Réforme du marché de l’électricité : pour Emmanuelle Wargon, il faut sortir de la logique de court terme

Réforme du marché de l’électricité : pour Emmanuelle Wargon, il faut sortir de la logique de court terme
Emmanuel Wargon
Emmanuelle Wargon est une haute fonctionnaire française. Elle est présidente de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), autorité administrative indépendante en charge du bon fonctionnement des marchés de l’électricité et du gaz en France. [CHRISTOPHE PETIT TESSON]

ENTRETIEN. Sobriété énergétique, réforme du marché européen de l’électricité, relance du projet MidCat, la présidente de la Commission de régulation de l’énergie, Emmanuelle Wargon, revient pour notre partenaire EURACTIV France sur les enjeux énergétiques de l’Union. 

Emmanuelle Wargon est une haute fonctionnaire française, Secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire (2ème gouvernement Philippe), puis Ministre déléguée chargée du Logement (gouvernement Castex), elle est dorénavant présidente de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), autorité administrative indépendante en charge du bon fonctionnement des marchés de l’électricité et du gaz en France. 

Points forts de l’entretien :

  • La CRE est confiante sur la réduction de la consommation lors des heures de pointe.
  • Sur la future réforme du marché européen de l’électricité, s’il faut conserver la règle de la vente sur le marché de gros de l’électricité au coût marginal, le prix de l’électricité au détail doit être moins volatil.
  • Emmanuelle Wargon propose la création d’un « compartiment » de marché de gros à long terme qui s’amortisse sur le long terme et qui ne soit pas dépendant des énergies fossiles.
  • Les gestionnaires de réseau Teréga et GRTgaz ont fait part de leur intérêt pour la relance du projet MidCat. La CRE est prête à étudier un dossier.

EURACTIV France. Les États membres se sont mis d’accord sur des objectifs de baisse de consommation non contraignants : -15% pour le gaz et -10% pour l’électricité. Or, pour le moment, la consommation énergétique est en hausse, tant en France qu’en Allemagne.

Emmanuelle Wargon. Il est trop tôt pour avoir des certitudes sur les niveaux de consommation. En revanche, nous savons que nous ne sommes pas certains de passer l’hiver sans coupure d’électricité.

La première chose à faire est donc de mettre en place un suivi précis de la consommation. Nous y travaillons avec les gestionnaires de réseau d’électricité (RTE et Enedis) et de gaz (GRTgaz et GRDF).

Ne faudrait-il pas rendre ces objectifs contraignants pour que la consommation baisse ?

En France, le monde du tertiaire est déjà régi par un ensemble de textes réglementaires qui, certes, ne sont pas encore tous respectés, mais les entreprises prennent de plus en plus d’engagements sur le sujet.

La prise de conscience est aussi en train de se généraliser, chez les particuliers en raison notamment de la hausse du prix de la facture d’énergie.

Côté administrations et bâtiments publics, l’État a dit qu’il sera exemplaire.

Que va-t-il se passer si les objectifs ne sont pas atteints ?

Pour les périodes de pointe de consommation, c’est-à-dire entre 8 heures et midi et 18 et 20 heures le soir, les États membres ont validé l’objectif contraignant de baisser de 5% la consommation électrique durant au moins 10% de ces heures de pointe, en plus de l’objectif global et non contraignant de baisse de 10% de la consommation électrique.

En ce sens, nous sommes confiants sur l’attention que porteront les Français aux alertes rouges du dispositif « Ecowatt » de RTE qui permettra aux citoyens et aux entreprises de connaître en avance les tensions à venir sur le réseau et quelles mesures prendre pour les réduire.

À ce moment-là, si aucun effort n’était fait, RTE pourrait être obligé de délester.

Pour la consommation hors des heures de pointe, c’est une question de sobriété. Notre principal enjeu est donc de faire en sorte que les gestes qui seront acquis pour la consommation en heures de pointe se généralisent et deviennent naturels.

Le Conseil de l’Europe, la Commission européenne, tout comme certains États membres, appellent à une refonte du marché européen de l’électricité. Quand pourrait-elle intervenir ?

Sur le court terme, il faut réussir à gérer la crise avec des outils tels que le « mécanisme ibérique » ou des achats groupés de gaz et la mobilisation, au besoin, de nouvelles mesures de protection.  

Sur le moyen terme, nous espérons que les prix de gros de l’électricité baissent en début d’année 2023 grâce à une meilleure disponibilité du parc nucléaire et des températures clémentes. 

