Dix ans après la crise de 2009, le pessimisme est de retour. À l’époque, le surendettement avait été pointé du doigt même s’il n’expliquait pas à lui seul la force de la récession. En 2019, cet endettement n’a pas disparu. Les pays de l’OCDE sont endettés à hauteur de 225 % du PIB (dettes publique et privée) contre 190 % du PIB en 2008.
L’augmentation de l’endettement a été justifiée pour alimenter la croissance. Or cette dernière tend à se rétrécir même si elle continue de tourner autour de 3%. Jean Tirole, lors de son discours de réception du prix Nobel en 2014, déclarait « notre incapacité à prévoir ou à prévenir la crise financière est un rappel douloureux des dangers de l’arrogance. Il est vrai que nous avions travaillé sur la plupart de ses ingrédients, mais comme un virus qui ne cesse de muter, de nouveaux dangers apparaissaient alors que nous croyions avoir compris et évité les dangers existants. »
Taux bas et drogue monétaire
Ces dix dernières années ont été marquées par le soutien permanent des pouvoirs publics, essentiellement les banques centrales à l’économie. Les politiques monétaires dites non conventionnelles sont des médications qui sont devenues des drogues. Les taux bas sont devenus incontournables pour les États et pour les entreprises. Leur remontée trop rapide ferait peser un risque de solvabilité sur un très grand nombre d’acteurs. Une des conséquences des politiques monétaires accommodantes a été la pression à la baisse des monnaies des pays ou zones concernées. Ainsi, les banques centrales ont opéré des dépréciations monétaires qui dopent par ricochet les exportations.
Cette bataille larvée des taux de change rappelle celle qui avait cours après la récession de 1929. La pratique des taux bas a faussé le système ou plutôt le nonsystème des changes flottants. Au regard des excédents de la balance des paiements courants de la zone euro, la monnaie commune devrait s’apprécier. Du fait des faibles taux, -0,4% pour le taux de dépôt à la BCE et des problèmes que rencontrent plus États membres, l’euro se déprécie depuis quatre ans. Le Chine comme le Japon ont également agi à plusieurs reprises pour faire baisser le taux de change de leur monnaie. À contrario, le dollar s’apprécie du fait des taux d’intérêt relativement élevés et de la bonne santé de l’économie. Le déficit des balances courantes n’a pas pesé sur le cours d’autant plus que le dollar demeure la valeur de réserve de l’économie mondiale.
Guerre des monnaies
Par ailleurs, jusqu’à présent, les Américains ont plutôt tiré profit de leur dollar élevé pour attirer les capitaux dont ils avaient besoin. Les variations de change sont néfastes aux échanges et à la stabilité économique des États en particulier émergents.
Avec la fin de la convertibilité du dollar en or le 15 août 1971 et la fin de l’étalon-or en 1976, la gestion des variations de change a été au cœur des relations internationales dans les années 80 dans un contexte de surendettement des pays en voie de développement. Les accords du Plaza signés le 22 septembre 1985 entre les États-Unis, le Japon, l’Allemagne de l’Ouest, le Royaume-Uni et la France visaient à contrecarrer la hausse du dollar dont la valeur par rapport au franc de l’époque avait doublé. Les pays signataires avaient décidé d’intervenir sur le marché des changes pour peser sur le cours du dollar. L’objectif de ces interventions était d’arrêter la bulle spéculative sur le dollar américain, de réduire le déficit américain de la balance courante, qui avait atteint 3,5 % du PIB et de diminuer les excédents commerciaux du Japon et de l’Allemagne. Par ailleurs, les Américains souhaitaient limiter les investissements japonais en particulier dans le secteur immobilier aux États-Unis. Le Japon qui avait connu un taux de croissance supérieur à 5% durant les années 70 et 80, était alors perçu comme une menace.
Système monétaire international en jachère
L’accord du Plaza a eu l’effet escompté sur le taux de change du dollar. En quinze mois, la monnaie américaine efface tous ses gains par rapport au Deutsche Mark, retrouvant son plus bas niveau historique de 1979. Par rapport au yen, il perd 51 % en deux ans.
