Pour une Europe citoyenne

26 Mai 2019 : les enjeux du  rendez -vous citoyen européen.

  1. Renforcer la démocratie européenne et désigner les gouvernants

En élisant leurs députés européens, les citoyens des 27 Etats membres de l’Union Européenne vont déterminer -sans la Grande Bretagne- l’équilibre politique du Parlement Européen renouvelé et, en même temps , indiquer quelle force politique majoritaire pourra prétendre à la Présidence de la Commission Européenne.

En pratique, c’est le candidat du Groupe politique vainqueur de l’élection , le « spitzenkandidat » qui a vocation à être nommé par le Conseil Européen à la Présidence de la Commission.

En effet, innovation du Traité de Lisbonne entré en vigueur le 1erDécembre 2009, la nomination doit « tenir compte des élections ».

l’enseignement des dernières élections de 2014 :

En utilisant la règle constitutionnelle des régimes parlementaires classiques (le PPE arrivé en tête aux élections est le formateur), le Parlement Européen a imposé au Conseil Européen la désignation de Jean-Claude Juncker.

En même temps PPE et Socialistes (arrivés en seconde position) s’accordaient pour reconduire le leader socialiste Martin Schulz à la présidence du Parlement Européen.

Il s’agissait d’un changement institutionnel profond : nous sommes passés de la dialectique Etats – Commission, avec un Président de celle ci désigné par le Conseil Européen et acceptable par le Parlement Européen, à une Commission procédant du Parlement Européen au bénéfice du leader du parti politique européen arrivé en tête de l’élection.

Pour employer le langage de la Révolution française, c’était  la revanche des représentants du « Tiers-Etat européen » contre les privilégiés, les Princes du Conseil Européen des Chefs d’Etat et de Gouvernement.

Coimme le déclaraitl’ancien ministreAlain Lamassoure, qui présidait  la Délégation française du Groupe PPE au Parlement Européen , « le Parlement européen a reflété scrupuleusement le vote des citoyens européens. Le vainqueur de l’élection devient le chef de l’éxécutif. C’est l’an I d’une vraie démocratie européenne »
Et, de fait, c’est sur l’équilibre des nouveaux groupes parlementaires européens issus de l’élection, que Jean- Claude Juncker a composé son équipe.

Cette montée en puissance du Parlement Européen suppose à la fois un groupe parlementaire dominant – en l’occurrence le PPE-  et un, ou des, accords de coalition , puisque le Parlement Européen se prononce « à la majorité des membres qui le composent « sur le candidat retenu par le Conseil Européen

La nouvelle donne.

Réunis en session plénière en Février 2018 les eurodéputés ont réaffirmé leur attachement au principe de, la nomination de la tête de liste du parti vainqueur de l’élection , le « Spitzenkandidat »         . A la suite des Congrès des partis politiques européens fin 2018, chacun a désigné son candidat.

Cependant, les « Princes « qui représentent les  Etats membres qui composent le Conseil Européen, lors d’une réunion informelle, ont rejeté toute automaticité de la nomination du Président de la Commission. Mme Merkel précisant : « On ne peut pas dire toute simplement , le candidat du parti le plus fort, c’est lui. Il y a bien des gouvernements nationaux où le parti le plus fort n’est pas celui qui fournit le chef du gouvernement « .

Il faut donc s’attendre à une négociation , pour ne pas dire une confrontation entre le Parlement et le Conseil Européen, d’autant plus qu’il s’agira également de renouveler le Président du Conseil Européen, (actuellement M. Tusk)  le Haut Représentant de l’Union pour les Affaires Etrangères et la politique de sécurité (Mme Mogherini) ainsi que le Président de la BCE (Mario Draghi) dont le mandat de 8 ans , non renouvelable, expire en Octobre prochain.

Cette négociation inévitable pourrait permettre à Michel Barnier – qui conduit de main de maître la négociation du Brexit avec les Britanniques , en préservant la cohésion des 27 et le respect des Traités –  de faire valoir sa candidature à la Présidence de la Commission.

Si l’on met à part la présidence semestrielle du Conseil exercée à tour de rôle  par les Etats membres, c’est en fait tous les membres du véritable gouvernement de l’Union Européenne, son « Directoire » qu’il s’agira de renouveler en tenant compte du  vote des Citoyens du 26 Mai.

Si la nomination du Président du Conseil Européen ne dépend que du vote de ce dernier (accord de 20 Etats représentant au moins 65% des populations) , le Parlement est consulté sur la nomination du Président de la BCE et pèse indirectement sur la nomination du Haut Représentant puisqu’elle doit recevoir l’agrément du Président de la Commission, dont il sera d’ailleurs le vice-président.

