Il y a dix ans, l’opération Serval s’engageait au Mali sous les applaudissements de la communauté internationale, des Africains, des Maliens. Vive la France. Aujourd’hui, la junte a appelé les mercenaires russes, les attaques terroristes ont augmenté de 30%, La France est rejetée, du moins par le régime et ses affidés.
Il y a soixante ans, le traité de l’Elysée fondait l’amitié franco-allemande, et, de fait, la direction politique de l’Europe. Le prochain conseil des ministres franco-allemand, qui fut reporté, traitera des faux semblants : coopération militaire industrielle, énergie, vision de l’Europe.
France-Afrique, France-Allemagne, ces deux piliers de la politique étrangère française vacillent. Ils devraient se compléter.
Comme en écho, Catherine Colonna et Annalena Baerbock, les ministres des Affaires étrangères françaises et allemandes vont ensemble en Éthiopie : 120 millions d’habitants, trois guerres civiles, 2 millions de déplacés et 600.000 victimes. Elles apportent du blé ukrainien.
Faut-il s’impliquer dans les guerres d’Afrique ?
A Paris, l’acteur Omar Sy, une des personnalités préférées des Français, déclenche une polémique à propos de la sortie de son film « Tirailleurs », non parce qu’il remet en mémoire ces soldats africains venus défendre la « mère patrie » -plusieurs monuments ont été érigés en leur honneur- mais parce qu’il reproche aux Français de se préoccuper de la guerre d’Ukraine alors que les guerres africaines les laisseraient indifférents. Faut-il s’impliquer dans les guerres d’Afrique ? 58 soldats ont été tués au Sahel ces dernières années. Sur les 39 Etats du monde connaissant des conflits, 27 se situent en Afrique.
Au Burkina Faso, Chrysoula Zacharopoulou, la secrétaire d’état au développement, a tenté de raccommoder des relations illustrées par la demande de rappeler l’ambassadeur de France. La représentante de l’ONU a déjà été renvoyée, les hélicoptères de la PAM, le programme alimentaire mondial de l’ONU, sont bloqués. Il reste 300 militaires français de l’opération Sabre au Burkina. Faut-il les laisser, combien de temps ?
Tandis que le Président Macron invite le président algérien Tebboune à Paris et vante le renouveau des relations algériennes, Xavier Driencourt, deux fois ambassadeur de France en Algérie, tant il était en cours à Alger comme à Paris, explique que le gouvernement fait fausse route : jamais, selon lui, les Algériens ne renonceront au « fonds de commerce anti français ». Sabotage ou lucidité ?
Le french bashing est ancien : il est bien partagé en France
Le sentiment anti français se répand en Afrique. Alimenté par les tyranneaux, les mercenaires Wagner. Le french bashing est ancien : il est bien partagé en France, bien diffusé par nos médias, par notre discours. Les néo nationalistes d’extrême droite disent tout le mal qu’ils pensent de leur pays et donnent toujours raison à Poutine, Trump, Erdogan contre leur pays. Les Internationalistes de l’ultragauche ne voient d’avenir que dans la repentance, vantent Maduro, Ortega, et trouvent aux islamistes des airs de lumpenprolétariat. Étrange concours d’autodénigrement, à la pointe de cette caractéristique occidentale, le sentiment de culpabilité, hérité du Mont du Temple et du confessionnal : « Croyez-vous qu’une seule civilisation, avant la nôtre, ait connu la mauvaise conscience ? Aucune n’a été à ce point étrangère à ses valeurs. Pourquoi conquérir la lune, si c’est pour s’y suicider ? » disait Malraux.
Mauvaise conscience, suicide, simple aveuglement ? Pourquoi chercher à se faire aimer d’un régime algérien mal aimé par les pays arabes, méprisé par les Algériens ? Pourquoi abandonner la Francophonie à Kagame, qui arme les rebelles en Centrafrique ? Pourquoi vexer le Maroc, le Congo, le Gabon ? Que la France intervienne, qu’elle n’intervienne pas, elle est accusée. Accuser l’ancienne puissance coloniale est un dérivatif, en forme d’impasse. La vérité est autre, la faute est ailleurs : la France se désengage de l’Afrique, c’est un fait, c’est un tort, elle le sait.