Aux accords du Louvre, en février 1987, les pays mettent fin aux interventions sur le marché des changes, jugeant la dépréciation du dollar suffisante. Cet accord fonctionna bien dans un premier temps, mais à moyen terme, les résultats ont été mitigés avec des variations assez fortes du dollar. Au fil des années, la collaboration entre les principaux pays se réduisit. En 1990, l’Allemagne releva ses taux d’intérêt pour contrer l’inflation que provoquait la réunification. Simultanément, la FED diminuait ses taux directeurs en raison de la baisse d’activité économique. Le Japon a été la principale victime de ces deux accords qui auront brisé son expansion en pesant sur ses exportations. C’est à partir de 1987 que le pays s’engage dans la nasse des taux d’intérêt faibles pour favoriser sa croissance.
Les accords du Plaza et du Louvre ont provoqué une forte hausse des taux d’intérêt à long terme, ce qui précipita le krach conjoint le 19 octobre 1987 des marchés obligataires et des marchés d’actions. Depuis, les interventions sur les cours de change ne sont plus de mises d’autant plus que, avec la financiarisation de l’économie, les moyens à mettre en œuvre par la puissance publique doivent être plus importants qu’au milieu des années 80. Depuis une quarantaine d’années, le système monétaire est en jachère. L’idée du FMI de faire du droit de tirage spécial (calculé à partir d’un panier des principales monnaies) l’étalon ne fait pas recette.
Le retour impossible de l’étalon-or
Dans le passé, les systèmes monétaires ont été construits par et pour la puissance dominante. Avec un monde composé d’une puissance régnante et d’une puissance émergente, l’instauration d’un système monétaire est une opération très difficile à mener. Pour autant, la demande d’une stabilité monétaire durable est formulée par un grand nombre d’acteurs. Certains comme Alan Greenspan, l’ancien Président de la Banque centrale américaine, souhaitent même réhabiliter l’étalon-or. Dans un entretien de février 2017, ce dernier, revenant sur la récession de 2009 et ses origines financières, estimait que l’étalon-or comportait de nombreux avantages. Il déclarait ainsi « dans un régime d’étalon-or, nous ne nous serions jamais retrouvés dans la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui ». Qualifié de relique barbare par Keynes et condamné aux poubelles de l’histoire par Lénine, l’or demeure une référence et une valeur refuge. Les banques centrales des pays émergents en achètent pour s’assurer une certaine crédibilité.
La résurgence de l’étalon-or bute sur plusieurs obstacles. Ainsi, la production limitée de l’or bride les échanges et donc la croissance. Cette limite joue également pour le bitcoin. Par ailleurs, le cours de l’or s’ajuste au niveau de vie. Ainsi, en 1910, un ouvrier qualifié recevait chaque mois 160 francs équivalant en termes de pouvoir d’achat à 630 euros d’aujourd’hui. Le salaire de son homologue de 2018 est de 1 885 euros ce qui montre qu’en un siècle le progrès technique a permis de multiplier par trois le revenu réel des salariés. Simultanément, huit pièces de 20 francs de 1910 ont désormais une valeur de 2 000 euros sur la base du cours de l’or. Avec un étalon-or, l’évolution du pouvoir d’achat apparaît donc identique. Il convient de relativiser ce raisonnement du fait, ces dernières années, des fortes fluctuations de l’or. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’or est une matière première indispensable au secteur de l’informatique et de l’électronique. L’or n’est pas réparti de manière uniforme entre les pays, les anciens pays industrialisés étant privilégiés en la matière.
La neutralité monétaire a disparu
Le retour à l’étalon-or apparaît aujourd’hui improbable voire impossible. Pour autant, le système de changes flexibles est accusé de générer d’importants déséquilibres. Avec l’interventionnisme de plus en plus fort des banques centrales, la neutralité monétaire dans le cycle économique a disparu. Si pour le moment, l’augmentation des bases monétaires n’entraîne pas une fuite devant la monnaie du fait de l’absence d’inflation, elle est une source évidente de bulles sur certains actifs. La situation demeure aujourd’hui néanmoins relativement sous contrôle car jusqu’à maintenant, au grand dam de Donald Trump, les actions des banques centrales sont coordonnées. Si tel n’était plus le cas, l’économie mondiale renouerait alors avec des pratiques d’avant la Seconde Guerre mondiale et avec les risques que cela comporte.
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