  1. Une majorité politique

Il s’agira également de dégager une majorité politique au service d’un programme qui permette de relancer les actions essentielles à la vie des citoyens , et notamment :

  • un plan d’action contre le réchauffement climatique-
  • une zone euro au service de la compétitivité , de l’emploi et de la protection sociale par la promotion d’ une convergence fiscale et sociale.
  • La construction du marché unique de l’énergie et du numérique.
  • une véritable politique de concurrence permettant la relance de la compétitivité européenne et de l’investissement dans les domaines stratégiques.
  • une politique des frontières et de gestion des migrations
  • une action déterminée contre le terrorisme
  • la concrétisation d’une Politique Européenne de Sécurité et de Défense .
  • une politique commerciale protectrice des intérêts et du mode de vie européens..
  • une nouvelle gouvernance qui doit permettre de surmonter le blocage des décisions essentielles à la vie des citoyens.

Il s’agit pour l’Union Européenne de  répondre aux angoisses face à la mondialisation.

Le dossier détaillé de ce « new deal » fait l’objet d’ un rapport séparé qui se réfère notamment aux travaux du Sénat sur la Refondation de l’Europe) [1]

3.Les dangers d’une Europe « nationale populiste ».

Le contexte géopolitique de l’élection européenne du 26 Mai est profondément différent de la situation qui prévalait il y a cinq ans.

En 2014, les forces politiques traditionnelles (conservateurs, sociaux – démocrates, libéraux ) organisées au sein des groupes parlementaires et des partis politiques européens , PPE, PSE et dans une moindre mesure ADLE (libéraux) , largement majoritaires, ont constitué le « Directoire Européen ».

S’il faut tenir compte des embrouilles dans la gestion du Brexit, ce sera différent cette fois ci : la moitié des gouvernements de l’UE  est constituée de partis minoritaires.

Comme le constatait un politologue rompu aux arcanes de Bruxelles : « La poussée des droites radicales empêche la formation de blocs majoritaires ». Au pouvoir  en Italie , elles contribuent (ou contribuaient en Belgique) à des majorités de coalition en Espagne, en Suède, au Danemark, aux Pays Bas, en Grèce et dans la quasi-totalité des pays de l’Europe orientale. On tiendra compte également de la poussée des écologistes en Allemagne, aux Pays Bas, en Belgique, au Luxembourg.

Dans un tel contexte, l’Union de la France et de l’Allemagne est plus que jamais nécessaire.

  1. Le moteur franco-allemand et la relance de l’Europe politique.

L’Union Politique de l’Europe et la protection de ses frontières

supposent de retrouver et de donner suite à l’initiative du « Noyau Dur » franco-allemand proposée, il y a 25 ans ,par MM Schaüble et Lamers. L’Initiative Européenne d’Intervention et le Traité d’Aix la Chapelle manifestent la volonté des deux gouvernements d’œuvrer dans cette direction.

 

L’Initiative Européenne d’Intervention.

 

Faisant suite à la relance de l’Europe de la Défense , en Décembre 2017 , en Coopération Structurée permanente (CSP) à 25 Etats membres , «  l’Initiative pour l’Europe » ,

d’’Emmanuel Macron discutée , en tête à tête , à Meseberg , avec la Chancelière, le 19 Juin dernier a permis de débloquer le démarrage d’une force commune d’intervention.

En font partie la France , l’Allemagne  la Grande Bretagne , le Portugal, la Belgique , les Pays Bas, le Danemark ,l’Estonie et la Finlande. L’Italie y a été associée.

En particulier, elle bénéficiera de l’accord de Lancaster House , signé en 2010 avec la Grande Bretagne , appelé à devenir le fer de lance des Opex., les opérations extérieures.

Elle se distingue des autres projets en cours (ad hoc, UE, OTAN) par sa vocation opérationnelle ambitieuse, tout en contribuant à les renforcer.

Le Traité d’Aix la Chapelle

Signé le 22 Janvier dernier il se propose d’approfondir le  « Traité de l’Elysée » signé par le Général de Gaulle et le Chancelier Adenauer en 1963.

En matières de Défense, il complète l’Initiative européenne de Défense par l’instauration d’ un Conseil franco-allemand de défense et de sécurité qui se propose de piloter « la capacité d’action autonome de l’Europe », de renforcer leur clause d’assistance réciproque , d’instaurer une « culture commune » entre leurs forces armées et de rapprocher leur politique d’exportation d’armements..

La culture et l’éducation renouent avec l’esprit du Traité de l’Elysée qui se concrétise par la création d’un « Fonds citoyen « destiné à encourager et à soutenir les initiatives visant à rapprocher les deux peuples ».

La convergence économique – sujet sensible – n’est pas occultée et les partenaires se fixent comme objectif « d’instituer une « zone économique franco-allemande dotée de règles communes, en commençant par « l’harmonisation du droit des affaires » . Un Conseil franco-allemand d’experts économiques y travaillera.

