Depuis plusieurs semaines, le projet de réforme du réseau scolaire français à l’étranger alimente les tensions. Le Conseil d’administration de l’AEFE, réuni fin novembre, a dévoilé des mesures, mais celles-ci ont-elles rassuré ? Pour analyser ces annonces et leurs conséquences, LesFrançais.press a interrogé Hélène Conway-Mouret, sénatrice des Français de l’étranger (PS) et ancienne ministre. Membre du CA de l’Agence, elle dénonce des solutions purement comptables à court terme, qui menacent l’équilibre même du réseau et risquent d’exclure les familles les plus modestes.
Écouter le podcast avec Hélène Conway-Mouret
Un réseau AEFE reconnu… mais fragilisé
Au cours de ce podcast, la sénatrice des Français établis hors de France, Hélène Conway-Mouret, membre du Parti Socialiste, ancienne ministre déléguée chargée des Français de l’étranger, dresse un état des lieux contrasté du réseau AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger). Si la qualité académique n’est pas remise en cause, le reste est sujet à discussion.
« On nous propose des mesures court-termistes pour répondre à un problème comptable, mais qui auront un impact important sur le long terme »
Hélène Conway-Mouret, Sénatrice des Français établis hors de France
Selon elle, « la qualité de l’enseignement » est toujours bien présente, comme le montrent « chaque année les résultats absolument exceptionnels au baccalauréat ». En revanche, le moral des personnels s’effrite : « il y a un désengagement […] de l’État, avec des coupes budgétaires » et des infrastructures qui sont parfois vieillissantes face à une concurrence d’établissements privés récents.
Une réforme présentée… mais jugée inadéquate
Le conseil d’administration de l’AEFE du 27 novembre devait présenter les grands axes d’une réforme attendue. Pour la sénatrice, c’est un rendez-vous manqué. « Cela ne répond absolument pas à mes attentes », affirme-t-elle. Elle dénonce une situation où les élus sont « acculés à prendre des décisions » en raison d’un déficit annoncé de 10 millions d’euros en 2026. Les mesures proposées relèvent donc, selon elle, d’une logique purement comptable, dont les conséquences pèseront lourdement sur les familles.

À partir de 2026, les contributions demandées aux établissements pour financer les enseignants détachés grimperaient, par exemple, à 37 %, puis 50 % en 2027. Cela entraînera forcément « des répercussions sur les frais de scolarité » et risque un « effet d’éviction » durable des familles. « On nous propose des mesures court-termistes pour répondre à un problème comptable, mais qui auront un impact important sur le long terme notamment sur la possibilité des familles à continuer à scolariser leurs enfants dans le réseau », dénonce notre invitée.
Le risque d’un réseau éclaté au sein de l’AEFE ?
Pour Hélène Conway-Mouret, le gouvernement s’orienterait peut-être volontairement vers un nouveau paradigme : celui d’un réseau reposant principalement sur des acteurs privés. Elle met en garde : « un établissement privé (…) ne fait pas du mécénat ». À terme, l’abandon d’une tutelle forte signifierait la fin d’un réseau cohérent, comme celui que la France a construit en promouvant des valeurs essentielles, notamment la laïcité. « Peut-être que c’est la volonté » de certains, glisse-t-elle, appelant à un courage politique pour moderniser le réseau des établissements français à l’étranger.
« On demande à l’agence de doubler le nombre d’élèves
et on lui supprime 30 millions (…) à quel opérateur, qu’il soit privé ou public, on peut donner une mission telle que celle-ci, en lui coupant les moyens »
Hélène Conway-Mouret, Sénatrice des Français établis hors de France
L’ancienne ministre demande un retour à une coopération active entre le ministère de l’Éducation nationale et celui des Affaires étrangères. « Il n’y a pas suffisamment d’interactions », regrette-t-elle. Elle rappelle les succès de la période où les deux ministères travaillaient main dans la main, comme l’intégration du CNED, outil précieux pendant la crise sanitaire. Pour elle, l’État a longuement fragilisé l’AEFE : « On demande à l’agence de doubler le nombre d’élèves et on lui supprime 30 millions ». Les ponctions répétées ont fini par épuiser toute marge de manœuvre. Mais l’avenir de l’AEFE ne relève pas uniquement de l’aspect budgétaire, c’est aussi un enjeu stratégique.
Un message pour la nouvelle ministre Éléonore Caroit
Pour conclure, nous avons demandé à Hélène Conway-Mouret, forte de son expérience ministérielle, quel message elle souhaiterait adresser à la nouvelle ministre déléguée chargée des Français de l’étranger, Éléonore Caroit pour faire avancer les dossiers concernant nos compatriotes établis hors de France : « Ne pas avoir peur de se saisir de toutes les problématiques […] dans un esprit de réforme » propose notre invitée.

Elle rappelle ainsi qu’elle-même avait organisé les premières assises de l’enseignement français à l’étranger et produit, avec deux parlementaires, plus de 100 propositions toujours pertinentes : « Il y a une manne de connaissances dans laquelle on pourrait puiser ». Ce qu’elle déplore aujourd’hui avec la réforme de l’AEFE, c’est une consultation de façade : « Je vous ai parlé mais je ne vous ai pas entendu » pourrait être la phrase qui résume les concertations antérieures à la réforme. C’est pourquoi, « je suis très déçue » conclut la sénatrice.
Auteur/Autrice
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Jérémy Michel est rédacteur en chef adjoint du média Lesfrancais.press. Il est également coach en développement personnel et formateur en communication. Jérémy a auparavant travaillé au sein de diverses institutions politiques françaises et européennes. Il a aussi été en charge des affaires publiques d’un grand groupe spécialisé dans la santé.
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