Révolution écologique : se suicider, s’émanciper

Révolution écologique : se suicider, s’émanciper

S’il y avait huit milliards de chimpanzés sur la planète, que serait-elle devenue ? Avec huit milliards d’humains, il n’est pas étonnant qu’elle soit transformée, d’autant que la capacité extraordinaire de notre espèce lui permet de vivre en Arctique comme au Sahel. Nul désert n’échappe à nos sortilèges, à notre ingéniosité, à nos plastiques, à notre rapacité, pas même le fond des mers, bientôt la lune.

A la révolution digitale et à la révolution nanotechnologique (de l’électronique à la génétique), s’ajoute la révolution énergétique, à ceci près que c’est une révolution – ou transition – voulue d’en haut, c’est-à-dire imposée par des normes. Jusqu’à présent, toutes les transformations économiques, en premier lieu énergétiques, sont venues d’apports technologiques, du moulin à l’électricité, de la vapeur au pétrole. Cette fois, ce n’est pas une technologie qui en remplace une autre, c’est la volonté politique qui impose des règles normatives. Elle y est poussée par les scientifiques, et par une jeunesse qui n’hésite pas à se mettre en danger face au danger écologique. Aux Pays-Bas, 1500 militants d’Extinction Rebellion ont été arrêtés pour avoir bloqué une autoroute. En Allemagne, Letzte generation a eu ses perquisitions et arrestations, tout comme Dernière génération en France. Simple effet de mode contestataire ? Expression d’un désespoir ? Engagement civique ? Radicalisme pour l’instant pacifiste ?

Mille euros par an par habitant, enfants inclus.

En France, les dépenses pour la transition énergétique représentent entre 60 et 80 milliards d’euros, c’est-à-dire plus de mille euros par an par habitant, enfants inclus. La France représente 1% de la population mondiale. Moins encore en termes de pollution de CO2 par habitant. La consommation moyenne d’énergie fossile par personne en 2021 est de 62 000 kilowatts heure aux Etats-Unis, 30 000 en Europe, 25 000 en Chine, 20 000 en France, 6 000 en Inde, où elle va augmenter.  La France est un des pays les moins pollueurs de la planète (si l’on exclut les produits importés), ce grâce à l’énergie nucléaire. 

Encore celle-ci fut-elle sabotée par plusieurs gouvernements, en raison d’accords avec une frange des écologistes, qui, pour les plus lucides (comme Cohn-Bendit) – s’en repentent aujourd’hui. Cet aveuglement a conduit à ruiner Areva, puis EDF, entreprises d’Etat aussi privilégiées qu’étranglées.

©StockAdobe

L’économie capitaliste est la seule qui permette de résoudre la question de l’énergie et les autres défis écologiques

Deux thèses s’affrontent, celle de l’insouciance : ne rien faire puisque l’on n’y peut rien. Celle de la sobriété : changer le mode de vie, le modèle économique, l’anticapitalisme écologique. Les deux sont suicidaires. La première parce qu’elle conduit à une impasse, une gabegie, une destruction de la biodiversité. La deuxième parce qu’elle ignore que le problème numéro 1 des êtres vivants de la planète, y compris les humains, c’est la vie. Or la source de la vie, c’est l’énergie. Restreindre la consommation d’énergie suppose une coercition morale, mentale ou policière, hors du commun. L’économie « capitaliste » est la seule qui permette de lutter contre la pauvreté et d’investir dans le futur, c’est-à-dire de résoudre la question de l’énergie. Elle seule peut mobiliser les investissements nécessaires. Par définition, la révolution écologique a besoin de mobiliser du capital. 

Pour l’instant, la consommation d’énergie fossile ne diminue pas. Elle a atteint des niveaux records l’an dernier. Les panneaux photovoltaïques, les éoliennes, les batteries, les voitures électriques, fabriqués par les Chinois, sont produits avec de l’énergie carbonée. En 1960, à l’échelle mondiale, les combustibles fossiles fournissaient 94% de l’énergie. Elle est encore de plus de 84%. Est-ce à dire qu’il n’y a pas d’issue ? Pour la première fois, en 2022, les investissements dans le solaire (1 700 milliards de $) ont dépassé les investissements dans le pétrole (1 000 milliards) selon l’Agence Internationale de l’Energie.

La transition énergétique exigerait 90 000 milliards de dollars en 25 ans 

La transition énergétique exigerait, selon Bloomberg, 90 000 milliards de dollars en 25 ans. Impossible. D’autant que nombre de pays joueront les passagers clandestins de la transition, c’est à dire profiteront des hydrocarbures à bas prix comme ils profitent du pétrole russe aujourd’hui. On les comprend : la lutte contre la pauvreté passe avant la maîtrise des nuages ou la taille de la banquise.   

Il ne s’agit pas que des pays pauvres : la France interdit la recherche et l’exploitation de gaz et de pétrole, mais en importe. En panne de nucléaire, elle s’alimente avec l’énergie allemande produite avec du charbon. Elle importe des produits de Chine, qui ouvre autant de centrales à charbon qu’il en existe dans l’ensemble des Etats-Unis. Pour la France, les besoins d’investissements d’ici 2030 oscillent entre 22 milliards d’euros par an, selon les calculs de l’Institute for Climate Economics et 100 milliards par an selon l’estimation de l’Ademe.

