Pour maintenir sa stratégie stricte de zéro Covid, la Chine impose depuis deux ans des restrictions sévères aux déplacements internationaux. La situation provoque un départ des expatriés et creuse un fossé entre les filiales des entreprises et leur siège.
Les vols internationaux en panne
Implanté depuis 17 ans à Shanghai, Grégory Prudhommeaux tient à jour le décompte depuis son dernier voyage en France. L’entrepreneur, qui dirige une société d’accompagnement de PME de l’agroalimentaire, n’est pas sorti de Chine depuis 1 000 jours. Il n’est pas le seul. Pour conserver sa stratégie de zéro Covid stricte, la Chine maintient depuis deux ans une limitation très stricte des déplacements internationaux. Une bulle étanche que le pays maintient malgré la tenue des jeux Olympiques de Pékin.
Les vols internationaux ont chuté de 98% par rapport à 2019. Tout voyageur doit se plier à une quarantaine stricte de deux à trois semaines dès son arrivée. « Il n’y a plus de Covid en Chine, tous les cas sont importés. Donc, à chaque fois qu’une contamination est repérée dans un aéroport ou un port, les autorités bouclent tout », raconte Frédéric Barbier, le directeur Chine du groupe de flaconnage SGD Pharma. Le verrouillage des autorités contribue à gripper un peu plus les chaînes logistiques mondiales, lorsqu’il cible les grands ports de la côte Ouest. Cette quasi-fermeture des frontières vire surtout au casse-tête pour les expatriés. « Il est possible de sortir de Chine. Mais on ne sait jamais si l’on sera capable d’y revenir », relève un autre entrepreneur.
Vague de départs d’expatriés à l’été
La situation commence à peser sur leur moral. Lassés de ne pas pouvoir voir leurs familles restées en Europe, ni mettre un pied hors de Chine, certains d’entre eux n’ont pas attendu pour plier bagage. « Dans mon entourage, j’ai compté 60 départs depuis deux ans. Cela crée une ambiance un peu anxiogène », témoigne Grégory Prudhommeaux. Le nombre de salariés étrangers envoyés dans les filiales locales aurait baissé de 15% environ par rapport à 2019.
« Il y a clairement un risque de départ d’expatriés encore plus marqué à l’été 2022, car le manque de visibilité sur les réouvertures pèse très fortement sur les familles », prévient Bertrand
Régnier, associé du cabinet d’audit EY et basé à Shanghai. A Hong Kong, où les autorités sont dépassées depuis mi-février par une explosion de contaminations, les écoles sont à nouveau fermées. Certains groupes, notamment français, ont commencé à relocaliser une partie de leurs équipes pour l’Asie vers Singapour, resté ouvert.
Faire venir de nouveaux salariés pour remplacer les partants est tout sauf évident pour les grands groupes. Les autorités chinoises n’accordent qu’au compte-goutte les visas et permis de travail pour les salariés et leurs familles. La procédure administrative, qui nécessite une lettre d’invitation, s’est considérablement durcie. « Il a fallu démontrer en quoi son expertise était indispensable et, au final, faire intervenir l’ambassade pour débloquer la situation », raconte le cadre d’une entreprise qui doit bientôt être rejoint par un second expatrié. Résultat : Pékin et Shanghai comptent moins d’étrangers que le Luxembourg et ses 630 000 habitants, s’amusait le président de la Chambre de commerce européenne en Chine, Joerg Wuttke, lors d’une conférence à l’automne.
Étudiants et VIE absents
Les petites entreprises, incapables d’envoyer des expatriés sur place, sont aussi privées de leur autre vivier de recrutement : les volontaires internationaux (VIE) et les étudiants, prêts à se lancer dans une première expérience en Chine, et qui ont disparu. La pandémie a accéléré la montée en compétences du management local dans les filiales. Le mouvement était déjà engagé bien avant la pandémie, avec une baisse progressive du nombre d’expatriés envoyés par les sièges. « On arrive à un moment où certaines localisations ne sont pas souhaitées par les sièges, mais subies », pointe un observateur, implanté de longue date à Shanghai.
De quoi provoquer dans certains cas des vraies tensions. « Des entreprises ont perdu le contact avec leur filiale. La priorité est de reprendre le contrôle », assure Jean-François Dufour, le président du cabinet d’intelligence économique DCA Chine Analyse. Recruter les cadres chinois n’est pas toujours simple non plus : les filiales des groupes étrangers ont perdu de leur attrait aux yeux des plus diplômés par rapport aux Alibaba, Tencent et autres géants locaux.
Moins de nouveaux arrivants
« Avec l’impossibilité des voyages, il y a un découplage des perceptions entre la réalité du terrain et les sièges sociaux », reprend Sybille Dubois-Fontaine, la directrice générale du Comité France-Chine, regroupant les grands groupes installés en Chine, qui se fait écho de la frustration des équipes face à leurs difficultés à faire remonter les messages et à convaincre leurs sièges. Car l’économie chinoise se complexifie de plus en plus et la réalité est souvent plus nuancée que la vision depuis Paris. A plus long terme, les conséquences pourraient être lourdes. « Il y a une perte de mémoire dans les filiales et de connaissance de la Chine », s’inquiète le cadre d’un groupe sur place.
La fermeture ralentit aussi le renouvellement des sociétés présentes sur place. Les nouvelles implantations sont en recul. En 2021, Business France a accompagné 660 entreprises, en baisse de 35% par rapport à 2019. Les opportunités n’ont pourtant pas disparu. Certaines entreprises ont réussi à se lancer, via des distributeurs et des représentants locaux, sur le marché pendant la pandémie. Les groupes étrangers ne sont pas les seuls pénalisés. « La Chine se coupe de liens avec l’étranger. Cela n’est pas forcément à son avantage », estime un cadre. Mais il va falloir prendre son mal en patience. Même les plus optimistes n’anticipent pas d’ouverture avant fin 2022, au mieux. Impensable que les autorités risquent une explosion des contaminations avant le XXe congrès du Parti communiste en octobre, qui doit asseoir le pouvoir de Xi Jinping.
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