L’Europe ne peut avoir d’autre politique étrangère que celle des pays qui ont une politique étrangère.
Un tort parce que bientôt, déjà, la francophonie est plus africaine que française. Encore Malraux :« Au XIXe siècle a eu lieu la colonisation de ceux qui ne savaient pas lire par ceux qui savaient lire : un siècle d’instruction gratuite a pesé plus lourd que trois siècles d’imprimerie. » La puissance est un effet de l’instruction, de la connaissance. Après tout, si les puissances européennes ont amplifié la traite, elles ont, par la colonisation, aboli l’esclavage. N’est-il pas en train de renaitre, avec la nouvelle traite et les réseaux de passeurs, organisés par le crime international, poussés par les régimes et les nettoyages ethniques ? N’est-ce pas le comble du cynisme, de l’affrontement idéologique, cette déclaration de Kagame à New York : « L’Occident parle beaucoup de liberté, mais le fait d’imposer la façon dont ils devraient vivre revient justement à nier la liberté des peuples ». C’est la doctrine chinoise, qui permet d’assurer la tranquillité des dirigeants et l’accumulation des dettes. L’Europe reste le premier partenaire de l’Afrique, le premier donateur (150 milliards € pour les sept prochaines années. La France donne 0.55% de son Revenu national brut en aide et coopération, alors que le continent représente 3% de son commerce, moins que la Suisse et que la part de marché des entreprises françaises n’est que de 5%.)
Ce que devrait transmettre une idéologie de la Francophonie, aujourd’hui gommée par la confusion des intérêts et de la culpabilité, c’est une culture de l’émancipation. Former un réseau d’intelligences entre l’Europe et l’Afrique passe par la France. Pour se désengluer d’un passé noirci à dessein, la France veut que l’Afrique s’inscrive dans une vision plus large qui concerne l’ensemble de l’Europe. D’où ce voyage conjoint en Éthiopie. En retour, quand l’Azerbaïdjan demande des excuses à la France (pour son soutien à l’Arménie), forte de son gaz, comme l’Algérie ou la Turquie, pourquoi l’Europe l’accepte-t-elle ? L’Europe ne peut avoir d’autre politique étrangère que celle des pays qui ont une politique étrangère.
Peut-il y avoir une politique européenne au Maroc, en Tunisie, en Algérie, en Afrique, sans la France ? Peut-il y avoir une alternative française, face aux mercenaires russes, face aux loups chinois, face aux réseaux djihadistes, sans l’Europe ? L’échec de Barkhane est un échec européen. Plus que la bataille tactique au Sahel, économique ou politique, l’Europe perd la bataille idéologique. Alors que toutes les constitutions et traités africains proclament les droits de l’homme, la démocratie recule. Toujours Malraux, toujours la culture : « La démocratie en France a été fondée, en fait, sur la création de l’instruction publique obligatoire ». Ni Serval, ni Barkhane, ne peuvent réussir sans un projet politique supporté par l’Europe entière, mobilisée comme elle l’est pour l’Ukraine. Omar Sy n’a pas tout à fait tort, mais ce n’est pas à la France qu’il faut le reprocher.
Quelle politique franco-allemande (européenne) en Afrique ? Et en Méditerranée ?
Au menu du prochain conseil des ministres franco-allemand, cette question aussi importante que celle de l’Ukraine : quelle politique franco-allemande (européenne) en Afrique ? Et pour commencer en Méditerranée, là où passent le gaz, les migrants, les porte-avions, les terroristes, les drogues, les criminels et les déchets. La politique étrangère est, finalement, ce qui fera ou ne fera pas l’Europe.
Elle n’est pas qu’une question de pouvoir, encore moins d’intérêt (la politique privilégie toujours le pouvoir à l’intérêt) : c’est une question de civilisation. L’Anti-France honore la France : ceux qui l’animent se rangent toujours du côté de médiocres tyranneaux, ennemis de toute forme d’émancipation, d’instruction, de liberté. Plus d’Anti-France appelle plus de France, avec l’Europe (c’est-à-dire l’Allemagne). Ne pas le comprendre, c’est abandonner l’Afrique, et l’Europe.
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