Révolutions capitales

Révolutions capitales

Le capitalisme est mort, le capitalisme renaît, seul le capitalisme est révolutionnaire. Ceux qui se disaient révolutionnaires ne furent que de maladroits bouchers, même si les bouchers ne sont pas tous révolutionnaires, on le voit encore aujourd’hui, tragiquement. Les anciens marxistes et les classiques se sont trompés et se tromperont toujours, ils n’ont pas compris que le capital était, pour l’essentiel, immatériel : organisation, modes de production, crédits, valent plus que les trésors épargnés et accumulations. Leurs calculs sont faux, les conséquences meurtrières. Dès aujourd’hui, une révolution chaotique ruine des peuples et bâtit des fortunes en quelques heures. Le capital immatériel est nomade, volatil, fantasque et, heureusement, virtuellement infini.

L’or est au plus haut. Le bitcoin aussi. Les bourses battent des records, les dettes plus encore. Inquiétudes ?

L’or reste cette valeur refuge mondiale quand ceux qui détiennent des valeurs ont moins confiance dans les monnaies. Avec un déficit public de 7%, une campagne électorale, Trump favori, une guerre en Europe, plusieurs au Moyen Orient, la mer Rouge écartelée, Taïwan sur le gril, le monde est imprévisible. Chinois, Indiens, Russes achètent de l’or.

La dette du vieux monde sera-t-elle payée par le nouveau ?

Les jeunes générations achètent du bitcoin. Descendu à 17.000 $, le voilà à 80.000$. Les autorités américaines et britanniques ont autorisé la cotation de fonds indiciels en monnaie électronique. Le bitcoin est l’or nouveau, avec l’anonymat des sources. L’Inde, le Brésil, les États-Unis, la Suisse et la Corée du Sud sont les pays où le nombre de propriétaires de cryptomonnaies a explosé entre 2019 et 2023. En Inde la part d’internautes ayant investi dans les actifs numériques est passé de 7 % à 23 %. Au Brésil et aux États-Unis, les taux d’adoption atteignent 27 % et 17 %. Les pays pauvres croient plus au bitcoin qu’en leur monnaie. Le Salvador l’a adopté.

Les bourses, portées par les valeurs des nouveaux monstres de l’économie digitale, flambent. Tout ce qui touche à l’IA grimpe. Tout ce que l’IA menace tombe.

L’écart grandit entre les mondes. Avec un mur, celui de la dette. « Les crédits font les dépôts » disait il y a un siècle l’éditeur de The Economist, Hartley Withers. La dette du vieux monde sera-t-elle payée par le nouveau ?

Pour certains seulement. Tant que la croissance est supérieure au taux d’intérêt, la dette reste supportable. Quand elle est inférieure, le mur s’approche. Aux États-Unis, la croissance est plus forte que la dette. Avec cette facilité de caisse d’une monnaie de réserve mondiale, les États-Unis se permettent un déficit de 7%. Financés par le reste du monde, ils investissent dans l’IA, les nouvelles énergies, la nouvelle économie, drainent les cerveaux de la planète. La plupart des patrons de la Silicon Valley sont d’origine étrangère. La productivité progresse.

La dette publique US dépasse 34 000 milliards de dollars soit plus de 120 % du PIB. Le déficit budgétaire s’élève à 1 700 milliards de dollars. Mais l’indice Nasdaq a été multiplié par deux  entre 2020 et 2024.

Trois handicaps chinois : la dette, la démographie, le parti.

La Chine investit aussi massivement dans l’économie digitale, lestée par trois handicaps majeurs. La vieille économie, celle du bâtiment et de l’immobilier a un pied dans la faillite. Les dettes cachées s’alourdissent avec la baisse de la croissance. La démographie, dans un système où les retraites sont faibles, fait reposer chaque année l’économie sur une population active en baisse. La croissance devrait donc encore ralentir, l’épargne soutenir une population âgée plutôt que des investissements d’avenir. Enfin l’emprise du Parti communiste s’accroît, notamment sur les entreprises. Les investissements étrangers sont au plus bas. La Chine reste une puissance majeure, notamment en raison des fleurons de la nouvelle économie. Financièrement, c’est une autre question.

