Pour un fédéralisme budgétaire 

Pour un fédéralisme budgétaire 

Depuis une trentaine d’années, les États occidentaux, et la France tout particulièrement, ont donné la priorité aux prestations sociales au détriment de l’investissement. Cette priorité visait à réduire les inégalités et à accompagner la baisse de la croissance. Ce choix collectif a atteint ses limites. Il a, en effet, généré d’importants déficits publics qui pèsent sur les finances publiques. Il a créé plus de défiance que de bonheur. L’assistance n’est pas une fin en soi. Les citoyens souhaitent être maîtres de leur destin. La crainte du déclassement et du déclin mine les sociétés occidentales et alimente la chasse aux boucs émissaires. 

Malgré de puissants États-providence qui captent une grande partie de la richesse nationale, les populations ont perdu confiance dans l’avenir et épargnent des sommes croissantes par précaution. 

Le sous-investissement chronique rend difficile la diffusion du progrès technique et la restauration de la croissance. Preuve du ralentissement, entre 1945 et 1980, les conditions de vie avaient évolué bien plus vite qu’entre 1990 et 2024. Les populations semblent être tétanisées face aux défis à surmonter, que ce soit la transition écologique, le vieillissement démographique ou le retour des risques géopolitiques. 

À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, les Français étaient confrontés à des problèmes bien plus importants. 2,6 millions de logements étaient détruits, 5 millions de personnes étaient sans abri et les tickets de rationnement étaient de mise. Durant une quinzaine d’années, la France devra faire face à plusieurs guerres de décolonisation et, jusque dans les années 1990, à la guerre froide. Pour autant, grâce à un effort d’investissement et de travail, le pays a connu sur la période, la plus forte croissance de son histoire. 

Accroître les dépenses d’investissement

Les entreprises comme les administrations sont appelées à accroître leurs dépenses d’investissement, afin de décarboner leurs activités et gagner en productivité, en jouant en particulier sur l’intelligence artificielle. Les États occidentaux doivent également augmenter leurs dépenses militaires afin d’éviter tout décrochage par rapport aux régimes autoritaires. En outre, ils sont amenés à financer un surcroît de dépenses de retraite et de santé.

@Adobestock

Si la monnaie est commune, les marchés financiers sont restés séparés et manquent cruellement de profondeur.  

L’Union européenne n’exploite pas, à sa juste mesure, la puissance de l’euro, la deuxième monnaie mondiale derrière le dollar. Depuis sa création, la monnaie commune est utilisée non pas comme un outil mais comme un simple moyen de paiement. Par peur du supposé laxisme des États d’Europe du Sud, ceux du Nord ont refusé toute idée de solidarité budgétaire. La gestion des chocs économiques et financiers relève logiquement non pas de l’Union européenne mais des États membres.

Si la monnaie est commune, les marchés financiers sont restés séparés et manquent cruellement de profondeur. Ce manque de mutualisation pèse sur le financement des entreprises. Pour faciliter la création d’un grand marché des capitaux, comme cela a été initié lors de la crise covid, l’Union européenne devrait émettre des volumes importants de titres, créant ainsi un échelon de dette fédérale. Ces émissions permettraient la mise en place de politiques structurantes, que ce soit en matière d’énergie, de recherche ou de défense. En 1951, le charbon et l’acier, les deux secteurs clefs de l’époque, ont été les premières pierres de la construction européenne ; après, celle-ci a concerné l’agriculture, les échanges avec le marché unique des capitaux puis la monnaie. Aujourd’hui, l’énergie, le numérique, l’intelligence artificielle et la défense constituent des enjeux majeurs pour tous les États membres.

@Adobestock

Éviter la surenchère en matière de subventions pour attirer les investissements d’origine étrangère.  

Nul ne peut prétendre, seul, pouvoir y répondre avec efficacité. Évidemment qui dit financement mutualisé, dit un contrôle européen des dépenses. Cette perte de souveraineté est la condition sine qua non pour desserrer la contrainte financière et espérer renouer avec un minimum de croissance. 

En privilégiant l’échelon européen, les États européens éviteraient la surenchère qu’ils pratiquent actuellement en matière de subventions, pour attirer les investissements d’origine étrangère. Ils limiteraient, par ailleurs, le risque d’équipements inutiles. Sans changement de cap des politiques publiques, la prophétie de Patrick Artus sur l’effondrement du poids économique de l’Europe dans l’économie mondiale d’ici 2050, pourrait se concrétiser. Il y a une véritable urgence pour certains à abandonner leur vision budgétaire étriquée et pour d’autres leurs préjugés souverainistes.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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