Petit livre blanc chinois: défier les Etats-Unis dans la guerre intelligente

Il y avait « les routes de la soie », qui promettent pour la Chine des comptoirs amicaux, sur terre et sur mer. Chaque pays veut en être, y voyant commerce et investissements. De l’Iran au Sénégal en passant par le Maroc, la Grèce ou l’Italie, les Nouvelles Routes de la Soie font toujours rêver. Quelques bontés chinoises devaient naturellement trouver d’autres bontés en échange, bien naturel.

Il y avait ces revendications en Mer de Chine, ces navires de guerre qui patrouillaient, ces îlots occupés par la marine, une volonté  nouvelle de montrer sa force. La marine française y patrouilla bravement, question de principe.

Il y a aujourd’hui « le Petit livre blanc de la Défense », qui définit pour les années à venir la stratégie chinoise en matière de défense nationale. La Chine ne se cache pas. A quoi bon, puisque les Etats-Unis lui ont ouvertement déclaré la guerre commerciale.

La franchise du petit livre blanc de la défense

La Chine répond. « La rivalité au niveau mondial s’accentue ».Traduire : Nous sommes entrés dans un confit global avec les Etats-Unis. « Les Etats-Unis ont provoqué et intensifié la rivalité entre les principaux pays, augmenté de manière significative les dépenses de défense (…) et sapé la stabilité stratégique mondiale ». Traduire : Nous construirons des alliances et augmenterons le budget militaire.

Le budget militaire chinois, désormais le deuxième du monde, a augmenté de 7.5%. Rien d’anormal : L’armée chinoise est le pilier du régime, choyée comme dans tous les régimes autoritaires. Il ne s’agit pourtant pas que de rhétorique ou d’appeler à serrer les rangs face à l’ennemi. La Chine assume ses ambitions et se propose de défier les Etats-Unis en matière militaire. C’est écrit.

On peut sourire tant l’écart est gigantesque entre le budget américain et les reste du monde. Mais les Chinois l’affirment avec raison : les prochains conflits prendront des formes différentes : « La guerre intelligente ».Le moment est venu, dit le Livre Blanc, de « bâtir une armée moderne ».Deux millions de militaires, cela ne veut rien dire. L’Armée Populaire de Libération entend renforcer son arsenal technologique : Intelligence artificielle, traitement des bases de données, stockage de l’information.

Transformer l’Armée Populaire en leader de la Guerre intelligente

Annonces classiques, qui tranchent par leur franchise. Et sonnent comme un aveu quand on pense aux accusations lancées contre Huaweï.  Comme des menaces, tant la Chine a les moyens technologiques et économiques de cette transformation. Elle est d’ailleurs pour l’instant la seule, avec les Etats-Unis, à avoir suffisamment investi dans ces technologies de pointe, et utilise largement ces systèmes pour contrôler, politiquement et socialement, sa propre population. Avec ces données, on s’effraie de ce qu’aurait pu faire un Mao au moment de la Révolution culturelle.

Le Petit Livre blanc ne tait pas non plus ses missions traditionnelles : réprimer le séparatisme tibétain, réprimer les révoltes Ouïghours au Xinjiang, maintenir la pression sur Taiwan. « La Chine doit être réunifiée » rappelle le document stratégique. Ce que les autorités taïwanaises ont interprété comme un « prétexte à une intervention militaire ».

Organisations criminelles…

On peut ne pas prendre au sérieux cette crainte taïwanaise, la Chine n’est jamais intervenue nulle part directement. A Hong Kong, face au refus de la population de se soumettre à la Chine, celle-ci lui envoie, non son armée, (ce serait un cataclysme financier pour la Chine) mais les Triades, organisations criminelles chargées de faire la chasse aux mauvais esprits et aux manifestants. Outre Taïwan, la Corée du Sud et le Japon, s’inquiètent. Ce dernier va réformer sa Constitution pour s’autoriser à construire une armée. Un mois à peine après le pied physique et symbolique de Donald Trump posé en Corée du Nord, son nouvel ami, Kim Jong Un, a lancé deux missiles balistiques. Après la visite de dirigeants chinois.

… et enceintes internationales.

Cela n’a rien à voir, croit-on, mais récemment, un vice-ministre chinois  a été élu à la direction générale de la FAO, l’organisme de l’ONU chargé de l’agriculture et de l’alimentation. Il a battu, contre les pronostics, une Française. Notamment grâce aux voix des pays africains, qui, dans cette enceinte, faisaient traditionnellement bloc avec la France. D’après les diplomates français, promesses de dons et d’annulations de dettes auraient convaincu. Les Chinois auraient même demandé la photo des bulletins de vote, et pisté les conversations téléphoniques des français.

Les Chinois veulent donc des positions dans les organisations internationales. Ils sont prêts à y mettre le prix. Ils ont les moyens de leurs ambitions. Ils visent la première place mondiale. Est-ce réaliste ?

Les Etats-Unis ont à ce pont l’avantage qu’on se demande ce qui motive les Chinois à s’affirmer aussi crument. Orgueil, fierté nationale ? Plutôt le risque d’un affaiblissement. Les Etats-Unis peuvent s’appuyer sur leurs armes principales : la force militaire, celle du dollar, celle de la technologie. L’économie chinoise patine, l’endettement des entreprises, est trop élevé, les revendications ne demandent qu’à éclore face à l’affirmation du pouvoir sans partage de Xi Ping. Mais La puissance chinoise a pris un tel élan que tout est possible.

A condition d’appliquer vraiment, à l’ensemble du pays, la nouvelle stratégie de défense, celle de la transformation : à guerre intelligente, société intelligente, c’est-à-dire ouverte. Une société sous contrôle orientera toutes les capacités de défense du système vers l’interne. Son coût sera exponentiel. Le maintien du pouvoir chinois tel qu’il s’exerce est à terme antinomique avec la montée en puissance de la Chine.

A guerre intelligente, société ouverte

Cela doit pourtant nous interroger. Et la France ? Et l’Europe ? Sommes-nous indépendants dans le domaine de la guerre intelligente ? Où sont nos entreprises phares dans le domaine de l’intelligence artificielle, du traitement des données, du stockage ?

Il n’est pas nécessaire de lire le petit livre blanc pour faire la liste de ce qui nous manque. Pour rester dans la course, non à la puissance – ça c’est la guerre bête- mais à l’indépendance.

Laurent Dominati

A. Ambassadeur de France

A. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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