qui permet de sauver 400 emplois. Ou encore les verriers Arc et Duralex, durement affectés par la hausse des prix de l’énergie. Mais il n’y a pas de miracle : « Toutes les entreprises ne peuvent être sauvées ou nationalisées, comme le demandent certains syndicats », relevait Roland Lescure au Figaro en 2024.

Roland Lescure a ausi co-piloté avec Bruno Le Maire, le volet industriel de France 2030 vise à faire de la France un leader dans les semi-conducteurs (usine STMicroelectronics à Crolles), le nucléaire (petits réacteurs modulaires, en partenariat avec EDF) ou les biotechnologies (sanofis et BioNTech).

 « Libéral » en matière économique, il estime que le rôle de l’État n’est pas de gérer les entreprises mais d’apporter son soutien, aux côtés des actionnaires privés, notamment par la commande publique.

Roland Lescure, ministre de l’Industrie en mars 2023 ©Agorapresse

Affaires et polémiques

Mais il fut aussi la cible de Mediapart qui dénonçait la conservation des actions dans des fonds liés à Natixis jusqu’en 2021, alors qu’il était député.  Il fut aussi lourdement critiqué pour ne pas avoir anticipé les pénuries de semi-conducteurs de 2021-2022.

En 2024, Roland Lescure quitte le ministère de l’Industrie avec des succès remarqués (relance des investissements, loi Industrie verte) mais aussi des zones d’ombre. Cependant son passage à l’Industrie a montré ses qualités de gestionnaire, mais aussi ses limites politiques. Une expérience qui pèsera lourd à Bercy, où il devra désormais concilier croissance, justice sociale et transition écologique

Les défis à Bercy en 2025

Le 5 octobre 2025, Roland Lescure prend, donc, les rênes de Bercy dans un contexte économique explosif : inflation persistante, dette abyssale, concurrence américaine et chinoise, et montée des tensions sociales. Après son passage à l’Industrie, il hérite d’un ministère clé, mais aussi d’une équation impossible : relancer la croissance sans alourdir la dette, tout en répondant aux attentes des Français et des marchés. Car il hérite d’une économie française fragilisée par des années de crises successives : pandémie, guerre en Ukraine, tensions géopolitiques et transition écologique mal maîtrisée. Les indicateurs sont au rouge, et les marges de manœuvre, étroites. Trois bombes à retardement menacent son ministère et la France : la dette, l’inflation et la désindustrialisation.

La dette publique : un fardeau historique

Avec 112 % du PIB en 2025, soit 2 800 milliards d’euros, la dette publique française atteint un niveau historique, plaçant Roland Lescure face à un dilemme immédiat : réduire les dépenses sans étouffer la croissance, ou risquer une crise de confiance des marchés et de Bruxelles. Une équation d’autant plus complexe que les marges de manœuvre se rétrécissent, tandis que les attentes – sociales, économiques et européennes – n’ont jamais été aussi fortes.

L’inflation : la spirale infernale qui étouffe les Français

En octobre 2025, l’inflation reste l’ennemi public numéro un pour Roland Lescure. Avec un taux de 3,5 % – bien au-dessus de la cible de la BCE (2 %) –, la hausse des prix érode le pouvoir d’achat, alimente la colère sociale et complique la relance économique. Contrairement aux espoirs de 2023-2024, l’inflation ne redescend pas, piégée par un cocktail explosif : salaires en hausse, prix de l’énergie volatils et tensions géopolitiques.

PaysTaux d’inflation (2025)StratégieRésultats
Allemagne2,1 %Modération salariale + énergies vertes.Croissance stable, mais risque de récession.
Espagne2,8 %Bouclier social ciblé.Baisse du chômage (12 % → 8 %).
États-Unis3,2 %Hausse agressive des taux (FED).Ralentissement économique, mais inflation maîtrisée.

La désindustrialisation : la France peut-elle encore produire ?

En 2025, la France ne pèse plus que 10 % de son PIB en industrie, contre 25 % en 1980. Pendant que l’Allemagne, la Chine et les États-Unis réindustrialisent à marche forcée, la France détricote son tissu productif, dépendante à 90 % des importations pour ses semi-conducteurs, 80 % pour ses médicaments, et 60 % pour ses équipements énergétiques. Pour Roland Lescure, ministre de l’Économie, relancer l’industrie n’est plus une option, mais une urgence vitale.

PaysPart de l’industrie (PIB)Dépense en R&D (% PIB)Solde commercial industriel
France10 %2,2 %-120 Md€ (déficit)
Allemagne15 %3,1 %+250 Md€ (excédent)
Chine28 %2,4 %+500 Md€

Les batailles politiques : Roland Lescure en première ligne

Roland Lescure devra, aussi, affronter une opposition politique féroce, des syndicats mobilisés et des partenaires européens méfiants. Entre réformes impopulaires, négociations tendues et risque de blocage institutionnel, son poste au sein du gouvernement Lecornu, s’annonce comme un parcours du combattant

En effet, Roland Lescure devra composer avec une Assemblée nationale fragmentée, où aucune majorité absolue ne se dessine. Chaque réforme sera débattue, amendée, voire rejetée. Sans oublier, la rue, qui est en France, a une capacité de blocage inédite pour un pays démocratique.

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