Quand donc l’Europe prendra-t-elle conscience que son manque de croissance est son principal problème ? Depuis la crise financière de 2007-2009, elle semble s’être complu dans la stagnation. Le rapport publié le 9 septembre dernier par Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne et ancien Premier ministre italien, souligne les menaces de déclin auxquelles est confrontée l’Union européenne et propose des solutions pour y remédier.
Sur près de 400 pages, Mario Draghi présente un plan de refonte de l’économie européenne. Ce rapport sera-t-il suivi d’effets ou finira-t-il rapidement oublié, comme tant d’autres ? Le rapport de Mario Draghi fait suite à un autre, publié en avril dernier par Enrico Letta, également ancien Premier ministre italien, et consacré au marché unique. Tous deux se concentrent sur la manière de rendre l’Europe plus compétitive et plus dynamique. Ils insistent sur la nécessité d’un effort accru en matière d’innovation et appellent à faciliter le financement des entreprises dans les secteurs des hautes technologies. Ils préconisent la fin des marchés fragmentés, en particulier dans le domaine financier. Mais les États membres sont-ils prêts à renforcer l’Europe ? Sont-ils disposés à constituer une véritable industrie européenne de la défense et à engager les efforts budgétaires nécessaires ?
Le modèle européen, qui concilie liberté et justice sociale, est sérieusement menacé
Jusqu’à présent, l’Europe a vécu à l’ombre des États-Unis, une position qui lui a plutôt bien convenu. Aujourd’hui, avec le changement des priorités américaines, l’Europe doit s’affirmer. Par ailleurs, les retards accumulés ces dernières décennies se font de plus en plus sentir sur le niveau de vie des Européens. Aux yeux de Mario Draghi, le modèle européen, qui concilie liberté et justice sociale, est sérieusement menacé. L’Union européenne tire une grande partie de sa richesse des échanges internationaux, mais ceux-ci sont de plus en plus touchés par la montée du protectionnisme. L’Europe pourrait devenir dépendante et dominée par des chaînes d’approvisionnement étrangères contrôlées par la Chine ou les États-Unis, notamment pour des ressources clés comme les terres rares ou les microprocesseurs.
Longtemps, les États européens ont pu se prévaloir de forts gains de productivité. Or, ce n’est plus le cas depuis une dizaine d’années. En 1995, la productivité européenne représentait 95 % de celle des États-Unis ; aujourd’hui, elle est inférieure à 80 %.
Dans les technologies de pointe, comme l’intelligence artificielle, l’Europe a accumulé un retard considérable qui semble difficile à combler. Ce retard freine l’innovation en Europe. De plus, le coût élevé de l’énergie, presque deux fois supérieur à celui des États-Unis, décourage les investissements.
Les États européens ont perdu la bataille de la masse critique. Dans les années 1980, lorsque le marché unique prenait forme, l’économie italienne était à peu près aussi importante que celles de la Chine et de l’Inde réunies, comme le rappelle Enrico Letta. Aujourd’hui, l’écart est d’un à dix, au détriment de l’Italie. À l’époque, il semblait peu important que des secteurs comme la défense, l’énergie, la finance et les télécommunications restent des affaires nationales. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Mario Draghi propose un choc d’innovations conduit par l’Union européenne. À cette fin, il suggère que les pays mettent en commun leurs décisions et leurs financements en matière de recherche, tout en acceptant d’augmenter leurs dépenses. Il préconise la création d’agences européennes pour les projets de recherche avancée (ARPA), inspirées de l’agence américaine qui a joué un rôle crucial dans la création de technologies comme le GPS et Internet. Il plaide également pour une augmentation des investissements dans les institutions de recherche de premier plan.
En Europe, 75 % du financement des entreprises se fait par emprunt, contre un quart aux États-Unis.
Mario Draghi insiste aussi sur la nécessaire réforme du système de financement des entreprises. Si les grandes entreprises n’ont pas de mal à se financer, il en va tout autrement pour les jeunes entreprises qui peinent à accéder au crédit et aux marchés financiers. En Europe, 75 % du financement des entreprises se fait par emprunt, contre un quart aux États-Unis, où les marchés de capitaux sont plus profonds et liquides. Les acteurs financiers européens sont conscients de la nécessité de créer une union des marchés de capitaux, avec la mise en place d’une grande place financière réunissant Paris, Francfort, Amsterdam et Milan. Les Européens doivent harmoniser leurs règles financières et de solvabilité. Ils doivent également encourager le développement de fonds de pension qui sont des acteurs clés dans le financement des entreprises.
Aux États-Unis, les actifs des fonds de pension représentent 173 % du PIB, contre 32 % dans l’Union européenne. Mario Draghi regrette l’absence de grandes entreprises réellement européennes capables de concurrencer les mastodontes américains ou chinois. Il souligne l’importance d’améliorer le fonctionnement des marchés, en respectant les règles de la libre concurrence tout en évitant de bloquer certaines fusions. Il aurait, par exemple, été pertinent d’autoriser la fusion entre Alstom et Siemens.
Les propositions du rapport de Mario Draghi ont été bien accueillies, mais leur mise en œuvre s’annonce difficile. En ce qui concerne l’union des marchés de capitaux, les gouvernements ne semblent pas prêts à accepter des transferts de souveraineté au profit de l’échelon européen. Les projets de fusion transnationale dans le secteur bancaire restent également sensibles. Le 11 septembre, UniCredit, la deuxième banque italienne, a annoncé avoir acquis une participation de 9 % dans Commerzbank, la deuxième banque allemande, avec l’intention de l’augmenter. L’Allemagne autorisera-t-elle une telle fusion ?
Au-delà de la finance, de nombreux secteurs restent nationaux. Ceux des télécommunications, de l’information et de la défense sont encore relativement fermés à la concurrence et aux fusions.
L’application du programme de Mario Draghi pourrait entraîner une hausse des dépenses d’investissement, qui passeraient de 22 % à 27 % du PIB au sein de l’Union européenne. Cependant, cela nécessiterait un accroissement des dépenses annuelles estimé entre 750 et 800 milliards d’euros. L’ancien Premier ministre italien reconnaît toutefois qu’il sera difficile de recourir à un financement par emprunt communautaire, comme ce fut le cas avec le plan Next Generation, en raison de l’opposition des pays d’Europe du Nord.
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