Après un premier semestre de rumeurs, de négociations, les groupes Renault et Fiat Chrysler Automobile (FCA) s’apprête à annoncer leur fusion! Un tel scénario serait un véritable séisme dans le paysage automobile mondial.
La nouvelle entité, si on intègre Nissan et Mitsubishi qui sont alliés à Renault par le truchement de participations, pèserait pas moins de 15 millions de voitures, soit moitié plus que son deuxième concurrent (groupe Volkswagen). La nouvelle entité compterait également pas moins de 15 marques de voitures réparties dans le monde entier.
Pour FCA, cette fusion est l’aboutissement du rêve du PDG historique du groupe italien, Sergio Marchionne, décédé il y a tout juste un an. L’Italien avait tout fait pour adosser le constructeur italien à un grand groupe automobile.
Un effet de taille considérable
Pour Renault, c’est l’opportunité d’accéder à un effet de taille considérable, au point de supplanter Nissan qui se targuait jusqu’ici d’être plus gros que son actionnaire principal et d’exiger un rééquilibrage de l’Alliance. Pour le groupe automobile français, c’est aussi un accès au marché américain réputé extrêmement verrouillé, puisque FCA y possède Chrysler, Dodge ou encore RAM.
Mais les enjeux d’une telle fusion sont immenses, et les risques qu’elle échoue ne le sont pas moins. D’abord, la fusion Renault et FCA devra s’affranchir de considérations politiques majeures. En France, l’État devra accepter de ne plus être l’actionnaire majoritaire de ce fleuron industriel pour lequel il n’a jamais voulu lâcher la bride. Côté italien, le gouvernement pourrait voir ce projet d’un bon œil puisque, d’après les informations divulguées par la presse, la famille Agnelli pourrait devenir le premier actionnaire de l’ensemble, mais il freinera des quatre fers dès qu’il s’agira de restructurations. Le gouvernement italien n’a d’ailleurs pas exclu d’entrer dans le capital du nouvel ensemble.
Car le groupe Fiat est en grandes difficultés industrielles et souffre d’une incroyable et très handicapante panne stratégique. Dans un contexte de ralentissement économique, le groupe est très mal placé avec ses gammes vieillissantes et son manque d’investissement chronique en technologies.
Jeep, le joyau de FCA
Le seul joyau que pourrait trouver Renault chez Fiat s’appelle Jeep. Le spécialiste des 4X4 est la seule marque à disposer d’une gamme bien positionnée sur les segments les plus dynamiques. Toutes les autres, de Fiat à Alfa Romeo, en passant par Chrysler et même Maserati souffrent d’une absence de plan produit, et d’un déficit de positionnement de marque. Il faudrait investir des dizaines de milliards d’euros pour les relancer. Sauf que FCA pourrait bien manquer de cash s’il doit s’acquitter des très lourdes sanctions pécuniaires qui l’attendent en vertu des objectifs de CO2 de 2020. Cette directive européenne sonne comme un véritable compte à rebours pour ce groupe qui ne dispose d’aucune gamme électrifiée (celles-ci doivent arriver en fin d’année au mieux, courant 2020 au pire). Enfin, FCA court un risque de compétitivité majeur avec le développement fulgurant de la Digital Factory ou Industrie 4.0. Là encore, les investissements nécessaires sont conséquents.
Autrement dit, FCA est connu pour être l’enfant malade de l’industrie automobile mondiale, et certains constructeurs se délectaient même à l’idée de se partager les morceaux en cas de démantèlement, pour les plus belles pépites. Aucun doute par exemple que Carlos Tavares (groupe PSA) lorgnait sur une des marques américaines qui lui aurait permis de s’installer sur le deuxième marché automobile du monde.
Le volume, vestige de la stratégie de Ghosn
Pour Renault, la fusion avec FCA pourrait ne répondre qu’à une seule et même logique, celle qui a toujours prévalu sous l’ère Ghosn: l’effet de taille. Le constructeur automobile français est obsédé par les synergies et, manifestement, celles engrangées (près de 5 milliards d’euros par an) avec Nissan ne lui suffisent plus.
En réalité, cette stratégie pourrait bien être celle de la fuite en avant d’un groupe incapable de fonder sa rentabilité sur d’autres leviers comme le pricing power (soit la capacité à défendre des prix). En dix ans, les segments supérieurs de Renault ont perdu du terrain au profit de l’entrée de gamme. Ainsi, la part des ventes de la marque Renault dans le total du groupe est passé de 87% en 2008 à 64% en 2018. Le reste de la dynamique de croissance a surtout été le fait des marques Dacia et Lada, réputées plutôt low-cost. D’ailleurs, les ventes de la seule marque au losange n’ont que très peu progressé sur cette période, passant de 2,4 millions d’immatriculations à 2,5 millions. En outre, les Espace et Talisman, qui fournissaient jadis l’essentiel des profits du français, ont été des fiasco commerciaux. Quant au Kadjar, le SUV compact de la marque, il s’est bien vendu mais deux fois moins que son concurrent direct, le Peugeot 3008. Les synergies industrielles sont donc la dernière solution pour le groupe automobile de dégager des profits.
