Robert Badinter a fait son entrée au Panthéon

Robert Badinter a fait son entrée au Panthéon

Aujourd’hui, ce jeudi 9 octobre, la France célèbre le 44ème anniversaire de l’abolition de la peine de mort. Emmanuel Macron a voulu marquer l’attachement de la Nation à cette disposition avec l’entrée au Panthéon de Robert Badinter, le père de cette abolition. Une cérémonie tout en « sobriété » dont sa veuve, Élisabeth a participé à la conception.

Quarante-quatre ans, jour pour jour, après cette date historique, l’ancien ministre de la Justice de François Mitterrand fait son entrée au Panthéon. La Nation rendra solennellement hommage à celui qui est devenu le symbole de ce combat. On fait le point pour les Français de l’étranger qui pour certains vivent dans des pays appliquant la peine de mort

Une jeunesse sous le régime Nazi

Né dans une famille juive originaire de Bessarabie, un territoire aujourd’hui situé en Moldavie, Robert Badinter a grandi à Paris. Mais en ce début d’année 1943, il est réfugié à Lyon avec ses parents et son frère pour tenter d’échapper aux arrestations. Alors que les troupes allemandes occupent la zone libre en novembre 1942, la menace se rapproche. À Lyon, le SS Klaus Barbie prend la tête de la Gestapo et lance la chasse aux juifs.

Alors âgé de 14 ans, Robert Badinter ne reverra plus jamais ce père tant aimé. Transféré au camp d’internement de Drancy, ce dernier est déporté par le convoi 53 vers le centre d’extermination de Sobibor en Pologne où il est assassiné. Traquée, la famille Badinter trouve refuge dans le village de Cognin, près de Chambéry, en Savoie. Jusqu’à la fin de la guerre, le jeune garçon y suit une scolarité normale sous le faux nom de Berthet.

 « Il a toujours refusé toutes les décorations, mais il avait été très fier d’être fait citoyen d’honneur de Cognin« , raconte Dominique Missika. « En 1994, il y était retourné au moment du procès de Paul Touvier (NDLR : un chef de la milice qui a sévi en Savoie). Il voulait dire aux enfants de ce village que leurs grands-parents avaient été des gens bien et qu’ils ne devaient pas être confondus avec ce milicien« .

Revenu à Paris, Robert guette le retour de son père à l’hôtel Lutetia. L’attente est vaine. Son oncle maternel Naftoul et sa grand-mère paternelle, Shindléa, tous deux déportés vers Auschwitz, font aussi partie des absents. Sa mère se bat également devant la justice pour récupérer leur appartement « occupé » par un autre. En avril 1945, lors du procès, son avocat précise que « le propriétaire Simon Badinter est encore dans un camp de concentration ». Présent à l’audience, Robert Badinter entend cette réponse cinglante du juge : « Cette précision n’intéresse pas le tribunal ».

Le sort des juifs n’intéresse pas la France tout juste libérée. Robert Badinter reprend les études le cœur serré. Il s’oriente rapidement vers le droit et devient avocat, d’affaires puis pénaliste

Le procès Barbie

L’histoire de l’arrestation de son père le rattrapa lorsqu’il était ministre. Après bien des péripéties, Klaus Barbie, qui s’était caché en Amérique du Sud sous le faux nom de Klaus Altmann, est arrêté en 1983 en Bolivie et expulsé vers la France. « C’est lui qui a demandé que Klaus Barbie soit incarcéré au fort Montluc, là même où il avait fait torturer tant de gens« , explique Alain Jakubowicz. « Il est ministre de la Justice au moment où on s’apprête à juger la personne qui est responsable de la mort de son père. C’est quand même incroyable« , ajoute Dominique Missika. Au cours du procès du « boucher de Lyon » en 1987, Robert Badinter se tient toutefois à distance pour ne pas être accusé de partialité et ne se constitue pas partie civile.