Enfin sur le long terme, il sera nécessaire de réformer le marché de l’électricité en présentant une réforme européenne d’ici à la fin du 1er semestre 2023.

La CRE a-t-elle des idées de réforme ?

Nous pensons premièrement qu’il faut maintenir le marché européen interconnecté et la solidarité européenne grâce aux échanges physiques fondés sur les prix de gros de court terme. Deuxièmement, qu’il faut accepter la règle de la vente sur le marché de gros de l’électricité au coût marginal par le spot. Troisièmement, qu’il faut ouvrir une réflexion sur la répercussion de ce coût marginal sur le marché de détail.

La CRE propose également la création, par exemple, d’un « compartiment » de marché de gros à long terme qui s’amortisse sur le long terme et qui ne soit pas dépendant des énergies fossiles.

Nous devons développer des mécanismes de marché qui permettent aux fournisseurs d’acheter à long terme. Cela permettra le développement d’offres qui favoriseront la visibilité des clients et la stabilité des prix.

De cette façon, nous pourrions imaginer un prix de l’électricité plus proche des véritables coûts de production du nucléaire et des énergies renouvelables, et donc moins volatil.

Le prix marginal du marché de gros ne servirait plus qu’à faire du bouclage à la marge, alors qu’il couvre, en ce moment, toute la partie qui n’est pas couverte par l’ARENH. 

Enfin, il faut conserver de la concurrence sur le marché de détail. En complément du tarif réglementé de vente, cela permet des contrats à prix fixe sur le long terme, et une diversité d’offres de service adaptée aux besoins des consommateurs.

En parallèle, il faut être plus strict sur les obligations de couvertures des fournisseurs, quitte à sévir et bannir du marché ceux qui ne respectent pas les règles.

Ce besoin de réforme n’appelle-t-il pas également une accélération des projets d’interconnexions énergétiques en cours et la relance de ceux qui sont à l’arrêt, comme les projets entre la France et l’Espagne d’interconnexion électrique dit Golfe de Gascogne et gazière dit MidCat ?

Sur le projet Golfe de Gascogne, nous n’avons pas expertisé de besoins d’accélérations des travaux, car nous n’avons reçu aucune demande des opérateurs. Le projet suit donc son cours.

Concernant le projet MidCat, la CRE et son homologue espagnol [Comisión nacional de los mercados y la competencia – CNMC] ont considéré en 2019 que le projet n’était pas à l’équilibre économique. 

Avec la crise énergétique actuelle, les gestionnaires de réseau français qui étaient impliqués dans le projet, Teréga et GRTgaz, nous ont fait part de l’intérêt de relancer le projet. Avec mon homologue espagnole, Cani Fernandez Vicien, nous sommes donc prêts à l’étudier, si nous recevons un dossier, ce qui n’est, pour le moment, pas le cas. 

Les parlementaires européens viennent justement de voter (5 octobre) une résolution qui demanderait, entre les lignes, la relance du projet MidCat. L’Allemagne, l’Espagne et le Portugal mettent également la pression sur la France depuis la fin du mois d’août. 

Avec ce projet, il ne faut pas mélanger l’éventualité d’un besoin supplémentaire d’interconnexion gazière, et l’idée à plus long terme d’un projet d’hydrogène pan-européen. 

Si l’enjeu est l’hydrogène, alors nous ne sommes pas pressés. 

Si la question est de savoir si nous avons besoin d’un nouveau gazoduc, nous pensons plutôt, et sans préjuger des suites de la guerre en Ukraine, que le temps nécessaire à la relance du projet dépassera celui de la crise énergétique.

Que ce soit en matière d’interconnexions intra-européennes ou de développement d’infrastructures d’énergies renouvelables, la France est souvent pointée du doigt pour sa lenteur administrative. 

Le fait que presque tous les projets d’énergies renouvelables sont attaqués en justice explique en grande partie pourquoi la France est plus longue que ses voisins européens. 

Selon nos sources, la lenteur viendrait plutôt de la réduction des budgets et des effectifs en charge des procédures. 

Je ne pense pas que ce soit un problème d’effectifs. Certes, les autorisations sont longues, mais je pense que la cause est à rechercher dans les procédures plutôt que dans les délais d’instruction, en simplifiant, mutualisant, voire en anticipant certaines étapes. 

C’est l’objectif du projet de loi en faveur de l’accélération des énergies renouvelables qui sera discuté au Sénat à la fin du mois. 

Des porteurs de projet ont également relevé que le formalisme strict de certaines administrations locales ou décentralisées pouvait également jouer sur le temps de développement d’un projet renouvelable, voire sur sa réalisation.

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