Mais cette stratégie d’effets d’échelle n’est pas la plus efficace. A titre de comparaison, le groupe PSA, du haut de son « petit » 4 millions d’immatriculations, a dégagé en 2018 une marge opérationnelle deux points au-dessus de celle de Renault. Chez Toyota, cela fait dix ans que l’on a abandonné la taille comme point d’horizon stratégique. Après un défaut qualité qui lui a valu un coûteux scandale aux États-Unis, Akio Toyoda, PDG du groupe, avait estimé que cette course à la taille les avait détournés de certaines exigences en termes de qualité. Chez Volkswagen, les dirigeants ont abouti à la même conclusion après l’affaire des moteurs truqués où les ingénieurs étaient prêts à faire n’importe quoi pour vendre des voitures. Et, d’ailleurs, Nissan fait exactement la même analyse. Lors de la publication de ses résultats annuels, Hiroto Saikawa, entre deux salves à l’endroit de son prédécesseur Carlos Ghosn, a fustigé cette politique dite du volume qui aurait conduit à négliger une stratégie de gamme plus dynamique, tout en privilégiant des canaux de distribution peu rentables.
Nissan, le grand oublié ?
En parlant de Nissan, le constructeur japonais pourrait bien être le grand oublié de l’affaire. La nouvelle entité rétablirait le rapport de force côté Renault, mais également le point de gravité de l’Alliance qui s’était déplacée au Japon après le rachat de Mitsubishi par Nissan en 2017. En outre, Renault-FCA hériterait de la même participation de 43% dans Nissan, tandis que la participation inverse de 15% serait diluée à 7,5% du nouvel ensemble.
D’ailleurs, l’ensemble des observateurs était plutôt d’accord, lundi matin, pour affirmer que le projet de fusion de Renault et FCA est la conséquence du refus de Nissan de s’engager sur une telle voie. Mais, pour certains, en cas de fusion avec Fiat, l’Alliance sera nécessairement impactée voire même menacée.
« Seront-ils capables de consacrer autant d’énergie et d’hommes à cette fusion, qu’à la poursuite de l’Alliance avec Nissan? », s’interroge Bernard Jullien, maître de conférence à l’université de Bordeaux et spécialiste de l’industrie automobile. Il rappelle que « Chrysler est un actif très difficile à digérer comme l’a montré le rapprochement avec Daimler au début des années 2000, mais également aujourd’hui avec des relations compliquées entre Turin et Détroit ».
Pour Bernard Jullien, Renault prend le risque de « se disperser au profit d’un projet de fusion qui prendra au moins dix ans, sans être assuré du résultat, alors que la priorité devrait être le rapprochement avec Nissan ». Et de conclure: « Renault a moins à gagner avec FCA dont les fondamentaux sont très fragiles, qu’avec Nissan ». Autrement dit, le risque est une rupture de l’Alliance avec Nissan qui, vingt après, fonctionnait à peu près bien malgré ses défauts et ses foyers d’amélioration.
Critique sur les termes du deal
Cette rupture stratégique, Renault la doit à Jean-Dominique Senard qui aura réussi l’exploit de monter un tel projet moins de trois mois après son arrivée à la présidence du groupe. Pour beaucoup, l’ancien patron de Michelin a été mandaté par l’Etat français pour donner à Renault une nouvelle envergure industrielle à Renault, à travers une fusion. « Précipité », persifle un analyste du secteur qui fustige le choix de FCA, un groupe qui cherche désespérément à s’allier depuis très longtemps.
Mais les critiques surgissent déjà sur les termes du deal, notamment sur l’aspect 50/50. Si FCA est mieux valorisé en Bourse (19 milliards contre 17 milliards pour le français), il reste néanmoins lesté de problèmes structurels très importants, là où Renault reste une entreprise rentable, restructurée, avec une stratégie de gamme bien plus avancée.
Les marchés, eux, ont d’ores et déjà applaudi le projet de fusion
La famille Agnelli recevrait un dividende exceptionnel pour pallier l’écart de valeur, mais il reviendra à Renault d’apporter des réponses technologiques à FCA (Renault est leader en Europe des voitures électriques et bien placé au niveau mondial), et ses efforts de productivité et de rentabilité seront dilués dans une structure qui devra immanquablement se restructurer et investir des fortunes… Autrement dit, l’entreprise italienne et ses actionnaires hériteraient à peu de frais d’un groupe en bonne santé, tandis que le groupe français va se retrouver avec des problèmes structurels qui ne sont pas les siens.
Les marchés, eux, ont d’ores et déjà applaudi le projet de fusion. Le titre Renault a flambé de plus de 12% tandis que l’action Fiat a grimpé de 8% environ. le conseil d’administration de Renault, réuni lundi 27 mai au matin, n’a pas donné son accord au projet de fusion et s’est contenté de répondre qu’il allait « étudier » la proposition de FCA, et promis une réponse la semaine prochaine.
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