L’Europe a une population vieillissante, une économie atone, elle a raté la première marche de la révolution économique et sociétale : aucune entreprise européenne dans les nouveaux monstres. Elle est le premier marché mondial, avec une monnaie fiable, un taux d’épargne élevé, des finances relativement saine (sauf en France). Elle a besoin d’investir dans trois secteurs clé : la transition énergétique, pour bénéficier d’une énergie plus autonome ; la défense, pour assurer sa sécurité sans dépendance face aux menaces, aujourd’hui de l’Est, demain de la Méditerranée ; enfin la révolution digitale, où elle peut et doit rattraper son retard.

Les trois principales économies mondiales ont donc besoin d’investissements, de crédit. Que dire des autres ! L’Afrique a soif, elle =recommence à avoir  faim. La natalité est plus forte que la croissance. Les guerres se multiplient. Même la Chine n’y investit plus.

Tout paraît lointain, l’impact sur la vie quotidienne est direct.

La dette mondiale dépasse les 300.000 milliards de dollars, soit 238% du PIB mondial. Elle augmente de dix mille milliards de dollars tous les six mois. La part des Etats-Unis représente la moitié de celle des pays de l’OCDE, celle de la Chine un tiers des pays dits émergents.

Tout paraît lointain, l’impact sur la vie quotidienne est direct. La Turquie, frappée par son Sultan, a monté ses taux d’intérêt de 5% à 50% pour combattre l’inflation. Les prix explosent. En Russie, malgré des réserves d’or et de change considérables, l’inflation dépasse 25%. Les Russes supportent mal la pression du tsar, obligé de doubler le nombre de bulletins de vote :  malgré la pression, moins de la moitié des Russes a voté pour lui. Le terrible attentat de l’Etat islamique montre que le FSB est faillible.

À Genève, les comptes sont en excédent, les transports seront gratuits pour les jeunes, comme ils le sont déjà au Luxembourg. La banque centrale suisse baisse ses taux. En Chine, les invendus s’accumulent, les vêtements sont détruits sur place, Temu envahit le marché mondial avec des chaussures à dix euros, des robes à huit. Temu n’existait pas il y a dix ans.

Pendant que la Cour des Comptes et Bercy appellent à des économies parce que le déficit budgétaire dérape encore et toujours, le Cac 40 a plus que doublé en quatre ans. Il n’est pas cher : les actions s’échangent 13,6 fois les bénéfices attendus au cours de l’année à venir, bien au-dessous des ratios  de Wall Street, où les actions s’échangent à 20 fois. Quand Le gouvernement cherche dix milliards sur l’année, (après avoir cumulé 1000 milliards de déficits en sept ans), en une journée, la capitalisation boursière d’Apple a décroché de 113 milliards. Malgré cela, elle éteindrait presque la dette française.

Tous sont ballottés par un monde qui bouge sans eux, qui les effraie, qu’ils ne comprennent pas.

Le décalage des mondes n’a rien de théorique. D’un côté les vieux Etats, avec les concepts de 14-18 et 1945, l’Etat Nation, qui fait si bien la guerre, et l’Etat Providence, qui accroît impôts, dettes et se heurte à un plafond de pauvreté. (Les dépenses sociales en France représentent 868 milliards, montant le plus élevé du monde : 12.900 euros par habitant, qu’ils le paient ou en bénéficient, plus la dette).

De l’autre, des entreprises récentes bouleversent le monde et la vie quotidienne, d’Apple à Temu. Les guerres, résistances d’un vieux monde qui s’accroche aux mythes du territoire, de la force, de l’Etat policier, se nourrissent en vérité du chaos. Une révolution est une phase de transition pendant laquelle toutes les contradictions, débordements, absurdités  sont possibles : le Sénat français est-il plus aberrant que Trump quand il vote contre l’accord avec le Canada, en vigueur depuis sept ans, bénéfique pour la France ? Tous sont ballottés par un monde qui bouge sans eux, qui les effraie, qu’ils ne comprennent pas.

La révolution a mille visages : Digitale, éducative, militaire, médicale, agricole, énergétique, financière, migratoire. Il y aura des gagnants et des perdants. Se raidir c’est mourir. Mieux vaut l’aborder avec de fortes capacités d’investissement, des alliés, et prévenir les conflits, les guerres, les violences, qu’elle va engendrer. Tout facteur multiplie l’autre. Richesses, inégalités, violences aussi. Il n’y a pas de marche arrière en histoire.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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