Au temps de Fulgence Bienvenüe à la fin du XIXe siècle, le père du métropolitain, la réalisation des lignes, à Paris, passait par l’ouverture de tranchées au niveau des rues. Pour traverser la Seine, les ingénieurs immergeaient des caissons après avoir excavé la vase et le lit du fleuve et en recourant à des techniques de congélation des sols. Ces techniques ont permis de réaliser en une quinzaine d’années la quasi-totalité des lignes de métro intramuros que nous connaissons actuellement. L’inauguration de la ligne 1 qui reliait alors la Porte de Vincennes à la Porte Maillot intervint le 19 juillet 1900 après un an et demi de travaux. Le premier passage de la Seine est réalisé avec la ligne 4 (Porte d’Orléans, Porte de Clignancourt) dont les travaux commencent en 1905 pour s’achever en 1908. L’actuelle ligne 12 reliant la Porte de Versailles à Montmartre est ouverte en 1910.
En 1900, une ligne de métro construite en en 18 mois
A défaut de réaliser des tranchées à ciel ouvert, dans le passé, pour percer, les entreprises de travaux publics recouraient aux explosifs et étayaient de manière provisoire avec du bois avant d’utiliser du béton. Le développement des tunneliers et des voussoirs préfabriqués a révolutionné les techniques de construction des tunnels. Le tunnelier à guidage laser creuse, achemine en aval les roches et terres quand, dans le même temps, les voussoirs sur mesure préfabriqués en usine, amenés en continu par rail se déploient afin de constituer la voute du tunnel.
En 2020, la prolongation du métro prendra 11 ans
Si les tunneliers sont des machines allemandes ou américaines, les brevets concernant les voussoirs et les modalités d’installation sont principalement français. Cette révolution technique a permis de forer en profondeur et de réaliser des gains de productivité important sur la construction des voutes. Pour autant, les délais de réalisation des lignes de métro s’allongent au sein des pays avancés et tout particulièrement en France. Le quotidien « Le Parisien » soulignait dans un article publié au début du mois d’octobre que la réalisation de la prolongation de la ligne 12 à Aubervilliers nécessitera au minimum 11 ans.
Les lignes du Grand Paris décidées durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy commenceront à être mises en service au mieux en 2024 pour certaines d’entre elles et plutôt vers 2030. La multiplication des recours contre les travaux mais aussi les problèmes de compétences et de suivi des travaux expliquent cet allongement. Que ce soit pour le prolongement de la ligne E du RER ou de la ligne 12, une partie du retard provient de l’insuffisance des travaux préparatoires concernant l’étude des sols (non-prise en compte d’une canalisation d’eau ou de la nature spongieuse des sols).
La perte des compétences
Les problèmes des compétences ont été également pointés du doigt au niveau de la réalisation de la centrale nucléaire EPR de Flamanville dont la mise en service prévue initialement en 2012 a été reportée à plusieurs reprises. Elle devrait intervenir en 2022 voire en 2024. Le coût de sa construction est passé de 3,4 à 19 milliards d’euros de 2008 à 2020.
Ce coût est deux fois plus important que celui des centrales équivalentes fabriquées par les Chinois. Cette dérive du budget ne concerne pas que Flamanville. La facture de l’EPR finlandais construit à la centrale nucléaire d’Olkiluoto par AREVA, qui s’élevait initialement à 3 milliards d’euros, a été réévaluée à 6,6 milliards d’euros en 2011 et pourrait in fine atteindre plus de 15 milliards d’euros. EDF comme Areva ont été confrontés à un manque de spécialistes capables de mener à son bon terme ce chantier. L’arrêt des constructions des centrales nucléaires à la fin du siècle dernier a conduit au démantèlement de la filière sur une génération. De nombreuses failles de qualité, notamment dans la réalisation des cuves ont fortement pesé sur le bon déroulement des chantiers.
Les retards et les surcoûts sont également liés à un accroissement des normes de sécurité après l’accident de la centrale de Fukushima intervenu le 11 mars 2011.
Suradministration
L’ensemble du secteur du bâtiment et des travaux publics est concerné par l’allongement sans fin des chantiers. La rénovation de la Tour Montparnasse à Paris est attendue depuis une dizaine d’années mais toujours différée en raison de l’évolution permanente des règles d’urbanisme et des recours en cascade. Le code des marchés publics avec la priorité donnée au moins disant ne contribue pas à des choix toujours rationnels. Ainsi, des sociétés en grande difficulté peuvent être tentées de soumissionner à bas prix pour tenter de survivre. Leur faillite en cours de réalisation du chantier peut entraîner de nombreux retards et des liquidations en chaine chez les sous-traitants.
La productivité est aujourd’hui touchée par la suradministration qui génère des surcoûts. Même si évidemment les dispositions prudentielles sont essentielles pour garantir la pérennité de nombreux secteurs dont celui de la finance, elles peuvent provoquer des surcoûts et conduire à la paralysie.
Le numérique peut être un frein
Internet et la multiplication de la circulation des données peuvent également avoir le même effet. Les outils numériques censés fluidifier et accélérer l’information peuvent au contraire ralentir les processus.
Le numérique multiplie le nombre des intervenants sur les projets. Par ailleurs, le processus de décision tend à se concentrer. Autrefois, dans les groupes, dans les administrations, les décisions étaient prises au niveau local par incapacité de tout faire remonter au siège. Aujourd’hui, cette remontée est techniquement possible mais elle peut entraîner des goulets d’étranglement. Les entreprises ont ces vingt dernières années regroupé leur présence déconcentrée sur le territoire. Les marges de manœuvre des responsables locaux tendent à diminuer. Au niveau bancaire, les autorisations de crédits pour les entreprises sont décidées souvent à l’échelon national et non au non au niveau local ou régional.
Produire la complexité, sans la gérer
Dans l’histoire des civilisations, l’incapacité à gérer la complexité est un des facteurs clefs de leur déclin. Rome ne parvenait plus à maitriser les relations avec ses provinces éloignées. La chute d’Angkor au XVe siècle est en grande partie imputable à l’incapacité de gérer le réseau très complexe de l’eau.
Le système d’information lié au numérique peut constituer le maillon faible de la civilisation moderne. La capacité d’exploitation des données est facilitée par le recours à des algorithmes mais cela ne saurait être une garantie sur la qualité de l’analyse et des décisions qui en résulteront. La baisse du niveau des compétences dans plusieurs pays notamment occidentaux peut accélérer le processus de perte de maîtrise et de transmission de l’information.
Aversions au risque
L’inflation des données se combine à aversion accrue aux risques. Les acteurs économiques s’engagent de plus en plus difficilement sur le long terme malgré la puissance de calculs des ordinateurs. Plus les prévisions s’affinent, moins l’Homme a envie d’investir, de prendre des risques. D’autres facteurs peuvent expliquer ce comportement dont celui du vieillissement.
La succession de crises que le digital n’a pas empêché, amène les agents économiques à être de plus en plus prudents. Les taux d’intérêt placés en territoire négatif n’ont pas réellement modifié le comportement des agents privés prouvant que le coût de l’argent n’était pas le seul problème en cause.
Que ce soit au niveau public et privé, une simplification des processus de décision s’impose pour éviter l’effacement des gains de productivité liés au progrès technique. Une meilleure répartition de ces gains qui sont captés en partie par certaines entreprises serait également nécessaire. Le système économique est en effet victime d’effets de rente qui sont préjudiciables aux salariés et aux consommateurs.
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