Jeudi 30 octobre, l’Assemblée nationale a voté une résolution dénonçant l’accord franco-algérien de 1968. Un scrutin emporté de justesse, par 185 voix contre 184 sur les députés présents, avec la totalité des troupes d’extrême droite de Marine Le Pen et de son allié UDR Éric Ciotti, mais aussi de la moitié des groupes LR. En commissions sur le budget, les députés du bloc central étaient quasiment tous absents à l’exception de la moitié des députés Horizons qui ont suivi le mouvement initié par Marine Le Pen.
Mais quel est la portée de cette résolution et que contiennent ces fameux accords qui font régulièrement l’objet de l’attention d’une frange de la classe politique. On fait le point pour les Français de l’étranger.
L’accord franco-algérien de 1968 ?
Cet accord bilatéral entre la France et l’Algérie a été signé le 27 décembre 1968 afin de créer un statut unique pour les ressortissants algériens en matière de circulation, de séjour et d’emploi sur le territoire français, qui prime sur le droit commun. Il a fait l’objet de trois révisions depuis (en 1985, 1994 et 2001), sans que les grands principes du texte ne soient supprimés.
L’accord offre aux Algériens un régime d’immigration plus favorable que celui des autres non-européens. Il leur permet notamment de solliciter un titre de séjour, permettant de résider en France, sans avoir besoin d’être entré dans le pays grâce à un visa de long séjour. Ils peuvent s’établir librement pour exercer une activité de commerçant ou une profession indépendante, et accèdent plus rapidement que les ressortissants d’autres pays à un titre de séjour de 10 ans, ajoute le ministère de l’Intérieur. L’accord de 1968 facilite également le regroupement familial : les membres de la famille reçoivent également un certificat de résidence de 10 ans dès leur arrivée si la personne qu’ils rejoignent possède ce titre.
En revanche, puisque leur statut est régi par ce seul accord, les Algériens ne peuvent pas prétendre à certains dispositifs avantageux créés plus récemment pour les étrangers souhaitant entrer en France, comme la carte de séjour talent ou la carte de séjour étudiant « programme de mobilité ». Ces visas, délivrés par la France dans ce cadre aux Algériens, ne leur permettent pas, aussi, de s’installer librement dans les autres États de l’Espace Schengen.
Dix à douze millions de résidents ont un lien avec l’Algérie
Et au fil des années, cet accord, qui a permis à la France de se reconstruire rapidement dans les années 50 et 60, a eu un impact important sur la démographie française. Aujourd’hui, l’intégration entre les populations de l’hexagone et celle de son ancienne colonie n’a jamais été aussi forte. Près de deux millions de migrants nés en Algérie sont enregistrés en France au début du XXIᵉ siècle) alors qu’au moment de l’indépendance, seuls 400 000 d’entre eux résidaient dans l’hexagone.
Outre les deux millions de migrants algériens, il faut ajouter les descendants de ces personnes migrantes et celles issues d’unions mixtes, qui le multiplient plusieurs fois. Selon le chercheur Azize Nafa, dans ses publications universitaires, les estimations varient mais concordent sur le fait qu’au moins six millions de personnes constituent cette population transnationale et que dix à douze millions de personnes ont un lien passé et/ou présent avec l’Algérie, en France – soit entre un et deux Français sur dix. Le cas est exceptionnel dans le monde, seuls les États-Unis d’Amérique et le Mexique peuvent être comparés au binôme franco-algérien.
Ainsi, les deux pays se révèlent être démographiquement et socialement imbriqués. Ils conforment un continuum sociétal bien éloigné d’une représentation, politique et imaginaire, de séparation.
La résolution du 30 octobre 2025
Un vote surprise qui embarrasse l’exécutif, alors que la diplomatie française espérait ces derniers temps une discrète reprise du dialogue avec Alger, actuellement au point mort. « Je ne savais pas que la politique étrangère était une compétence du Parlement », grince un conseiller haut placé auprès du Figaro. Cependant, il est important de noter que le texte voté est sans impact juridique immédiat. Mais il revêt une portée politique forte car c’est la première fois qu’une majorité relative de députés reconnaît le caractère inéquitable d’un dispositif hérité de la décolonisation.
Le Premier ministre, Sébastien Lecornu, a réagi à l’adoption par les députés de la résolution dénonçant l’accord franco-algérien de 1968, sur proposition du RN. Même si le locataire de Matignon a rappelé que « la politique étrangère de la France n’est pas faite par des résolutions au Parlement » et qu’au regard de la constitution, « c’est le président de la République qui est garant des traités« , il a ajouté qu’il « respectait » tout de même le vote de ce jeudi matin. S’exprimant devant la presse, Sébastien Lecornu a appelé à « renégocier » le texte qui, selon lui, « appartient à une autre époque« .
A gauche, la réaction fut immédiatement
Le Parti socialiste, comme les autres partis de gauche, ont largement critiqué l’absence d’une grande partie des députés Ensemble pour la République, dont le chef du groupe Gabriel Attal, qui était en déplacement à un forum sur la transformation durable du tourisme. Au total, seuls 30 députés macronistes étaient présents pour voter contre la résolution du RN, trois autres se sont abstenus.
« Ils étaient où les macronistes ? Gabriel Attal absent ! »
Olivier Faure, patron des socialiste sur X.
Sur le fond, Karim Ben Cheikh, député des Français de l’Afrique du Nord et de l’Ouest, partage l’analyse de ses collègues et s’indigne d’un tel vote. Le parlementaire des Français de l’étranger s’est aussi engagé à lutter contre une série de mesures qui devront être débattues à l’Assemblée nationale.
Un calendrier qui heurte Alger
En Algérie, la première réaction vient de la part du député de la diaspora, Abdelouahab Yagoubi, l’un des quatre parlementaires élus pour représenter la communauté algérienne en France. Selon lui, « l’accord algéro-français de 1968 est né dans un contexte historique particulier, au lendemain de l’indépendance de l’Algérie, afin de donner un cadre à ce que prévoyaient les Accords d’Évian (1962) en matière de libre circulation totale des ressortissants des deux pays ». Précisant que le document « a été vidé de sa substance », le député algérien a dénoncé son instrumentalisation actuelle en France.
Mais le plus choquant pour Alger, c’est que l’adoption de la motion est intervenue le 30 octobre, à la veille de la commémoration du déclenchement de la guerre d’indépendance algérienne. Ce calendrier a été perçu comme un élément sensible dans la relation entre Paris et Alger.
Les médias algériens rappellent, aussi, qu’à ce jour, l’accord franco-algérien de 1968 n’est pas annulé. Toute modification ou renégociation nécessiterait des discussions bilatérales entre la France et l’Algérie, sous la responsabilité des présidents des 2 Républiques, tous deux garants des traités internationaux.
Jour historique comme le clame le RN ou simple nouvel accident dans les relations entre les deux pays ? Seul l’avenir le dira.
Auteur/Autrice
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Directeur de publication et rédacteur en chef du site lesfrancais.press
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