Klaus Barbie lors de son procès
Lyon, France -- 11 Mai 1987, Klaus Barbie lors de son procès. ©Getty - Francis Apesteguy

Un combat : l’abolition de la peine de mort

Mais de cette jeunesse, il en tira sa vérité « la mort ne peut être un outil de justice ». Admirateur sans borne de Victor Hugo, l’auteur du « Dernier jour d’un condamné« , Robert Badinter a toujours été viscéralement opposé à la peine capitale. Mais cet engagement prend un tournant radical au petit matin du 28 novembre 1972. Alors avocat de Roger Bontems, un détenu condamné à mort après avoir participé à la prise d’otage meurtrière d’un surveillant et d’une infirmière à la centrale de Clairvaux, dans l’Aube, il est présent lors de son exécution. Comme lui avait dit son mentor Henry Torrès, un avocat ne peut prétendre l’être qu’après avoir affronté « pour de vrai » la peine de mort. Robert Badinter assiste son client jusque dans les derniers instants.   

« Bontems était mort. J’avais vu Bontems aller à sa mort. J’avais vu mourir un homme que j’avais défendu. Plus jamais je ne pourrais faire quoi que ce soit pour le défendre encore. On ne plaide pas pour un mort. L’avocat d’un mort, c’est un homme qui se souvient, voilà tout »

Robert Badinter dans son livre « L’exécution » publié un an plus tard.

Du militant au ministre

D’opposant à la peine de mort, l’avocat devient alors militant. « Cette exécution fait basculer complètement les choses« , souligne ainsi l’historienne Marie Bardiaux-Vaïente, scénariste de la bande dessinée « L’Abolition – Le combat de Robert Badinter » (éditions Glénat).

« Un homme est là et deux secondes après, il n’est plus là. C’est ton client. Il n’a pas écopé d’une amende ou d’années de prison avec l’espoir qu’on peut avoir des remises de peine. Non, il est n’est tout simplement plus là »

Extrait de la BD « L’Abolition – Le combat de Robert Badinter »

Au plus profond de lui-même, Robert Badinter se sent investi d’une mission. Pendant dix ans, il se consacre à cette cause. En 1976, il accepte de défendre Patrick Henry, accusé d’avoir enlevé puis tué le petit Philippe Bertrand, âgé de huit ans.

Et c’est en 1981, embarqué dans l’enthousiasme général qui a imprégné l’accession au pouvoir de François Mitterrand, que Robert Badinter bascule en politique. Le nouveau Président de la République le nomme Garde des Sceaux.  Le ministre, fraichement nommé, a mené les débats à l’Assemblée nationale avec style et conviction.

 « Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n’y aura plus pour notre honte commune, d’exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées » 

Robert Badinter à l’Assemblée nationale le 17 septembre 1981.

Le 17 septembre 1981, Robert Badinter prononçait ces mots à la tribune de l’Assemblée nationale pour demander l’abolition de la peine de mort en France. Quelques semaines plus tard, le 9 octobre, après un vote favorable des députés et des sénateurs, la loi était promulguée.

Robert Badinter à l'Assemblée nationale le 17 septembre 2025
Robert Badinter à l'Assemblée nationale le 17 septembre 2025. ©AFP

Une cérémonie solennelle

Ainsi pour rendre hommage à cet homme et à son parcours de vie, la Nation l’accueille pour l’éternité au Panthéon.

La cérémonie en elle-même a été inaugurée à 19 heure ce jeudi soir. Le chef de l’état s’est exprimé une quinzaine de minutes, avant d’accueillir le cercueil de l’avocat, qui après avoir remonté la rue Soufflot est arrivé sous la nef du Panthéon.

Plusieurs stars ont participé à la cérémonie. Julien Clerc y a interprété une version actualisée de « L’Assassin Assassiné », chanson que le chanteur a enregistrée à l’origine en 1980 et dont les paroles ont été écrites par Jean-Loup Dabadie. La peine de mort n’a alors pas été encore abolie, mais Julien Clerc prenait alors clairement position contre (« Messieurs, les assassins commencent/Oui, mais la société recommence/Le sang d’un condamné à mort/C’est du sang d’homme »). Une chanson clairement inspirée par Robert Badinter. Ensuite, le sociétaire de la Comédie Française Guillaume Galienne a lu des textes de Victor Hugo, sélectionnés par Elizabeth Badinter, son épouse.

Le Premier ministre démissionnaire Sébastien Lecornu, ainsi que le président du Sénat, Gérard Larcher, et la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, étaient également été invités, ainsi que les anciens présidents de la République.

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