Quand deux Allemagne se font face 

Quand deux Allemagne se font face 

Lors d’une réunion publique, à l’est du pays, le Chancelier Olaf Scholz s’est fait apostropher par un de ses concitoyens qui considérait que l’Allemagne est un vassal des États-Unis. En réponse, le Chancelier a indiqué, de manière politique, qu’actuellement le problème vient de l’est et de non de l’ouest. Il a conclu que « l’Allemagne n’obéissait aux ordres de personne ». 

Trente-trois ans après la fin de la guerre froide, le dirigeant du pays le plus puissant d’Europe a encore besoin de rappeler que l’Allemagne est indépendante. Dans les cinq Länder de l’est qui ont rejoint l’Allemagne fédérale en 1990, malgré des centaines de milliards d’euros d’investissement, de nombreux habitants estiment que l’Allemagne est alignée sur les États-Unis et mène un combat qui n’est pas le sien contre la Russie. Les 20 % des Allemands vivant dans ces Länder ne réagissent pas comme les Polonais, les Tchèques ou les Roumains. Si la moitié des Allemands de l’ouest estiment que les États-Unis sont un « partenaire fiable » et que l’Allemagne devrait accroître son aide militaire à l’Ukraine, près des trois quarts des Allemands de l’est pensent le contraire. Une enquête sur les attitudes à l’égard de la Russie en 2020 a montré un écart similaire.

26 % d’ « Ossis » voteraient pour l’AFD lors d’une élection nationale 

Les Allemands de l’est étaient beaucoup plus nombreux à considérer que Vladimir Poutine était un président efficace. Ils étaient aussi moins nombreux à voir en lui un danger pour l’Europe. Ils pensent majoritairement que la propagande occidentale s’en prend à la Russie pour des intérêts économiques. Les anciens officiers de l’armée et du renseignement d’Allemagne de l’Est, formés par les Soviétiques et dont le prestige s’est effondré après l’unification, sont d’importants relais anti-américains et anti-européens. Ils inondent les réseaux de messages accusant l’OTAN d’avoir provoqué la Russie et les compagnies pétrolières américaines de profiter de la guerre aux dépens de l’Allemagne. Ces opposants aux États-Unis nourrissent les rangs du parti d’extrême droite, l’Alternative für Deutschland (AFD). Ce dernier est devenu en 2023 le parti le plus populaire à l’est (hors Berlin). 26 % d’Ossis voteraient pour l’AFD lors d’une élection nationale et 9 % pour le parti d’extrême gauche, Die Linke. 

Manifestation avec les leaders de l’AFD en 2019 ©Pascal Thibault/AFP

À l’ouest, ces deux partis ont deux fois moins de supporters. Si peu d’Ossis ordinaires souhaitent revenir aux temps du Pacte de Varsovie, ils sont nombreux à considérer être les délaissés de l’Allemagne. Les Länder de l’est sont nettement plus âgés que le reste du pays. Ils ont connu une émigration forte au point de créer des villes fantômes disposant de peu d’activités économiques.

Les Allemands de l’est restent sous-représentés dans tous les postes à forte valeur ajoutée. Une méfiance à leur égard persiste. Il n’y a pas de généraux Ossis dans l’armée allemande. Ils représentent bien moins de 5 % des juges fédéraux ou des PDG des 100 plus grandes entreprises allemandes. Une étude de 2022 suggère qu’ils occupent une minorité de postes de direction même à l’est. Ce retard persistant est en partie le résultat de handicaps évidents.

Moins une fusion qu’une prise de contrôle brutale  

L’unification a à peine touché la plupart des Wessis, mais elle a fait basculer l’est, note Katja Hoyer, une universitaire née en Allemagne de l’est, dans une nouvelle histoire de l’État communiste, « Au-delà du mur ». Cela ressemblait moins à une fusion qu’à une prise de contrôle brutale, dans laquelle les « nouveaux États » sont tombés sans aucun capital propre, peu d’actifs commercialisables et de mauvaises compétences.

Sans surprise, un quart des Ossis âgés de 18 à 30 ans, souvent les plus qualifiés ou les plus ambitieux, ont déménagé vers l’ouest. Environ 3 millions se sont déplacés dans l’autre sens, mais en grande partie dans les grandes villes, laissant les zones rurales désolées. Les nouveaux arrivants se sont emparés de propriétés de choix, poussant les autochtones vers des franges urbaines moins chères. 

En mars, un plébiscite local sur des mesures environnementales plus strictes à Berlin, la capitale allemande autrefois divisée, a révélé une nouvelle fracture : les quartiers centraux gentrifiés ont voté massivement en faveur de ces mesures, tandis que parmi les mornes lotissements de banlieue de Marzahn-Hellersdorf, un bastion de l’AFD, les trois-quarts ont voté contre. 

Pourtant, ce qui dérange les orientaux, dit M. Oschmann, c’est moins l’économie que les mentalités. Dans la mesure où ils s’en soucient, les Allemands de l’ouest voient l’est comme « un lieu de maladie, de déséquilibre, de gémissements bruyants », dit-il. L’ancienne Allemagne de l’Est a peut-être en fait bénéficié de meilleures garderies pour les enfants, de moins de frictions de classes et d’une plus grande égalité pour les femmes, mais dire cela invite à ignorer le côté brutal du régime communiste.

Les deux parties de l’Allemagne convergent lentement 

La culture populaire a tendance à dépeindre l’Allemagne de l’Est comme une chambre des horreurs ou un parc à thème à la mode épouvantable. Les deux parties de l’Allemagne convergent en fait lentement. L’écart de revenus, en particulier, se réduit, aidé par les gros investissements d’entreprises telles qu’Infineon, Intel et Tesla. Mais comme le révèlent des secousses telles que la guerre en Ukraine, les fissures sous-jacentes de la société allemande pourraient mettre encore une génération à se refermer.

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