La politique de développement vis-à-vis de l’Afrique, la politique climatique, la transition énergétique, la mise en place d’une plateforme numérique, les développements de l’Intelligence artificielle feront l’objet d’ »un programme pluriannuel de projets communs »

Enfin deux innovations institutionnelles complètent ces engagements :

– une fois par trimestre un membre de l’un des gouvernements participera au Conseil des ministres de l’autre Etat

– la création annoncée d’une assemblée parlementaire franco-allemande entre l’Assemblée nationale et le Bundestag –  élargie notamment dans le cadre de la coopération décentralisée, entre le Sénat, Assemblée parlementaire de plein exercice, et le Bundesrat – renforcera la relation bilatérale.
Compte tenu de la tentation unilatéraliste du Président des Etats- Unis, la signature du Traité à Aix-la-Chapelle de coopération et d’intégration franco-allemandes, redonne du souffle à une relation bilatérale, singulière, réaffirmée et renouvelée.
Rapprocher davantage l’Europe des citoyens,  particulièrement, dans la perspective du BREXIT, conforte la place de l’Union européenne dans le monde par la pratique d’un multilinguisme assumé où le français, langue fondatrice, doit redevenir une langue de travail à part entière. On constate en effet qu’au sein de l’UE, post-BREXIT, plus aucun pays n’utilisera l’anglais comme langue officielle. Il importe donc de promouvoir la Francophonie, un espace géopolitique au XXIe siècle, qui partage une langue avec de nombreux pays au sein d’une communauté de valeurs.

 

  1. Le « Business plan » de l’Europe

Fédérer la zone euro autour du couple franco – allemand, en complétant le Marché intérieur, assorti d’un gouvernement économique européen , d’une réglementation bancaire et d’une harmonisation fiscale; assurer la sécurité de l’Europe en stabilisant ses frontières ; développer sa Sécurité et sa politique de défense en « coopérations renforcées » avec un Etat -Major européen indépendant de l’OTAN mais en coopération avec elle…et appuyée sur un Livre Blanc qui fixe les grands principes d’une politique étrangère européenne pourrait constituer l’objectif de ces dix prochaines  années.

A terme tous les pays membres de la Grande Europe pourront y participer mais chacun à son rythme.

 

6.Une organisation différenciée.

 

En fonction du degré d’engagement des Etats membres, l’Union Européenne s’organiserait à trois niveaux :

– l’Europe du Grand Marché et de la Libre circulation, à 27 où la Grande Bretagne serait  associée, sans doute suivant un format Espace Economique Européen  avec la Suisse et la Norvège.

– L’Europe de l’Union Economique et monétaire et des politiques communes à 19.

– l’Europe, plus restreinte de la Sécurité et de la Défense

 

Les Institutions européennes devront être adaptées en conséquence. Sans doute devront elles évoluer du Directoire actuel (Conseil Européen, Conseil, Commission , BCE, Présidence de l’eurozone) en une Présidence élue de l’Union Européenne (et pas seulement du Conseil Européen) ayant la Commission sous son autorité.

Il s’agirait de mettre fin à la paralysie du Conseil, à la prolifération bureaucratique et à l’indécision, en généralisant le vote à la majorité qualifiée du traité de Lisbonne (55% des Etats , voire 72% hors proposition de la Commission – représentant 65 % des populations) , pour autant que l’on ait strictement délimité le principe de subsidiarité.

Les développements nécessaires de l’Union politique de sécurité et de Défense s’accompagnant de la mise en place d’un Conseil de Sécurité européen.

De telles réformes nécessitant une coopération étroite entre le Parlement Européen et les Parlements nationaux.

 

Une certaine idée de l’Europe

 Le Traité d’amitié franco-allemand dit « Traité de l’Elysée » constituait , en 1963, pour le Général de Gaulle, le premier pas de l’Union Politique de l’Europe, complétant la création de la Communauté européenne.

Cette Union politique procédait de sa vision de la construction de  la Grande Europe, « de l’ Atlantique à l’ Oural », indépendante, basée sur l’ Union de la France et de l’ Allemagne, fondée sur une Union douanière, économique et monétaire -appuyée sur une politique étrangère et une Défense communes, bâtie sur les Nations dans le cadre d’une Confédération.

Devant l’affaiblissement du lien atlantique, le départ programmé de la Grande Bretagne de l’UE , l’apparition de nouvelles sphères d’influence entre les Etats Unis, la Chine, la Russie , l’Union Politique, économique et de sécurité de l’Europeconstitue un impératif.

Qui ne voit que dans le nouvel « arc de crise » aux portes de l’Europe, en Ukraine, au Moyen Orient, en Syrie, en Lybie, en Irak mais aussi en Afrique la présence et l’influence de l’Europe doivent s’imposer pas seulement comme bastion avancé de l’Alliance atlantique mais comme pôle de sécurité du continent européen, le moment venu en partenariat avec la Russie ?

La France , l’Allemagne – et tous les Etats membres qui partagent cette vision – doivent en être les fondateurs.

 

Gérard Bokanowski 

*GB a exercé successivement, au Parlement Européen les fonctions de Secrétaire Général du Groupe DEP/RDE (gaulliste) , de Directeur Général et de Conseiller Spécial du Président..

Il fut Secrétaire Général des Français de l’Etranger du RPR et a présidé, de 2016 à 2018 le Groupe Europe des Républicains/Bruxelles.

[1]Rapports de Jean-Pierre Raffarin et de Jean Bizet sur la Refondation de l’Union Européenne . Conclusions de Gérard Larché. Rapport sur la francophonie de Louis Duvernois.

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