Habituellement opposées dans le débat sur les règles budgétaires de l’Union européenne, la ministre néerlandaise des Finances Sigrid Kaag et son homologue espagnole Nadia Calviño ont présenté une proposition qui pourrait guider la réforme des règles budgétaires actuellement en préparation au sein des institutions européennes.
Une meilleure visibilité
Les deux ministres des Finances ont présenté leur déclaration commune lundi (4 avril) en marge de la réunion de tous les ministres des Finances de la zone euro à Luxembourg.
Dans leur document, elles appellent à une réforme du cadre budgétaire qui « renforcerait la viabilité budgétaire d’une manière plus efficace et efficiente ». En outre, le cadre fiscal devrait permettre les investissements publics nécessaires à la mise en œuvre des transitions écologique et numérique.
Le document conjoint préconise notamment des plans budgétaires spécifiques à chaque État membre ainsi que l’introduction d’une règle de dépense simple.
L’unité
« Le fait que les Pays-Bas et l’Espagne, qui ont traditionnellement des positions divergentes sur ces questions, aient présenté ce document conjoint, souligne la nécessité de trouver une unité », a déclaré la ministre espagnole des Finances.
La ministre néerlandaise des Finances, Sigrid Kaag, a déclaré : « Nous devons être tournés vers l’avenir. Il est encore plus important de renforcer l’indépendance économique et la force de l’Union ».
Toutes deux ont fait référence à la crise Covid et à la guerre en Ukraine pour souligner l’importance de l’unité au lieu d’avoir des « débats qui divisent ».
« Politiquement, cela a été une surprise. L’Espagne et les Pays-Bas sont des partenaires plutôt improbables dans le débat sur les règles budgétaires », a confié à EURACTIV Thierry Philipponnat, économiste en chef de l’ONG Finance Watch.
« Aucune logique économique »
Les règles budgétaires actuelles ont longtemps été critiquées comme étant « obsolètes », notamment par les gouvernements français et italien. Ces règles limitent les niveaux d’endettement des pays à 60 % du PIB et leurs déficits annuels à 3 % de celui-ci.
En suivant ces règles, certains pays très endettés devraient réduire radicalement leur dette, ce qui nuirait à leur économie, surtout maintenant que la pandémie a amené certains pays à des niveaux de dette publique encore plus élevés.
« Actuellement, les règles budgétaires ne suivent aucune logique économique. Elles sont également trop rigides et ne peuvent donc pas être adaptées à l’évolution des circonstances économiques », a expliqué M. Philipponnat. Ces dernières années, par exemple, les taux d’intérêt de la dette publique étaient très bas, ce qui rendait les niveaux d’endettement plus élevés beaucoup plus abordables que par le passé.
Le document conjoint ne mentionne pas de projet visant à supprimer les règles des 60 % et des 3 % — non pas parce qu’elles sont particulièrement judicieuses, mais parce qu’elles sont inscrites dans les traités et qu’il serait donc très difficile de les modifier.
Le document conjoint s’intéresse plutôt au chemin à suivre pour atteindre ces objectifs. L’accent mis sur la nécessité de prendre en compte la réalité économique spécifique de chaque pays est particulièrement appréciable, estime M. Philipponnat.
Les leçons de la pandémie
Selon Mme Calviño, les règles budgétaires pourraient également bénéficier des enseignements de la réponse collective à la crise de la Covid. En échange d’engagements clairs en matière de réforme, les plans budgétaires pourraient être approuvés par la Commission européenne ou un autre organe de l’UE, de la même manière que les gouvernements nationaux doivent présenter des plans nationaux pour accéder aux subventions du Fonds européen pour la relance et la résilience.
Si le document conjoint appelle à davantage d’investissements, la manière exacte de les réaliser reste peu détaillée. Une idée souvent évoquée est celle d’une « règle d’or écologique » qui exempterait les investissements dans la croissance économique et dans la transition écologique de toute règle de déficit.
Interrogée par des journalistes lundi, Mme Kaag est toutefois restée sceptique quant à cette idée, montrant que cette unité retrouvée a des limites.
« Mais nous devons nous concentrer sur ce qui nous unit, pas sur ce qui nous divise », a-t-elle affirmé.
Les deux ministres des Finances espèrent maintenant susciter un débat parmi leurs collègues de l’UE. « Les premières réactions ont été plutôt positives », a déclaré Mme Calviño.
Le ministre autrichien des Finances, Magnus Brunner, a fait l’éloge du document commun lorsqu’il a été interrogé à ce sujet par des journalistes lundi. « Nous pouvons soutenir une grande partie du contenu de ce document commun », a-t-il déclaré. L’Autriche est généralement considérée comme l’un des États membres de l’UE les plus réticents sur le plan fiscal.
M. Philipponnat, de Finance Watch, a expliqué que « si les principes énoncés dans ce document devaient être mis en œuvre, il s’agirait d’une amélioration très importante des règles fiscales actuelles ».
Reste à savoir si la réponse positive obtenue des différents angles du débat est due à un véritable nouveau terrain d’entente ou au manque de détails spécifiques dans le document conjoint. La Commission européenne devrait présenter une proposition plus détaillée dans les mois à venir.
La clause dérogatoire pourrait-elle être prolongée ?
Dans les semaines à venir déjà, la Commission européenne pourrait fournir de plus amples informations sur ses orientations fiscales destinées aux États membres pour la planification de leurs budgets pour 2023. De 2020 à fin 2022, une clause dérogatoire générale avait été activée, cette dernière permettant aux pays de ne pas être soumis à des règles budgétaires strictes qui s’appliqueraient normalement au titre du cadre budgétaire européen afin de pouvoir réagir à la crise.
La Commission européenne avait initialement prévu de rétablir ces règles en 2023. Cependant, la guerre en Ukraine fait naître de nouvelles incertitudes dans l’économie auxquelles les budgets publics pourraient devoir réagir. Début mars, la Commission a annoncé qu’elle réexaminerait la question en avril.
À la question de savoir si la clause dérogatoire générale devait être prolongée, Mme Kaag a répondu de manière diplomatique que l’« on pourrait s’attendre à ce que la Commission soit tentée d’opter pour une extension de la clause dérogatoire générale », ajoutant qu’elle pensait « que les circonstances actuelles le justifieraient ».
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