Un rapport pour arriver à ce triptyque français si traditionnel : taxer, réglementer, s’endetter 

Le rapport récemment remis au gouvernement par l’économiste Pisani Ferry, recommande, si l’on veut tenir les objectifs de -55% de CO2 en 2030, viser la neutralité carbone en 2050, d’accepter une croissance plus faible : -0.25% de PIB ; une dette plus forte (+ 25% d’ici 2040) ; de créer un impôt sur les 10% les plus riches. Fallait-il commander un rapport pour arriver à ce triptyque français si traditionnel : taxer, réglementer, s’endetter ? Avec le plus fort taux de prélèvement du monde, une explosion de la dette, une croissance atone, cela frise le génie. Bruno le Maire a heureusement dit non.

Beaucoup ne voient pas d’inconvénient à une dette « verte ». Comme si la dette avait une couleur. Passer de 110% de dette comme la France à 135% augmenterait les taux d’intérêt, autant d’argent qui n’ira pas dans des « investissements verts ». Ce qui compte pour la dette, c’est la rentabilité et la croissance. Il serait donc dangereux de brider la croissance si l’on veut réussir la transition écologique. Au contraire, il faut imaginer une nouvelle ingénierie financière pour financer ces sommes considérables, et favoriser un vrai marché du carbone et des économies d’énergie. C’est possible : les Suisses le font. Capitalisme encore…

Télécharger le rapport de l’économiste Pisani Ferry

Les vaches ne paient pas d’impôts. Tout est payé par des hommes et des femmes. L’économie, c’est l’activité humaine.

La Première ministre croit que « La moitié de l’effort sera accompli par les entreprises -et notamment les grandes entreprises, un quart par l’État et les collectivités, et le dernier quart par les ménages ». Vision technocratique de l’économie : les vaches ne paient pas d’impôts, les entreprises, en fait, non plus. A la fin, tout est payé par des hommes et des femmes. L’économie, c’est l’activité humaine. Les entreprises répercutent toute charge sur les salariés, les investisseurs, les clients, sinon elles ferment. L’Etat, les collectivités locales, ce sont les contribuables. Ce sont toujours les ménages qui paient et, parmi les ménages, les classes moyennes.

©Stockadobe

Quelles sont les solutions ? Ne pas sacrifier l’économie actuelle qui seule peut dégager les marges de manœuvre pour investir dans la « nouvelle économie ». Créer les conditions d’une « nouvelle croissance », qui ne peut survenir que par l’investissement, la recherche, l’innovation et… les mécanismes de marché. 

Augmenter les impôts ? Non, les baisser. Augmenter la réglementation ? Non, diminuer l’impôt bureaucratique. Brider la croissance ? Non, faciliter la création d’entreprises (beaucoup a été fait sur la simplification de création d’entreprise en France, mais l’inverse, pour la complexité administrative).

Si l’alternative énergétique est la pénurie, elle se heurtera à un problème social monumental. Dans chaque pays, et entre les pays. 

Le premier ministre belge, Alexander De Croo, a émis des réserves sur le Pacte vert de l’Union européenne et demandé une “pause” réglementaire comme… Emmanuel Macron.  La France, l’Italie, la Bulgarie, la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, la Roumanie et la Slovaquie s’opposent au durcissement des règles antipollution automobile en Europe.

La géothermie, la production hydraulique, même le nucléaire savent se faire petit 

En Allemagne, la coalition au pouvoir se déchire sur la loi qui doit remplacer le chauffage individuel au fuel ou au gaz par les pompes à chaleur.  En Suisse, un référendum aura lieu le 18 juin sur une loi sur le climat. L’Ecole polytechnique fédérale de Zurich estime à 6600 francs suisses le coût énergétique par an et par habitant. L’Office fédéral de l’Energie conteste cette estimation, la réduisant de moitié, ce qui reste une somme…

La révolution énergétique ne marchera pas d’en haut. Question globale, questions locales, vieux principe. La production d’électricité doit être la plus délocalisée possible, le plus proche des consommateurs. La géothermie, la production hydraulique, même le nucléaire savent se faire petit : la France accueillera deux implantations de SMR (petit réacteur nucléaire) par Newcleo (une société italo-britannique, on eût aimé que ce fut EDF).

La diplomatie française s’est activée :  elle a créé un « Club du nucléaire » avec 11 pays européens, auxquels vont s’agréger les Britanniques. Elle n’en reste pas là, car le défi écologique, ce n’est pas seulement celui de l’énergie.

Que la diplomatie française réussisse à établir un principe « pollueur payeur » au niveau mondial est juste et responsable.  

Catherine Colonna et Christophe Béchu accueillent à Paris les représentants de 175 Etats pour élaborer un traité d’ici 2024 pour mettre un terme à la pollution plastique, cette fois juridiquement contraignant. La production annuelle a doublé en 20 ans pour atteindre 460 millions de tonnes (Mt), elle pourrait encore tripler d’ici à 2060. Moins de 10% des détritus en plastique sont recyclés. Et encore, quel recyclage ! Des microplastiques ont été détectés dans le sang, le lait maternel ou le placenta. Un habitant sur la planète consomme 60 kilos de plastique par an et par personne. Les Européens sont à 150, les Américains près des 300. Huit milliards de chimpanzés n’en produiraient pas.

La révolution écologique peut favoriser l’autonomie, la responsabilité, elle réussira par un processus d’essais et d’erreurs, d’innovation, caractéristiques d’investissement, de concurrence, d’efficacité. Elle est une des formes de « nouvelle croissance » : économie bleue, économie verte. La planification, la centralisation, la pénurie, échoueront. Les solutions sont locales et mondiales. Que la diplomatie française réussisse à établir un principe « pollueur payeur » au niveau mondial est juste et responsable. Au niveau local aussi : c’est un principe d’intégration des coûts externes, un principe de responsabilité.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site « Lesfrancais.press »

Auteur/Autrice

Laisser un commentaire

Laisser un commentaire